Energie : la tentation russe de l'Allemagne se renforce à l'approche des élections

Auteur(s)
Michel Borsky
Publié le 27 février 2017 - 08:34
Mis à jour le 28 février 2017 - 16:43
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Les drapeaux allemand et européen
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©fdecomite/Flickr
L'Allemagne prend de plus en plus de libertés avec l'Union européenne sur les questions énergétiques.
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Les élections de septembre 2017 en Allemagne pourraient marquer le retour aux affaires du SPD, le parti de gauche modérée (déjà présent au gouvernement dans le cadre de la coalition). Or, plusieurs membres de premier rang du parti ont déjà affiché une proximité avec la position de Moscou, notamment sur les questions énergétiques. Un changement de majorité à Berlin pourrait intensifier le rapprochement déjà initié avec la Russie.
Dans la tension diplomatico-énergétique qui oppose la Russie à l'Union européenne, Moscou peut compter sur un allié de circonstance de poids: l'Allemagne. En 2014, il y a donc déjà trois ans, le ministre allemand de l'Economie et de l'Energie Sigmar Gabriel, devenu depuis ministre des Affaires étrangères, annonçait la couleur en déclarant qu'"il n'y a pas d'alternative raisonnable" au gaz russe. L'Allemagne n'est pourtant pas le pays de l'UE le plus dépendant des exportations énergétiques venues de Russie. La part du gaz venu de Moscou dans la consommation allemande n'est que de 37% d'après un rapport du Sénat. C'est certes plus que l'Hexagone (24%) mais bien loin de la Slovaquie ou des pays baltes qui affichent 100% -à l’exception de la Lituanie qui a inauguré en 2015 un terminal flottant de gaz naturel pour diversifier ses approvisionnements-, ou de la Pologne (80%) qui malgré sa dépendance est bien moins conciliante avec Moscou, comme l'a montré sa position sur la reprise du gazoduc Nord-Stream 2. Un gazoduc pour lequel l'Allemagne (avec la Finlande) n'a pas hésité à reprendre les travaux malgré les inquiétudes de l'Union européenne. 
 
D'autant que si l'Allemagne est l'une des pierres angulaires de l'UE, en étant le pays le plus puissant économiquement des 28 en plus d'en être l'un des fondateurs, une partie de la classe politique allemande affiche clairement sa proximité avec Moscou. Bien plus qu'en France en réalité, où ce type de rapprochement reste l'objet de débats et de critiques, François Fillon ne démentira pas. L'ancien chancelier allemand, le social-démocrate Gerhard Schröder, toujours très influent, travaille activement à un rapprochement avec la Russie, pays dont il estime qu'il partage une "relation spéciale" avec l'Allemagne. 
 
Mais la principale action de Schröder pour un rapprochement avec l'Allemagne est sans doute celle d'avoir "formé" son protégé qui est aujourd'hui le membre incontournable du gouvernement Merkel: Sigmar Gabriel. Et ce dernier ne cherche même pas à cacher sa préférence marquée pour un rapprochement avec Moscou, nonobstant les inquiétudes de l'Union européenne. Lors d'un meeting à Düsseldorf en novembre 2016, il déclarait d'ailleurs que "l'Europe et l'Allemagne (on notera que les deux sont séparés, NDLR) doivent améliorer leurs relations avec la Russie et la considérer comme un partenaire fiable dont nous avons besoin pour résoudre un certain nombre de conflits". Ce même jour, il s'était déclaré sans détour en faveur d'un allègement des sanctions imposées à la Russie pour son manque de respect du protocole de Minsk sur la question ukrainienne. "La Russie interprète ces événements différemment de nous, et les sanctions économiques altèrent nos relations" s'est désolé Sigmar Gabriel.
 
