Retour sur les allégations de crimes de guerre russes en Ukraine : Boutcha (3/6)
CHRONIQUE - Boutcha fut un tournant dans la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie. Ce fut le moment où la diabolisation de la Russie fut maximale. Les titres des journaux, notamment anglo-saxons, ne firent pas dans la dentelle :
Daily Express « Poutine va payer pour ces crimes de guerre détestables ».
Metro : « Pire que DAECH ».
Daily Mirror : « GÉNOCIDE ».
The Guardian : « Horreur à Boutcha ».
(Voir la compilation des titres sur ce site).
Le 3 avril 2022, une vidéo commence à tourner sur les réseaux sociaux montrant une route jonchée de cadavres (ici reprise floutée par Sky News). Elle n’a ni date, ni explication. Mais, les internautes qui la partagent sur Twitter en sont déjà persuadés : il s’agit de victimes ukrainiennes de la barbarie russe. Qui a besoin de preuves quand les images semblent parler d’elles-mêmes ? Qui d’autre que les méchants envahisseurs russes pourraient massacrer ainsi des civils en pleine rue ? Cela semble tout à fait logique pour la majorité des gens qui croient déjà que les Russes ont bombardé la maternité et le théâtre de Marioupol, juste pour le plaisir de tuer des femmes et des enfants. La diabolisation était déjà lancée. Boutcha ne fait que confirmer ce dont beaucoup étaient déjà convaincus : les Russes sont des barbares et commettent des crimes de guerre en masse.
Pour ma part, à la vision de cette première vidéo qui a fait le tour du monde, filmée à partir d’un véhicule en mouvement, j’ai cru reconnaitre sur le côté comme les traces d’impact d’un obus de mortier. Et, l'idée m’est venue sur le champ que les victimes ont probablement été fauchées par les éclats. La question qui se poserait alors est de savoir qui a tiré cet obus. Si la ville était occupée par l’armée russe, il serait plus logique que le bombardement ait été effectué par l’armée ukrainienne. Mais, personne ne posait ces questions.
Des accusations maximalistes et quasi immédiates
Quand des informations plus précises émergent, on voit que pour le pouvoir ukrainien, ces morts de cette petite ville de la banlieue de Kiev ne sont que la partie émergée d’un iceberg, puisque très vite, ils mentionnent près de 400 morts en ajoutant des victimes qui auraient été retrouvées dans des fosses communes aux alentours. Le président Zelenski, à partir de Boutcha, a lancé toutes les accusations possibles et imaginables contre la Russie, accusant les forces russes d'avoir commis les « crimes de guerre les plus terribles » depuis la Seconde Guerre mondiale (il n’a visiblement pas intégré les guerres d’ex-Yougoslavie) ayant « tué des familles entières… et tenté de brûler les corps », avec des civils abattus dans les rues de la ville et dans leurs propres maisons, d'autres jetés dans des puits pour mourir, ou explosés par des grenades. Certains, selon Zelenski, avaient été écrasés par des chars « juste pour le plaisir » des soldats russes. « Il n'y a pas un seul crime qu'ils ne commettent pas », a-t-il dit.
Quelques jours plus tard, la presse ukrainienne relayait aussi des accusations de viols de femmes massifs par les soldats russes (un autre article sera écrit à ce sujet). Et, le summum de l’horreur semble atteint quand survient l’accusation contre un soldat russe d’avoir violé un bébé – ce qui devient dans la perception de tous « LES Russes violent des bébés ».
Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a rajouté : « ce que nous avons vu à Boutcha n'est pas l'acte aléatoire d'une unité de voyous. C'est une campagne délibérée pour tuer, torturer, violer, commettre des atrocités ». Le président Biden qualifiera le président Poutine de criminel de guerre. Ces accusations maximalistes n’ont rien d’anodin. Si l'on voulait empêcher tout règlement du conflit par la négociation, on ne s’y prendrait pas autrement. On ne peut pas négocier avec le Mal absolu. On ne peut que lutter contre avec tous les moyens dont on dispose.
Si les pires accusations ukrainiennes et américaines sont vraies concernant les exactions contre la population, on pourrait conclure que la ville aurait subi le courroux, la paranoïa, voire la haine d’une unité particulièrement peu respectueuse des us et coutumes de la guerre. Cela arrive dans toutes les guerres. Il suffit qu’un chef donne le mauvais exemple pour que la troupe à cran se lâche (un analyste américain, Gordon Hahn, rappellera le massacre de My Lai, au Vietnam, commis par l’armée américaine).
