Bataille de Mossoul : aux abois dans la deuxième ville d'Irak, Daech appelle ses partisans à commettre des attentats en Occident

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Stéphane Mantoux, édité par la rédaction
Publié le 01 juin 2017 - 17:16
Mis à jour le 02 juin 2017 - 16:36
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Bataille de Mossoul Daech EI djihadistes grosses roquettes artisanales
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Malgré sa défaite annoncée à Mossoul, l'EI continue à produire des armes artisanales dans la ville.
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Acculé dans les derniers quartiers de Mossoul qu'il tient, l'Etat islamique fait néanmoins marcher sa propagande à plein régime, mettant en scène la résistance de ses combattants face aux offensives irakiennes. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de la stratégie de l'Etat islamique, décrypte et analyse en partenariat avec "FranceSoir", la dernière vidéo publié par le groupe djihadiste concernant les combats pour la deuxième ville d'Irak.

Le 17 mai 2017, la wilayat Ninive (Mossoul) de l’Etat islamique met en ligne la 12e vidéo longue consacrée à la bataille depuis octobre 2016, intitulée: "Nous les guiderons sûrement dans nos sentiers". Le titre fait référence au verset 69 de la sourate 29 du Coran, Al Ankabut: "Et quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers. Allah est en vérité avec les bienfaisants".

Ce montage, assez long (45 minutes) fera probablement date de par son contenu. Trois aspects retiennent en particulier l’attention, la place accordée aux combattants étrangers, les nouvelles armes mises en œuvre par l’EI à Mossoul et la capacité de production d’armes que le groupe salafiste dévoile à travers cette vidéo.

Le "monstre" parmi les véhicules kamikazes de la vidéo: un bulldozer de 60 tonnes avec deux mitrailleuses, une Type 77/85 de 12,7 mm et une PKM de 7,62 mm.

Dès la première séquence de la vidéo, Daech insiste sur ses combattants étrangers: les deux premiers véhicules kamikazes montrés sont celui d’un Britannique, ancien détenu de Guantanamo, qui s’était fait exploser le 20 février dernier au début de la bataille de Mossoul-ouest. Et celui d’un possible Canadien (sa kounya –un nom de guerre– est al-Kindi, qui renvoie peut-être à une tribu locale, mais il parle en anglais dans la vidéo, ce qui peut corroborer l’hypothèse d’un Canadien) qui avait mis en œuvre son véhicule kamikaze le 3 mars dernier.

Le kamikaze britannique se jette, le 20 février, sur un char T-55 des forces irakiennes.

Le plus intéressant, ce sont toutefois les trois autres combattants étrangers qui servent de narrateurs dans la vidéo. Abou Hamza Al Amriki, un Américain (qui porte une tenue militaire russe BARS Gorka 3), accuse les Etats-Unis de porter "la bannière de la croix" contre l'Etat islamique, de soutenir l'Iran et les "rafidites" (chiites), de tuer de nombreux musulmans avec leurs frappes aériennes. Il encourage les partisans du groupe terroriste à tuer des Américains en les poignardant, en les jetant du haut des immeubles ou en les fauchant avec une voiture.

C'est lui qui présente les fameux lance-roquettes construits par l'EI, dont on a beaucoup parlé depuis leur apparition entre les mains des djihadistes à Mossoul-ouest au mois de mars: il explique que c'est bien Daech qui les a fabriqués, et qu'il y en a plusieurs versions: antipersonnel, antichar, et même thermobarique pour viser des cibles dans des bâtiments. Il ne s'agit donc pas de lance-roquettes AT-4 américains de l'armée irakienne pris et reconditionnés par leurs soins.

Pour le prouver, l'EI montre l'atelier de fabrication de ces lance-roquettes, qui, comme on pouvait le supposer, dénote une standardisation évidente. Dans l'atelier, on peut voir trois piles de 21 lance-roquettes achevés plus quatre autres disposés à la verticale. Le magazine de l'Etat islamique al-Naba, dans son numéro 82, a présenté depuis une infographie sur ces lance-roquettes: il y en a quatre types différents, deux utilisent la munition antichar du canon sans recul SPG-9 (PG-9) avec une version pour le tir à longue distance et une autre pour le tir à courte distance. Une autre version antichar du lance-roquettes emploie la munition antichar PG-7V du lance-roquettes antichars RPG-7; la dernière version, enfin, utilise une charge thermobarique (munition utilisant l’oxygène de l’air pour provoquer une explosion à très haute température pour tuer par effet de souffle: ici pour viser des adversaires dans des bâtiments ou des installations défensives), sans que l’infographie donne plus de précisions.

