La Thaïlande face au coronavirus : élève modèle mais victime d’un monde globalisé
Depuis Bangkok, Sébastien Le Mouellic, responsable d'ONG, nous dresse un bilan plus contrasté que le pays "modèle" dans la gestion de la crise.
D’un point de vue sanitaire, le pays du sourire semble avoir échappé à l’épidémie de coronavirus. Les chiffres officiels rapportent peu de transmissions locales du virus, moins de 5000 cas positifs et 60 décès. Quelle part de chance, de facteurs naturels, culturels ou de décisions politiques, ont permis à la Thaïlande d’éviter un drame sanitaire ? Cela reste difficile à définir avec certitude. Néanmoins le rôle de l’Etat semble avoir été prédominant puisque la Thaïlande est citée en exemple par l’OMS pour ses résultats dans la gestion du Covid-19.
Dès le mois de mars 2020, le gouvernement a pris des mesures drastiques afin de contrôler la propagation de l’épidémie: fermeture des frontières, systèmes de mise en quarantaine strictes, traçages, tests, port du masque et mesures de distanciations physiques imposées dans les lieux publics... En parallèle, l'exécutif a tenté de maintenir un équilibre entre la protection de sa population et le maintien du système économique. Il n’y a pas eu de confinement à proprement parler mais plutôt un couvre-feu, quelques fermetures temporaires d’établissements à risque (salons de massage, stades de boxe, etc.), et une rentrée scolaire décalée par rapport au calendrier habituel. Enfin, les autorités également pris des mesures incitatives destinées à booster le tourisme domestique et tenter la mise en place d’allocations pour venir en aide aux plus pauvres.
L’envers du décor dévoile cependant une situation sociale alarmante. Il faut garder à l’esprit qu’en dépit de progrès considérables réalisés au cours des dernières décennies, le pays a récemment connu une augmentation de son taux de pauvreté et de ses inégalités. En 2018, la Thaïlande a surclassé la Russie et l’Inde en devenant le pays le plus inégalitaire au monde selon le rapport Global Wealth Databook, publié par Crédit Suisse.
A ce contexte économique défavorable s'ajoute une crise politique sans précédent. Le pays est en effet secoué par d’importantes manifestations qui ont régulièrement lieu à Bangkok. Les manifestants, en majorité jeunes, protestent contre le gouvernement et réclament également une réforme de la monarchie. De nombreux Thaïlandais sans emploi, se sentant abandonnés, et frustrés par la situation, ont rejoint ce mouvement de colère.
La covid-19 est venu aggraver une situation déjà difficile en s’attaquant aux piliers du système économique sur lequel la Thaïlande reposait : les exportations, le tourisme et l’économie informelle.
L’arrêt de l’exportation de matières premières en provenance de Chine destinée à l’industrie du textile, l’arrêt des importations des pays occidentaux lors de leur entrée en confinement ont eu pour effet la fermeture de plusieurs centaines d’usines du textile en Thaïlande (mais aussi dans les pays voisins comme le Cambodge).
Rapidement, c’est toute l’industrie du textile qui s’est effondrée, laissant des centaines des milliers de travailleurs sans revenus et sans moyens de subsistance. Cette population est dans la majorité des cas originaire de milieux extrêmement modesteq, souvent étrangère, en provenance du Cambodge ou du Myanmar, et donc marginalisée de facto.
Le secteur du tourisme, qui représente presque 22% du PIB thaïlandais et dans lequel la part du tourisme étranger occupe 70% des revenus de l’industrie, est en perdition depuis la fermeture du pays. Chute vertigineuse du nombre de visiteurs : de 39,8 millions en 2019 à 6,7 millions pour cette année. Cette perte pourrait se chiffrer à plus de 47 milliards de dollars (source Unctad).
Au-delà des chiffres, il est très facile de prendre la mesure de l’impact du covid sur le tourisme en Thailande. Il suffit pour cela de déambuler dans les rues des stations balnéaires qui, il y a un an encore, étaient très prisées des touristes étrangers. Phuket, Koh Samui, Koh Chang, Pattaya naguère connues pour leur activité débordante, font désormais figures de villes (ou d’iles) mortes. On ne compte plus le nombre de restaurants et d’échoppes fermés qui affichent une enseigne « à vendre » ou « à louer ». Beaucoup d’employés sont rentrés dans leur village natal des provinces du Nord-Est de la Thaïlande. D’autres ont fait le choix de rester attendre un hypothétique retour à l’avant Covid, mais faute de revenus ils s’enfoncent jour après jour dans la misère.