Mais il est intéressant de noter qu’Anthony Blinken s’est empressé de nier cette possibilité, préférant dénoncer une politique de terreur massive et délibérée de la part des Russes, accusation largement reprise par les commentateurs des plateaux de télévision en France. Comme Blinken représente l’autorité, celle d’un État puissant qui prétend toujours être le phare du monde libre, des dizaines de millions de personnes vont le croire sur parole, notamment grâce à la complaisance d’une armée de médias sous contrôle qui ne va jamais questionner ses affirmations. Le public peut supposer plus ou moins consciemment que les services secrets américains sont omniscients. N’avaient-ils pas prévu l’invasion russe ? Biden et Blinken n’ont donc pas besoin de prouver leurs déclarations. Les apparences suffisent.
Mais s’ils avaient raison, on devrait trouver des victimes d’exécutions sommaires dans les centaines de villages occupés par les Russes et désertés depuis par eux. Où sont les milliers de victimes de crimes de guerre ? Où sont les condamnations en justice ? Malgré les moyens colossaux déployés, avec l’aide internationale pour les enquêtes, il semble que le compteur soit bloqué à trois condamnations.
Dénégations russes
Les Russes nient en bloc tout crime de guerre et parlent de machination et de mise en scène de la part du gouvernement ukrainien, non sans argument, notamment sur l’état semble-t-il récent des cadavres.
Si l'on ne les croit pas sur parole, on doit se demander pourquoi donc ils organiseraient-ils ce genre de campagne de tuerie de masse, alors qu’ils avaient officiellement annoncé que les civils ukrainiens n’étaient pas visés par leur opération. Quel intérêt auraient-ils eu à tuer gratuitement des civils ? Dans le scénario de la diabolisation, l’adversaire n’est ni humain, ni rationnel, il représente le Mal absolu et le Mal n’a d’autre but que de commettre le Mal. Il est frappant de constater combien de centaines de millions de personnes peuvent se laisser convaincre par ce prêt-à-penser simpliste qui paraît s’adresser à des enfants de 7 ans.
La visite guidée des crimes de guerre
Le 5 avril, le monde entier est convié à venir voir les « preuves » du massacre. Des centaines de journalistes se précipitent pour la visite guidée organisée pour eux par le pouvoir. A-t-on jamais vu dans l’histoire de l’humanité autant de journalistes au kilomètre carré ?
Sur le site Balkansinsight, on peut voir ces journalistes déambuler en troupeau au milieu d’une rue jonchée de carcasses blindés calcinées.
Sont-ce des véhicules russes ou de véhicules ukrainiens ? Encore une fois, la question que personne n’a l’air de se poser n’est pas anodine. La ville n’était-elle pas occupée par l’armée russe ? Si ce sont des véhicules russes qui ont ainsi pris feu, cela impliquerait que la rue fut bombardée par l’ennemi, c’est-à-dire, l’armée ukrainienne. Un tel bombardement aurait-il pu causer des victimes collatérales ? Personne ne pose la question.
La photo qui suit contribue à la sensation de malaise née de l’impression que l’on pourrait avoir affaire à une mise en scène, avec un amas de cinq à six corps à moitié calcinés livrés au regard de dizaines de journalistes agglutinés derrière des bandes de séparation en plastique. On peut voir les photos sur le blog libyancivilwar, la 45ᵉ série de photos en partant du haut dans le paragraphe « dumped and burnt ».Qui sont ces pauvres gens ? Qui les a tués ? Pour quelles raisons ? Sont-ils morts sur place où les corps ont-ils été déplacés ? Qui a tenté de brûler les corps ? Pour ceux qui ne se contentent pas des réponses toutes faites du gouvernement ukrainien qui est juge et partie, un travail d’investigation s’impose, autant que faire se peut.
La photo suivante illustre la même scène, une fois que les cadavres ont été mis dans des sacs mortuaires.
Photo : Genya SAVILOV/AFP via Getty Images
Lire aussi : Retour sur les allégations de crimes de guerre russes en Ukraine: la maternité de Marioupol
Quels sont les faits ?
Pour y voir plus clair, il faut encore une fois se reporter à l’étude du terrain, à l’observation précise et à la chronologie des événements.
D’abord, comme on peut le voir sur cette carte partagée par le professeur Ivan Katchanovski, qui s’est fait connaitre pour son enquête approfondie sur le massacre de Maïdan en 2014 – les victimes sont réparties sur toute la ville.