Le combattant américain de l'EI présente 3 des 4 types de lance-roquettes fabriqués par Aaech. Le plus proche est la version thermobarique, les deux autres sont des versions antichars.

Le deuxième combattant étranger qui parle est un Russe, Abou Jihad Al Russi, que l'on voit utiliser un fusil de sniper Steyr SSG 69 muni d'un système de vision nocturne (ce qui confirme au passage les témoignages selon lesquels les snipers de l’EI à Mossoul comprennent des Russes ou russophones en majorité).

Dix tirs de nuit sont montrés en suite avec cette arme, probablement, ou d’autres fusils de snipers équipés du même dispositif. Abou Jihad Al Russi prend ensuite la parole avec un fusil d’assaut AK-74 à la main, devant un canon sans recul SPG-9 et un lance-roquettes antichars RPG-7 qui ne semblent pas ordinaires, et pour cause: l'EI les fabrique lui-même. On voit l'atelier de fabrication des SPG-9, avec les machines qui produisent le tube du canon. Six ou sept exemplaires déjà prêts sont alignés sur un mur de l'atelier. Même chose ensuite avec le RPG-7: les machines fabriquent les parties, les ouvriers les assemblent, testent la gâchette de l'arme (qui est fabriquée en aluminium moulé), les peignent.

Pour finir, le groupe djihadiste montre aussi l'atelier qui fabrique les munitions improvisées utilisées comme grenades dans des embouts montés au bout des fusils d'assaut AK utilisés par les fantassins de l'EI, comme cela avait déjà été expliqué par le CAR. Une cartouche à blanc sert à expulser la grenade de l'embout. Ces munitions sont aussi celles qui sont montées sur les drones armés; par ailleurs, il en existe plusieurs types. Dans l'atelier, à côté d'un fusil d'assaut AK muni d'un embout lance-grenades, on peut voit une pile de 46 de ces projectiles.

L'Etat islamique fabrique ses munitions pour lance-grenades montés sur les fusils d'assaut AK. On retrouve les mêmes munitions attachées aux drones armés de l'EI.

Le dernier combattant étranger à s'exprimer est un Belge, et pas n'importe lequel: Tariq Jadaoun, que l'on présente depuis cet été comme un proche d'Abdelhamid Abaaoud, de Fabien Clain, et qui aurait peut-être un rôle au sein de l'EI dans la préparation des attentats à l'étranger. Selon un réfugié irakien, il aurait commis des exécutions en public pour Daech en 2015. Ce qui est intéressant ici, c'est que de sources proches de l'Etat islamique, la séquence où il apparaît a été tournée 15 jours environ avant la mise en ligne de la vidéo: il serait donc toujours à Mossoul (où l’EI cherche à le faire croire pour leurrer les services de sécurité occidentaux). En outre, sa kounya (nom de guerre) change: il s'appelle dans la vidéo Abou Dujana al-Belgiki, mais il a eu aussi comme kounya Abou Hamza al-Belgiki et Abou Abbas al-Belgiki, ce qui montre qu'il ne faut pas trop s'y fier, en particulier pour les cadres importants qui cherchent manifestement à brouiller les pistes. Tariq Jadaoun loue les attentats commis en France et en Belgique et appelle implicitement les partisans du groupe terroriste à en perpétrer d’autres.

Tariq Jadaoun, combattant belge de l'EI aux multiples kounyas, prend la parole dans la vidéo. A côté de lui, le petit robot télécommandé qui transporte une mine antichar TM-62M.

Dans cette vidéo, l'EI montre aussi de nombreuses armes nouvelles qui sont utilisées contre les forces irakiennes à Mossoul-ouest. La première est un avion télécommandé, d'assez grande taille, chargé d'explosifs et précipité contre un groupe de véhicules irakiens à 110 km/h. Daech a songé à l’emploi de tels engins au moins depuis mars 2017. Le groupe utilise aussi peut-être des missiles air-air, sans doute récupérés sur des stocks capturés au régime syrien, comme roquettes improvisées montées sur rail pour pilonner les positions adverses. L'Etat islamique montre également des lance-missiles sol-air portables de type Strela (SA-7) qu'il a remis en état comme l'indiquait un récent numéro (78, page 11) du magazine al-Naba: c'est avec un de ces lance-missiles que l'EI a abattu un hélicoptère irakien Bell 407 le 6 avril dernier au-dessus de Mossoul ouest. Toujours dans le domaine antiaérien, l'EI a conçu un système télécommandé, une mitrailleuse Type 77/85 de 12,7 mm monté sur affût tournant, avec des lampes pour le tir de nuit, et un frein de bouche prélevé sur un fusil anti-matériel iranien AM 50, semble-t-il. Cette mitrailleuse peut être activée à distance avec une télécommande pour le tir antiaérien.