Enfin, l’économie informelle à laquelle la moitié de la population thaïlandaise appartient ne peut plus fonctionner. Les millions de vendeurs de rue, marchands, restaurants, échoppes se retrouvent sans clients et donc voués à la fermeture. Dans un pays sans couverture sociale, sans indemnités chômages, perdre son activité génératrice de revenus peut rapidement mener des familles entières à la catastrophe. A cela s’ajoute l’engrenage infernal de l’endettement : afin de survivre, des familles empruntent à des usuriers sans scrupules qui leur offrent des prêts à des taux d’intérêts dépassant parfois les 20%.
Mme T., qui habite un bidonville de Bangkok, explique à un employé de l’ONG Friends-International : « Moi et mon mari avons perdu notre travail, nous avons dû nous endetter pour payer notre loyer, nous ne pouvons plus acheter à manger…Nous avons deux enfants, comment allons-nous faire et qui va payer l’école ?». Les situations similaires ont nombreuses et aboutissent bien souvent à une augmentation du stress au sein des familles. On dénombre une augmentation du taux de suicide de 22% cette année. Les cas de violences domestiques ont doublé, à en croire les statistiques "Social Development and Human Security Ministry" (équivalent du ministère des Affaires sociales).
Parmi les populations vulnérables, les migrants étrangers généralement recrutés en tant que main d’œuvre peu qualifiée ont été lourdement touchés : licenciés en masse, laissés sans revenu, sans les documents et justificatifs qui leur permettraient de retrouver un emploi sur le sol thaïlandais. Pour ceux qui ne sont pas partis avant la fermeture des frontières, le choix doit se faire entre rester en Thailande de manière illégale ou retourner dans leur pays de manière clandestine en payant un passeur. « Je n’ai plus de travail et plus d’argent. Mes papiers ne sont plus à jour et je n’ai pas de nouvelles de mon employeur. Je suis coincé ici. Aujourd’hui en plus de la peur de Covid, je dois me cacher de la police » confie ce jeune migrant cambodgien.
Les enfants au bout de cette chaîne ne sont pas épargnés: les enfants pour qui de nombreux parents peinent à couvrir les frais de scolarité, se retrouvent par conséquence en situation de décrochage scolaire et donc exposés à des risques d’abus, d’exploitation, de travail illégal de mineurs, de négligence, voire d’abandon…
En réponse à l’impact social de la crise, les ONG ont joué un rôle primordial dans l’aide fournie aux plus démunis. C’est le cas de l’entreprise sociale française Friends-International présente en Asie du Sud est depuis 1994 et qui intervient en aide auprès de 150 000 personnes par an à travers le monde.
Dès le début de la crise, Friends-International a mis en œuvre un système de soutien adapté aux besoins des familles victimes des effets du Covid. L’ONG s’est attelé à renforcer son intervention, dans les communautés les plus pauvres et dans la rue, au travers des maraudes de ses travailleurs sociaux et de la présence ininterrompue de ses agents communautaires. Cette approche a permis de coordonner et organiser une aide à plusieurs niveaux : mettre en place une aide d’urgence (alimentaire, sanitaire et parfois pécuniaire), lancer des actions de prévention et de protection des enfants grâce à des campagnes de sensibilisation, d’information et de réintégration scolaire, d’offrir un soutien psychosocial, ainsi que des activités de formation et de placement en emploi.
Parvenir à accéder à un emploi semble paradoxal tant le contexte économique est défavorable. Malgré tout, certains secteurs liés à la consommation (comme la livraison, la vente en ligne) ont connu un essor sur lequel Friends-International s’est appuyé pour reclasser des centaines de personnes qui avaient perdu leur emploi. C’est ainsi que des organisations comme la nôtre apportent une note d’espoir dans un monde devenu incertain.
La crise socio-économique engendrée par le Covid-19 a fait basculer des millions de ménages fragiles dans une situation de pauvreté et de détresse psychosociale. La Thaïlande n’est qu’un exemple parmi d’autres. Pour y faire face, le gouvernement a tenté d’adopter une gestion de la crise, bienveillante, fondée sur le bon sens mais qui malgré tout n’a eu que peu de contrôle sur un phénomène planétaire agissant sur une économie globalisée. Les ONGs quant à elles déploient des stratégies pour répondre aux victimes de la crise.
Mais quels enseignements, nous et nos dirigeants, allons-nous prendre ?
Vers quel nouveau modèle nous dirigeons nous ?
A l’heure où l’idée de revenir à une situation normale à « l’avant Covid » semblerait criminelle, il est indispensable de repenser le système dans lequel nous vivons.
Sébastien Le Mouellic réside en Asie du Sud Est depuis 2008, entre la Thaïlande et le Cambodge. Il travaille sur la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation de programmes de protection des populations marginalisées et en particulier les enfants et leurs familles. Depuis 2011, il a occupé plusieurs postes au sein de l’ONG et entreprise sociale Friends-International ou il est actuellement directeur adjoint, en charge du programme "Saving Lives".
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