The New York Times documented the bodies of almost three dozen people where they were killed in Bucha — in their homes, in the woods, in a vacant parking lot — and learned the story behind many of their deaths. Read more: https://t.co/UfJBpaoiY9 pic.twitter.com/PdPPrMi1G6
— The New York Times (@nytimes) April 11, 2022
Quand on se penche sur les faits sans se contenter du prêt-à-penser des titres à sensation, on comprend très vite que l’on a affaire à une situation complexe, faite de multiples incidents étalés dans le temps, dans une zone qui n’a cessé de changer de mains. Les choses se compliquent également lorsque, à l'instar du site libyancivilwar.blogspot.org on émet l’hypothèse, loin d’être absurde, d’une présence secrète de l’armée ukrainienne dans la ville quand elle était occupée par les Russes. Il ne faudrait pas un article, mais un livre entier pour tenter d’éclairer chacune de ces histoires dans l’histoire. Et, des enquêteurs officiels travaillent dessus depuis des mois sans avoir encore bouclé leurs enquêtes. Cet article n’a donc pas l’ambition de faire la lumière sur tous ces incidents.
D’après Wikipedia, les Russes sont entrés une première fois dans Boutcha le 27 février, pour essuyer une embuscade destructrice via un bombardement d’artillerie ou de drone Bayraktar. Les carcasses de blindés qui jonchent la ville, notamment la rue Vokzalna, dateraient de ce jour-là. Le 3 mars, les Ukrainiens ont annoncé avoir repris le contrôle de la ville, jusqu’à la mairie au nord-ouest, pour le perdre à nouveau le 12 mars. Entretemps, les combats avaient continué.
Les Russes ont quitté Bucha le 30 mars. Mais, leur retrait sous pression de l’armée ukrainienne fut progressif, cette dernière ayant commencé à reconquérir du terrain à compter du 19 ou du 20 mars, d’après une carte publiée ci-dessous.
Le 31 mars, le maire de la ville publiait une vidéo dans laquelle il confirmait le départ des Russes, le sourire aux lèvres, sans rien mentionner des victimes civiles ou des cadavres jonchant les rues.
Lire aussi : Retour sur les allégations de crimes de guerre russes en Ukraine: le théâtre de Marioupol
Un groupe de criminels, premiers soldats ukrainiens à entrer dans Boutcha après le retrait russe
Le 1ᵉʳ avril, une conseillère municipale posant en uniforme avait annoncé une campagne de « nettoyage » de la ville des saboteurs éventuels et elle recommandait aux habitants de rester chez eux pour ne pas être ciblés.
Le même jour, des forces ukrainiennes pénètrent dans la ville, notamment une unité d’Azov, surnommée les Botsman Boys, commandée par un chef sulfureux, Sergei “Botsman” Korotkikh. Une vidéo circule, apparemment filmée par ce dernier, pendant son entrée dans la ville avec ses soldats. Les soldats déambulent dans cette même rue jonchée de carcasses où, plus tard, les journalistes les suivront en masse. L’un des soldats, hors-champ, demande la permission de tirer à vue sur des individus ne portant pas de brassards bleus, le signe de reconnaissance des forces ukrainiennes dans le secteur. L’autorisation est accordée par le chef.
« Botsman » a été dénoncé en 2021 par le Kiyv Post (un journal qui n’a rien d’un titre pro-Russe), comme le leader d’un gang de criminels d’extrême droite, admirateurs de Hitler, dont certains ont déjà été condamnés pour meurtre. De nombreux cadavres entourent Botsman, mais il a toujours réussi à échapper à la condamnation, notamment grâce à la protection du puissant ministre de l’Intérieur ukrainien de 2014 à 2021, Arsen Avakov. À titre d’exemple, en 2015, Botsman a eu un conflit avec un autre membre d’Azov, un certain Babych. Botsman aurait déclaré : « nous devons faire quelque chose à propos des traitres ». Un mois plus tard, Babych était retrouvé mort. Bref, Botsman et ses hommes ont donc tout à fait le profil de criminels en uniforme prêts à faire le sale boulot du pouvoir. Des hommes qui auraient très bien pu tuer des civils qu’ils soupçonneraient d’être des pro-Russes, pour ensuite les faire passer pour des victimes des Russes, ce qui serait faire coup double. Aucune preuve n'existe contre eux. Mais, qui va oser enquêter sur de tels hommes de main ?
La fameuse vidéo prise à partir d’un véhicule semble être tournée le 2 avril, le lendemain de la visite de Botsman.
Avec l’annonce du retrait anticipé des troupes russes du nord de l’Ukraine, les services de propagande anglo-saxons et ukrainiens, tels le 72ᵉ Centre pour les opérations psychologiques et d'information, étaient certainement à l’affut de pistes à exploiter pour diaboliser l’ennemi. Cela donnait de nombreuses opportunités pour faire un audit des exactions éventuelles à amplifier, ou à mettre en scène.