Autre personnalité allemande de premier plan qui ne fait plus mystère de sa sa volonté de rapprochement avec la Russie: Martin Selmayr, le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker le président de la Commission européenne. L'homme, un protégé politique de Sigmar Gabriel, est notamment un de ceux qui a débloqué le statu quo autour du gazoduc Nord Stream 2 lorsque l'Europe avait décidé de prendre du recul sur cette coopération entre la Russie et l'Europe. Selon les révélations de Claude Turmes, un eurodéputé luxembourgeois, c'est un coup de fil échangé entre Angela Merkel et Martin Selmayr qui a poussé ce dernier à faire changer d'avis Maros Secovic, l'ancien commissaire européen à l'énergie sur la question et envisager le redémarrage du projet. La Commission européenne a alors décidé de fermer les yeux face à l'initiative allemande de redémarrer quasiment unilatéralement le projet. Dernier poids lourd du SPD -et non des moindres- à assumer une position pro-russe: Frank-Walter Steinmeier, le tout nouveau président fédéral de l'Allemagne. Avant d'occuper ce poste moins exposé, l'homme a été pendant plus de trois ans le ministre des Affaires étrangères et n'a pas manqué de multiplier les déclarations favorables à Moscou, et même les actions symboliques en ce sens: critiques de la position ukrainienne lors des accords de Minsk, lobbying intense pour une levée des sanctions, et critiques acerbes d'exercices militaires conjointement menées par la Pologne et les Etats baltes qualifiés de "bruits de bottes".
 
Et derrière ces tractations apparemment cantonnées à la seule question énergétique se cachent des questions plus délicates, tournant autour des échéances politiques 2017. A savoir le scrutin qui doit renouveler l'exécutif allemand et où l'opposition entre Angela Merkel et le candidat du SPD, probablement Martin Schulz, semble plus indécis que jamais. Si les poids lourds du SPD se montrent relativement ouverts aux intérêts russes -présumant qu'il existe une communauté d’intérêts avec ceux de l'Allemagne- Moscou ne risque-t-il pas de s'immiscer dans le scrutin? Autrement dit, ce qui est en train de se confirmer aux Etats-Unis peut-il arriver en Allemagne? Stefan Meister, un chercheur spécialiste de la Russie et membre du think tank DGAP ne confiait pas autre chose dans les pages du Financial Times en juin 2016: "Je suis inquiet. Dans une situation de tensions, le ministre allemand des Affaires étrangères affaiblit la position de l'Allemagne, de l'Union européenne et de l'Otan. Et il fait cela parce qu'il est dans les mains de Poutine". Le 2 février dernier, un sondage donnait le SPD à 28% dans les intentions de vote pour les élections législatives contre 34% pour le CDU d'Angela Merkel dont la popularité s'érode lentement mais sûrement, grignotée d’une part par le SPD mais aussi par le parti eurosceptique Alternative for Deutschland qui empiète sur les bases de la frange la plus conservatrice de la CDU. Le chemin est encore long jusqu'au 24 septembre 2017, jour du scrutin.
 
Si le SPD l'emportait cet automne, la Russie aurait de quoi se réjouir... au moins sur la question énergétique. Le Nord Stream 2 est dans le collimateur bien sûr, mais les intérêts pourraient aller bien au-delà de la seule question du gazoduc traversant l'Europe. Au moment des sanctions de l’Union européenne en 2014, pas moins de 6.000 entreprises allemandes étaient directement présentes en Russie, et elles y investissaient pas moins de 20 milliards d’euros. Or, rien qu’en 2015, les ventes allemandes en Russie ont chuté de 25%. Et les chiffres de 2016, qui ne sont pas encore connus avec certitude, ne s’annoncent guère meilleurs.
 
Moscou pourrait sans doute aussi se réjouir d’une Europe qui serait un peu plus divisée encore sur une question internationale aussi sensible que la Russie, qui cache derrière elle d’autres enjeux chauds où Moscou et Bruxelles sont impliqués, comme les tensions séparatistes en Europe de l’Est (en Crimée notamment) ou la gestion du conflit contre l’islam radical en Irak et Syrie. L’UE est une fois de plus en danger de ne pas prendre la mesure des intérêts partagés de ses différents membres. 
 
Certains observateurs laissent entendre en effet qu'une Allemagne dirigée par le SPD n'inciterait pas l'Union européenne à défendre les intérêts d'une grande entreprise européenne dans un autre site énergétique sensible: celui de Sakhaline, aux confins de la Russie orientale, ou l'anglo-néerlandais Shell possède des droits d'exploitation dont Gazprom -encore- aimerait beaucoup s'emparer. La Russie avait déjà délesté l’entreprise européenne d’une partie de ses droits d’exploitation en 2006, estimant que l’accord signé en 1996 était finalement "injuste" pour la Russie. Si l’Allemagne espère peut-être que ses propres entreprises s’imposent à la place de Shell à Sakhalin -ou sur les autres sites énergétiques de l’immense Russie- Berlin ferait bien de se rappeler ce qui arrive aux "partenaires" de Moscou quand le Kremlin décide de reprendre la main.

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