L'Etat islamique a aussi fabriqué un petit robot chenillé télécommandé sur lequel est monté une mine antichar soviétique TM-62M, guidé par une manette de Playstation, et qui sert à attaquer des véhicules ou à faire sauter des obstacles. Ce n’est pas la première fois que l’EI tente de fabriquer ce genre de véhicules: l’Iraqi Counter-Terrorism Service (service antiterroriste) en avait filmé un, capturé, de plus grande taille en novembre 2016 dans Mossoul-Est.

L'EI montre pour la première fois dans cette vidéo un avion chargé d'explosifs qui est précipité sur des véhicules irakiens.

Les véhicules kamikazes sont encore nombreux dans cette vidéo: au moins 22 sont visibles, dont 16 sont filmés par drone lors de leur trajet puis de leur explosion. On note quelques camions-citernes à côté des habituels 4x4 SUV et surtout un "monstre", un bulldozer surblindé muni d'une mitrailleuse lourde Type 77/85 de 12,7 mm pour se dégager la voie vers l'avant ainsi que d'une mitrailleuse PKM de 7,62 mm (l’EI a déjà employé de tels engins en Syrie et en Irak par le passé). Les chars irakiens sont particulièrement visés par les véhicules kamikazes dans cette vidéo: on remarque que de nouveau, la tactique consistant à barrer les rues avec des voitures ne fonctionne pas toujours, puisque l'un des véhicules arrive à passer à travers. Un autre véhicule, comme cela avait déjà été vu à l'est de Mossoul, sort d'un garage et a donc été prépositionné pour frapper les colonnes irakiennes arrivant dans le secteur. L'Etat islamique insiste sur les dégâts causés par l’explosion de certains véhicules kamikazes: un char M1 Abrams est ainsi complètement détruit par l’explosion du 19e véhicule de la vidéo, tandis que le 22e détruit au moins deux voire trois Humvees sur une colonne de quatre véhicules qui constituait sa cible.

L'EI a remis en condition des lance-missiles sol-air portables SA-7 Strela et s'en est servi pour abattre un hélicoptère Bell 407 irakien le 6 avril.

La vidéo comprend également quelques séquences de combat urbain dans Mosoul-ouest: on voit les combattants de l'EI faire sauter, à Bab el Tob, dans la vieille ville, le rez-de-chaussée d'un bâtiment occupé par l'ennemi. Les combattants de la vieille ville semblent les mieux armés: mitrailleuse MG3, M240 et Zastava M84, fusils d'assaut M-16 et M-4 à viseur optique... ceux qui combattant au nord-ouest de Mossoul après l'offensive lancée début mai par l'armée irakienne disposent de nombreux moyens antichars: lance-roquettes fabriqués par l'EI, RPG-7 avec charge tandem. Au moins deux véhicules blindés BMP-1 sont détruits, ainsi qu'un Humvee de l'ICTS (unité antiterroriste, Golden Division), qui est incendié. L'EI récupère des armes et des munitions dans l'un des BMP-1. Il y a relativement peu de corps adverses filmés, en revanche, puisqu'on ne voit qu'un ou deux corps de policiers fédéraux lors de combats dans la vieille ville.

Humvee de l'ICTS incendié par l'EI.

Plus inquiétant, pour la première fois depuis le début de la bataille de Mossoul, cette 12e vidéo longue de l’EI sur la bataille fait la part belle aux attentats commis en Europe ou aux Etats-Unis et appelle, comme on l’a dit, à en réaliser d’autres. La première séquence de la vidéo montre ainsi, ensemble, les photos d'Amedi Coulibaly, qui avait opéré de concert avec les frères Kouachi en janvier 2015, d'Omar Mateen (auteur de l’attentat d'Orlando le 12 juin 2016), d'Anis Amri (qui a commis l’attentat de Berlin le 19 décembre 2016), et de Larossi Abballa auteur du double meurtre sur des policiers à Magnanville (13 juin 2016). On voit ensuite des images d'attentats: Saint-Pétersbourg, Londres, Bruxelles, et Nice. A la toute fin de la vidéo, on peut voir des images de ville américaines peut-être prises par les partisans de l'Etat islamique aux Etats-Unis, ou tirées d’une quelconque banque d’images: on reconnaît Las Vegas, New York, l'hôpital John Hopkins de Baltimore, un aéroport, des hôtels, peut-être la Bank of America à Los Angeles. Les dernières images reprennent l'infographie sur l'attaque au camion-bélier parue dans le dernier numéro du magazine Rumiyah de l'EI.

Hommage de l'EI aux quatre auteurs d'attentats en Europe ou aux Etats-Unis en 2015-2016.

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