Le Français Adrien Bocquet prétend avoir été sur place à Boutcha et avoir vu des cadavres être rajoutés dans la rue. Ses détracteurs prétendent qu’il n’est arrivé en Ukraine que le 4 avril, soit après que le scandale de Boutcha a éclaté dans le monde entier. Mais Bocquet prétend s’être rendu sur place sans contrôle de passeport, ce qui est surprenant et pas très clair. Il faudrait pouvoir l’interviewer plus en détail. Il demeure que ses dires sont en raccord avec certaines photos publiées par le site waronfakes, dans le paragraphe intitulé « How could bodies have appeared in Bucha? », où au moins un cadavre apparait ou disparait suivant les photos. Et, la visite organisée des journalistes eut lieu le 5 avril. Donc, si Bocquet était sur place le 4, il aurait pu voir des cadavres rajoutés pour ce 5 avril. Ce genre de manipulation macabre a déjà eu lieu en Bosnie-Herzégovine dans les années 90. Après un des attentats de Markale, les Bosniaques avaient « mélangé » les corps de victimes sortis de la morgue qui n’avaient rien à voir avec le bombardement et les vraies victimes pour gonfler le bilan (je tiens cela du témoignage direct d’un médecin militaire français qui était sur place), pour déjà provoquer une réaction de l’occident à hauteur du massacre. D’une guerre à l’autre, on retrouve les mêmes ingrédients. En Syrie, c’était les attaques chimiques bien douteuses qui étaient censées provoquer les représailles de l’Occident.
Les brassards blancs
D’après ce site, le fait que plusieurs victimes aient été retrouvées soit avec un brassard blanc, soit les mains attachées dans le dos avec un tissu blanc serait un signe qu’ils auraient été tués par des Ukrainiens. Les troupes russes évoluent en effet, avec un brassard blanc distinctif, quand les troupes ukrainiennes en portent des bleus ou des jaunes. La vidéo terrible, ignorée en occident, d’un groupe de soldats russes exécutés par des soldats ukrainiens près de Kharkiv est citée à titre d’illustration de prisonniers attachés avant leur exécution.
Dans la vidéo tournée par Business Insider, à la 18ᵉ seconde, on peut voir le cadavre d’un homme gisant sur le dos dans la rue. On voit clairement qu'il porte un brassard blanc au bras gauche. Même chose à la 26ᵉ seconde, où au moins un cadavre sur les quatre accroupis dans une cave, porte un brassard blanc (on ne voit pas les autres entièrement), et encore à 1 minute 26.
La chasse aux « collabos »
La volonté des Ukrainiens d’éliminer les « collaborateurs » est aussi avérée dans de nombreuses villes d’Ukraine, le plus récemment à Nikolaev où la ville a été fermée courant juillet et encore début août pour faire leur chasse. Auparavant, un représentant d’un parti d’extrême droite ukrainien, la vraie extrême droite, violente et ouvertement haineuse, publiait fièrement sur Telegram des photos de trois pro-russes tabassés à mort à Severodonetsk. Mark Sleboda, un analyste américain, montre les photos des victimes dans une intervention, ou bien d’autres exactions sont mentionnées. Le média indépendant TheGrayzone a aussi fait une compilation d’exactions commises par le pouvoir ukrainien et ses bras armés contre ses opposants. La junte au pouvoir à Kiev, qui s’enfonce dans l’extrémisme absurde, a même décidé le 16 août de criminaliser le fait de recevoir de l’aide humanitaire russe, assimilé à du collaborationnisme et passible de 15 ans de prison. Les Ukrainiens qui n’ont pas voulu ou pu quitter leurs maisons dans les zones occupées sont donc censés se laisser crever de faim pour prouver leur allégeance. Au passage, pourquoi un envahisseur dont Blinken dit qu’il a l’intention de tuer, torturer, violer les Ukrainiens, leur délivre-t-il de l’aide humanitaire ?
Au moins une des victimes de Boutcha, Oleksandr Rzhavsky, a été identifiée comme pro-Russe. Ancien député, ses idées politiques étaient connues. Officiellement, il fut tué le 27 mars par un soldat russe sous l’effet de l’alcool, les détails changeant suivant les versions. Comme le chercheur Adam Larson l’écrit, « pour les gens entrainés à accepter les allégations les plus simplistes contre la Russie et les Russes, l’incident illustre parfaitement la sombre nature de ses derniers. Certains pourront y voir les plans génocidaires désordonnés de Poutine, commençant idéalement avec ses propres soutiens… Comme si tout ce Mal ne laissait aucune place à logique ». Les Russes prétendent eux que Rzhavsky était vivant le 30 mars, diffusant un enregistrement d’une conversation où ce dernier refusait la proposition d’un officier russe de quitter la ville avec eux.
