"Crime de guerre" selon l'ancienne porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki, l'utilisation des bombes à sous-munitions par l'Ukraine est relancée par les États-Unis
GUERRE - Les États-Unis vont livrer des bombes à sous-munitions (BASM) à l'Ukraine, selon le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan. Une information confirmée par le président Biden le 7 juillet dernier sur le plateau de l'émission "Fareed Zakaria GPS", diffusée sur CNN. Cette décision va à l'encontre d'une convention internationale dont l’accord signé à Oslo en 2008 interdit l'usage de ce type d'armements durant les engagements. Un accord qui n'a pas été adopté par les États-Unis, la Russie, et l'Ukraine. Selon l'ONG Amnesty International, les BASM font des "ravages parmi la population civile" et restent la cause de décès et d'handicaps "plusieurs décennies après l'arrêt des conflits".
Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, l'a annoncé il y a une semaine. L'administration américaine a décidé de livrer des BASM à l'Ukraine pour soutenir son effort de guerre. Ce pays, comme la Russie, utilise déjà ce type d'armements.
Dès 2015, les forces de Kiev comme les rebelles soutenus par Moscou recourent à ces munitions dans le cadre de la guerre du Donbass. À l’époque, le directeur adjoint de la division Urgences de l’ONG Human Watch Rights (HWR) Ole Solvang, en tant qu'observateur sur le terrain, déclare que "le recours aux armes à sous-munitions traduit un mépris total pour les populations civiles". Selon lui, "aucun des deux camps ne devrait utiliser ces armes qui sont généralement interdites" et qui "affectent des zones très vastes et mettent en danger les civils vivant à proximité. Les sous-munitions non explosées continuent de constituer un risque pour les civils longtemps après l'attaque".
Les BASM, "par nature aveugles"
En 2023, Mary Wareham, l’actuelle directrice du plaidoyer auprès de la division Armes de HWR effectue un constat similaire : "Les armes à sous-munitions utilisées par la Russie et l’Ukraine tuent des civils maintenant et vont le faire pendant de nombreuses années", qualifiant ces armes "par nature aveugles".
Lors de combats en 2022, les forces ukrainiennes font l'usage de BASM dans des zones sous contrôle russe situées à Izium, une ville de l’oblast (région) de Kharkiv. De nombreux civils sont tués : les victimes sont toutes ukrainiennes. Selon l’organisation humanitaire Humanity and Inclusion (HI), 90% des victimes de BASM sont des civils. En 2021, 140 morts sont dénombrés parmi eux à cause de ces bombes.
Peu précises et frappant "en grappe", le taux de ratés de celles-ci oscille selon la Maison-Blanche entre 2,5% et 40%. Une fourchette large, selon le type matériel, mais qui dans tous les cas fait se disséminer des bombes non explosées dans des champs agricoles ou des zones forestières. Celles-ci entraînent inévitablement la mort de civils à terme.
Voilà pourquoi en 2008 une convention internationale, qui s'est tenue à Dublin (Irlande), a proposé un accord afin de mettre fin à leur utilisation dans le monde. Ni la Russie, ni l’Ukraine, ni les États-Unis n’ont accepté de le signer à Oslo (Norvège), fin 2008. De quoi laisser se perpétrer leur usage à grande échelle.
Les BASM envoyés par l'autorité militaire américaine sont constituées de 88 "sous-bombes" par unité (roquette, obus ou munitions aéroportées). Leur lancement peut se réaliser à partir d’obusiers (Howitzer) dont la grande partie de l’équipement total de l’Ukraine a été livrée par les États-Unis : 142 ont été transférés à la fin 2022, modèle M777, équipés d’un canon 155mm. D’autres pays issus de l’Union européenne ont offert quelques canons dont la France, avec 30 Caesar, considérés comme le fleuron de son artillerie.
Écoulement des stocks au mépris de la loi américaine
Au début du conflit avec la Russie, l’Ukraine disposait de plus de 1000 obusiers mobilisables, mais de modèles anciens, chargés avec des munitions aux normes soviétiques. Leurs stocks, après avoir été rachetés partout autour du monde par les États-Unis puis offerts à l’Ukraine, viennent désormais à manquer. Cet équipement ne pouvait pas en l'état couvrir efficacement les 2500 km de ligne de front alors que la guerre a évolué en "une bataille de l’artillerie", selon Marc Cancian, un expert militaire du CSIS (Center for Strategic International Studies). Dans l’attente d’investir le ciel, avec la formation en cours de pilotes de F-16, l’importance de ce type d’armement est par conséquent devenue cruciale pour Kiev...
En ce sens, le recours à des BASM permet d’infliger plus de dégâts à l'adversaire, avec moins de canons. Des dégâts qui sont d’une nature différente : selon les autorités militaires américaines, l’une des justifications à l’utilisation des armes à sous-munitions par l'Ukraine, qui peine à mener sa contre-offensive, est justement leur capacité à atteindre des installations souterraines russes, des casemates ou d’éventuels stocks d’armement.
D’après le Pentagone, "des centaines de milliers d’obus" de ce type sont disponibles, nonobstant le fait que ces BASM ne sont plus produites pas les États-Unis depuis 2008. Ces stocks seront donc écoulés dans le cadre du conflit russo-ukrainien, au mépris de la loi américaine qui ne peut pas autoriser théoriquement le transfert de BASM au taux d’échec supérieur à 1%. Or, Pat Ryder, porte-parole du Pentagone, a déclaré lors d’une conférence de presse que ce dernier est de 2,35% pour les armes à sous-munitions livrées à l'Ukraine.
"Erreur", décision "controversée", "crime de guerre"
À chaque impact, certaines d'entre elles explosent de façon imprévisible au sein d'une large zone, d'autres n'explosent pas. Après la fin des hostilités, elles nécessitent un déminage massif et une coûteuse dépollution de l’environnement des zones impactées.
Le Premier ministre cambodgien, Hun Sen a rappelé l'histoire douloureuse de son pays en la matière, victime de bombardements américains. Il avertit sur le fait que les BASM seraient "le plus grand danger pour le peuple ukrainien", persistant "pendant des décennies" et appelle le donateur a s'abstenir d'octroyer ces armes à l'Ukraine.
Des éléments rappelés différemment sur la chaîne Public Sénat par Pascal Boniface, géopolitologue français, fondateur et directeur de l’IFRIS (Institut de relation internationales et stratégiques), qui s’étonne du peu d’indignation exprimé par les politiques et journalistes européens à propos de la nature de ces livraisons d'armes : "Ce que l'on reproche aux occidentaux, ce n'est pas les principes qu'ils mettent en avant, c'est de ne pas les respecter", dit-il.
Du côté de la presse américaine, une tribune du New York Times qualifié d’erreur la livraison de BASM de la part des États-Unis. Le titre The Hill évoque quant à lui une décision "controversée".
L'ONG Amnesty International considère "le projet de l'administration Biden de transférer des armes à sous-munitions à l'Ukraine" comme "un pas en arrière, qui sape les progrès considérables réalisés par la communauté internationale dans ses tentatives de protéger les civils de ces dangers pendant et après les conflits armés." Au début de la guerre en Ukraine, Jen Psaki, la porte-parole de la Maison Blanche, avait été interrogée sur les allégations selon lesquelles la Russie utilisait des bombes à fragmentation. Elle avait alors répondu que, si cela était vrai, cela constituerait "un crime de guerre".
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