Les images satellites
Des photos du satellite Maxar sont publiées le 4 avril par le New York Times. Elles ont prétendument été prises le 19 mars et montrent déjà des cadavres sur la rue Yablunska, la fameuse rue filmée début avril. Les auteurs du NYT prétendent que les cadavres étaient là depuis le 11 mars, sans que l’on sache comment ils sont arrivés à cette conclusion. Au passage, Waronfakes apprend que Maxar Technologies Inc. travaille essentiellement pour le Département de la Défense américain. Toujours d’après Waronfakes, le site Telegram “Rybar” a déterminé la date de la photographie via le logiciel SunCalc qui calculerait la date et l’heure des photos en analysant les ombres. D’après eux, la photo a été prise le 1ᵉʳ avril à 11 h 00 GMT.
Le 6 avril, Maxar Technologies aurait décidé de ne plus vendre d’images de Boutcha datées entre le 19 et le 23 mars qui auraient pu confirmer la version du NYT. Seules des photos à partir du 31 mars étaient disponibles.
Le cycliste, première victime filmée.
La vidéo publiée le 5 avril du cycliste tué, à l’angle des rues Yablunska et Volkzavna, daterait du 3 mars, la date de la 1ʳᵉ reconquête de la ville par les Ukrainiens. Dès lors, on peut s’interroger sur la nationalité des nombreux blindés occupant les rues à ce moment-là et que l'on voit sur les images. S’agit-il de Russes ou d’Ukrainiens ? S’il s’agit de Russes, le cycliste faisant irruption par le côté sud de la rue Volkzavana, venait de la direction dangereuse, de la zone encore contrôlée par l’ennemi. Dès lors, des troupes à cran, peuvent naturellement avoir la gâchette facile et voir dans toute silhouette osant s’approcher à quelques dizaines de mètres un tireur potentiel ou un guetteur. Doit-on appeler cela une « atrocité » comme le fait le New York Times ? Où s’agit-il des malheurs et des aléas du chaos de la guerre ? S’il s’agit de Russes et que l’armée Ukrainienne a bien repris la ville le même jour — ce qui expliquerait la surveillance du drone qui filme la scène — les troupes russes, ayant déjà subi de lourdes pertes quelques jours plus tôt, semblaient avoir quelques raisons d’être sur la défensive, si près de la ligne de front.
Article du New York Times sur 8 victimes
Le NYT, a publié plusieurs articles sur Boutcha. L’un d’entre eux s’est attardé sur le sort de neuf hommes ukrainiens qui auraient été exécutés le 4 mars. Ils auraient appartenu à la défense territoriale, cette entité composée de volontaires civils à qui le gouvernement a livré des armes à la va-vite, dans l’urgence, au début de l’invasion russe. Le NYT s’attarde sur une vidéo montrant deux soldats encadrant neuf civils prisonniers. On ne voit aucun visage. Il s’agirait de civils retrouvés exécutés plus tard à l’angle d’un petit immeuble, situé 144 rue Yablunska, qui servit de QG à l’unité russe qui occupait la zone. Si les faits sont avérés, il s’agit d’un crime de guerre. Nul n’est censé exécuter les prisonniers ni les civils.
Le récit du NYT comporte néanmoins un problème. La vidéo des prisonniers, dont certains contestent l’authenticité, daterait du 4 mars d’après le NYT. Or, à cette date, les Russes avaient perdu le contrôle de la ville, d'après le compte Twitter newsfromSlavyangrad@DeuNachrichten et comme l’écrit aussi Wikipédia. Le NYT prétend que la reconquête des Russes a commencé le 3 mars par cette rue, la rue Yablinska.
Sur la carte ci-dessous, une mention « 8 executed », qui s’appliquerait aux hommes que l’on voit sur la vidéo, apparait. Mais la date estimée de leur mort est entre le 20 et le 27 mars, histoire qu’elle concorde avec la présence russe. Le même compte Twitter souligne aussi l’absence d’informations disponibles pour le public concernant la date des décès estimés par des pathologistes, éléments pourtant déterminants dans toute enquête criminelle. Sans être spécialiste, les corps semblent étonnamment bien conservés après un mois, le froid, peut-être ; la témpérature est restée négative jusqu’au 12 mars. À partir du 14, elle monte crescendo jusqu’à 17. Et, pourquoi les Russes auraient-ils laissé ces cadavres pourrir en bas de leur QG pendant des semaines, alors que toute personne qui a approché des cadavres sait pertinemment que les odeurs dues à la décomposition arrivent vite et qu'elles sont très fortes et très désagréables. Pour intimider la population ? Par manque de temps ? Ailleurs dans la ville, près de l’église, la tranchée où de nombreux cadavres furent enterrés, était déjà creusée dès le 13 mars, peut-être même avant. Elle aurait été commencée le 10 mars.
Les rations de combat russe
Sur les images où huit morts apparaissent (il n’est pas évident de reconnaitre les mêmes huit personnes filmées), on distingue aussi au moins trois boites de ration de combat russe au milieu des cadavres et de divers déchets (voir le post 4/4). La présence de ces boites interroge. Certains ont prétendu que les individus auraient pu avoir été exécutés parce qu’ils auraient accepté l’aide humanitaire russe, preuve supposée de leur duplicité. D’autres pourraient y voir la volonté de lier les exécutions avec l’armée russe de manière un peu trop évidente. Il demeure que, depuis le 16 août, le pouvoir ukrainien considère le fait d’accepter l’aide humanitaire russe comme une preuve de collaboration. Il n’est donc pas absurde de penser que la présence de ces boites soit un message adressé à la population par les unités de représailles telles qu’Azov.
Corps de soldats russes tués présentés comme des civils ukrainiens
Le 16 mai, un chercheur américain indépendant, Adam Larson, a twitté une série de photos. La première reprend un tweet de Mykhailo Fedorov, vice-premier ministre ukrainien, dénonçant les horreurs de Boutcha et demandant des armes dans la foulée. Sauf que Larson, qui a une culture encyclopédique sur la zone, a découvert que la photo de deux cadavres calcinés correspond à des soldats russes tués à Irpin le 27 février, et dont les corps ont été brûlés par la suite, sans doute à des fins de propagande pour faire croire qu’il s’agissait de civils.
Carte du Dr Abdullah
La carte qui suit a été récupérée sur Twitter. 43 victimes y sont localisées, en plus du cimetière et d’une fosse commune. La ville était située sur la ligne de front durant tout le mois de mars ou presque. Sa reprise par les forces ukrainiennes par deux fois ne s’est pas faite en lançant des fleurs. Il y a eu à l’évidence des combats et des bombardements.
#BuchaMassacre masterlist somewhat updated with the latest blog posts. This is me trying for more bite sized. More coming. Improved map. https://t.co/wBrYDmwyRR pic.twitter.com/HVFJPJEtsN
— Adam Larson #EndtheOPCWCoverup #FreeAssange (@CL4Syr) May 23, 2022
Cette carte fut créée par Adam Larson, sur la base d’un travail d’un certain Dr Abdullah. Larson a décortiqué depuis des mois tout ce qu’il a pu trouver d’écrit en anglais sur les massacres de Boutcha. Il tient un blog appelé : http://libyancivilwar.blogspot.com/ et son compte twitter est ici. Son travail de recherche et de comparaison est impressionnant, sans cesse affiné. On voit sur cette carte publiée le 23 mai une zone surnommée « mortar alley », l’allée des mortiers, sur la rue Yablunska, qui semble bien correspondre à la rue filmée début avril. Selon cette carte, les victimes auraient été tuées entre le 5 et le 18 mars, jusqu’au 24, la zone étant très proche de la ligne de front. Cette même zone n’a cessé de changer de mains. Incursion russe dès le 27 février, reprise par les Ukrainiens le 3 mars, reperdue à la date du 12, reconquise à la date du 19 mars. Si les victimes dans cette rue ont bien été tuées par de tirs de mortier, étant donné la date supposée des décès entre le 5 mars ou le 24 mars, il parait bien difficile de déterminer précisément qui tenait cette rue à ce moment-là, et donc qui l’a bombardée. Encore une fois, si la zone était contrôlée par les Russes, il semblerait plus logique que ce soit les Ukrainiens qui l’aient bombardée.
Quand on zoome sur la carte, on voit que Larson estime la moitié des morts jonchant la rue Yablunska, comme datant du 5 mars. Il ajoute en plus des petits symboles avec les impacts d’obus et la direction estimée de tirs. On s’aperçoit alors que trois impacts entourant les morts au milieu de la rue Yablunska semblent avoir été laissés par des obus tirés du sud-est, c’est-à-dire du territoire qui a toujours été contrôlé par l’Ukraine. Plus à l’est, un ou deux impacts venant du nord-ouest, zone contrôlée par les Russes, pourraient expliquer la présence d’autres cadavres.
À noter aussi que Larson a identifié 4 cadavres portant des brassards blancs dans cette zone, dont l’un se situait clairement en zone ukrainienne s’il est bien mort en date du 24 mars, comme indiqué. Reste à savoir comment.
Précisons que d’une carte à l’autre, Larson a changé les dates de mort estimée de plusieurs cadavres. Son travail n’est donc qu’indicatif et ne constitue pas à ce stade une référence incontestable.
Carte de Julian Roepcke
Plus tard, Larson avouera ne pas être certain de l’exactitude de la chronologie de la reconquête ukrainienne de la ville estimée par le Dr Abdullah. Il publiera alors en guise de comparaison la carte d’un Allemand pro-ukrainien, Julian Roepcke, qui serait inspirée de sources ukrainiennes.
Death in Bucha's Gray Zone, Part 9: The case for a secret Ukrainian presence in Bucha - starting with flawed maps showing 🇺🇦 running more than half the city by the 23rd, official claims of 0%, and considering mapped clues for & against a middle truth https://t.co/1kqBhytWaD pic.twitter.com/8OrfHBVFEZ
— Adam Larson #EndtheOPCWCoverup #FreeAssange (@CL4Syr) July 28, 2022
Quand on compare les dates d’occupation des différents quartiers, avec les dates présumées des décès des victimes, la situation parait toujours aussi sujette à controverse. Il n’est toujours pas évident de conclure qui a tué qui.
Mais les cinq victimes exécutées le 2 avril, au nord de la ville, peuvent difficilement avoir été tuées par les Russes qui, à ce moment-là, s’étaient retirées depuis deux jours.
Larson a créé une autre carte qui permet de donner une cohérence à la vidéo du 4 mars du NYT et celle du malheureux cycliste du 3 mars. J’y ai rajouté les cercles rouges, les flèches jaunes et le texte en français pour vérifier la concordance.
Cela dit, Larson s’est sans doute appuyé sur les vidéos pour faire cette carte. Par conséquent, il est possible qu’il s’agisse ici du chat qui se mord la queue, non pas la carte qui donne sens aux vidéos, mais les vidéos qui font naitre la carte. Il faut donc rester prudent.
Le chaos de la guerre
Les victimes de la fosse commune seraient au nombre de 280. La plupart auraient été tuées par des bombardements, et n’ont donc pas été exécutées. Dès lors, toute la difficulté est de savoir qui est responsable de ces bombardements. Or, comme le dit dans le Figaro un gendarme français envoyé pour enquêter sur place : « la vraie difficulté est que les Ukrainiens et les Russes utilisent le même type d’armement ». L’idée que toutes les victimes des bombardements auraient été tués par des bombes russes est absurde. Encore une fois, l’armée ukrainienne ne combat pas avec des bouquets de fleurs et n’hésite pas à bombarder les zones civiles dans le Donbass. Comment chasser une force d’occupation d’une ville sans lui faire la guerre d’une manière ou d’une autre ? Par ailleurs, si des tireurs se mettent au sommet des immeubles, ou au milieu des habitations, ils attirent naturellement les feux adverses sur eux et mettent en danger tous les habitants environnants. Or, Amnesty International a démontré que l’armée ukrainienne avait tendance à agir ainsi. Le fait qu’il y ait des victimes de bombardement ne veut pas dire qu’il s’agit de crimes de guerre ou d’atrocités, ou pas forcément du côté de celui qui tire. Utiliser les civils comme boucliers humains est une violation des lois de la guerre.
Certaines victimes, quelques dizaines tout au plus, semblent avoir été exécutées, possiblement par des Russes, d’autres possiblement par des Ukrainiens, les uns et les autres faisant la chasse aux balances qui donneraient leurs positions à l’ennemi, aux combattants plus ou moins clandestins et les autres la chasse aux « traitres » et aux « collabos ». Toute force armée en terrain hostile est nerveuse et a tendance à considérer tous les civils comme des ennemis en puissance, d’autant plus quand ses premières incursions sur le territoire donné se sont terminées en désastre avec de lourdes pertes (cf. : la colonne blindée décimée le 27 février). Le cycliste abattu dès qu’il a montré le bout de son nez devant une colonne de chars semble confirmer ce fait.
Les précédents occidentaux
Par contraste de traitement médiatique, on peut aussi évoquer les dizaines d’Irakiens ou d’Afghans abattus par des soldats américains ou britanniques parce qu’ils s’approchaient de trop près des check-points ou des véhicules des coalitions d’invasion. La compagnie militaire privée américaine Blackwater s’est rendue mondialement célèbre pour avoir la gâchette particulièrement facile en Irak.
Les exactions des armées occidentales dans les guerres d’Irak, d’Afghanistan ou de Syrie n’ont jamais bénéficié du dixième de l’attention médiatique accordée à Boutcha. Julian Assange est persécuté depuis des années par le gouvernement américain, avec la complicité des gouvernements britannique et Suédois et la passivité de tous les gouvernements européens, pour avoir dénoncé les crimes de l’armée américaine en Irak.
Les conclusions intermédiaires d’observateurs américains indépendants
Gordon Hahn, un chercheur américain spécialiste de la Russie, a publié le 10 mai un article sur Boutcha dans lequel il livre ses réflexions. Voici ses conclusions : « Le récit occidentalo-ukrainien est que les Russes ont massacré des centaines de civils ukrainiens à Boutcha […] Quelques heures après que des responsables ukrainiens ont affirmé qu'il s'agissait d'un massacre majeur, des responsables américains ont demandé que le président russe Vladimir Poutine soit inculpé de crimes de guerre. Aucune enquête, aucun fait n'avait encore été présenté. La réalité commence à apparaître de manière radicalement différente des revendications ukrainiennes et occidentales, bien qu'elle ne blanchisse certainement pas toutes les troupes russes qui se trouvaient à Boutcha. Nous ne savons toujours pas exactement le quand, où, qui et comment de tous les meurtres de Boutcha, mais il semble qu'une forte majorité des quelque 400 morts aient été les victimes tragiques habituelles de la guerre. »
Dans un post daté du 10 juillet, Adam Larson écrit ceci : « J'étais initialement très sceptique face à ces tueries attribuées à la Russie, mais en ayant appris davantage sur la situation militaire, les possibilités d'éventuelles opérations « sous fausse bannière » semblent assez limitées. Les forces russes sont probablement responsables de la grande majorité de la violence examinée ici, mais pas de la totalité. Certains crimes de guerre sont clairs, y compris au moins une exécution sur le terrain et plusieurs tirs de tireurs d'élite, et ces affirmations ont un certain soutien ou du moins ne peuvent pas toutes être exclues. Cependant, la plupart des incidents sont plus obscurs et nécessitent une étude pour comparer les histoires avec les autres preuves disponibles ». Mais le 27 juillet, Larson évoquait l’hypothèse d’une présence secrète de l’armée ukrainienne à Boutcha, ce qui compliquerait encore plus l’interprétation de ce qui s’y est passé.
En résumé
Il y a bien des victimes, près de 400, mais la plupart semblent être des victimes de bombardements aussi bien russes qu’ukrainiens, des victimes collatérales d’une lutte pour le contrôle d’une ville qui, pour son malheur, se trouva sur la ligne de front pendant un mois, et qui changea de main à quatre reprises.
La rapidité avec laquelle le monde occidental et l’Ukraine ont accusé la Russie de crimes de guerre massifs après le départ des troupes russes du nord de l’Ukraine, ainsi que les appels immédiats à sanctionner toujours plus la Russie, démontrent qu’ils y avaient un intérêt, et donne du crédit à l’hypothèse qu’ils auraient pu mettre en scène ces meurtres. Cui bono ? Les Russes ayant annoncé leur retrait dès le 29 mars, les Ukrainiens ont bénéficié d’un peu de temps qui aura pu servir à quelques préparations. Cette thèse d’une manipulation bien préparée est cependant jugée moins probable par Larson.
Il reste cependant l’hypothèse de l’exploitation maximale de la constatation de quelques exactions, quitte à exagérer les faits et à en rajouter, à l’image de ce que les Bosniaques firent après l’un des massacres de Markale. Comme on l’a vu, au moins deux cadavres présentés par les autorités ukrainiennes n’étaient pas des civils ukrainiens, mais des soldats russes. Dès lors, tout peut devenir suspect.
Tout crime de guerre est condamnable, qu’il soit conduit par des Ukrainiens ou des Russes, et toute allégation ou soupçon de crime de guerre doit faire l'objet d'une investigation comme il se doit.
Mais quand les enquêteurs sont juges et parties, on est naturellement sur un terrain glissant, avec risque de manipulation et de pression, d’autant plus quand la propagande est si importante pour motiver des décisions qui ne seraient jamais prises en temps ordinaire, comme des sanctions antirusses tellement maximales qu’elles sont suicidaires pour l’Europe. Dans ce contexte, l’absence de conclusion de l’enquête autour de Boutcha, cinq mois après les faits, malgré (ou à cause de) l’aide d’enquêteurs internationaux — ne peut qu’interroger et laisse a minima circonspect. Cette absence de résultats n’est sans doute pas étrangère à l’éviction, le 17 juillet, de la procureure générale de l’Ukraine en charge des enquêtes, Iryna Venediktova.
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