Harcèlement moral : "France Télécom c'est la partie visible de l'iceberg"

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 07 juillet 2016 - 19:33
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Une assemblée générale de France Telecom
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Pour le psychiatre Patrick Légeron, les transformations au sein de France Telecom ont été conduite "sans tenir compte du facteur humain"
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Le psychiatre Patrick Légeron a réagi à la question du harcèlement moral au sein de l'entreprise qui pourrait conduire France Telecom et ses ex-dirigeants au tribunal après la vague de suicides de 2007-2009. Pour lui, ces drames sont le résultat de "l'ensemble du management", signal que la France a encore des progrès à faire en la matière.

Le "harcèlement moral", retenu par la justice pour qualifier une politique ayant mené des salariés de France Télécom au suicide, se focalise sur un type de souffrance au travail mais passe sous silence la "mécanique infernale" managériale à l'œuvre dans nombre d'entreprises françaises, estime le psychiatre Patrick Légeron, dans un entretien à l'AFP.

 

 > Peut-on parler de "harcèlement moral" dans le cas de France Télécom ?

"Les enquêtes européennes et françaises disent qu'environ 25% des salariés sont exposés à un stress trop élevé au travail, 5% au harcèlement et 5% aux violences physiques (venant de l'extérieur, NDLR). Les environnements de travail, les changements, les réorganisations mettent à rude épreuve le psychisme humain des gens jusqu'à des situations où ils sont complètement déstabilisés, souffrent, se suicident ou tombent en burn-out.

"Le harcèlement est moins fréquent mais légalement répréhensible (loi de 2002, NDLR) et il y a une tendance juridique à mettre sous l'étiquette harcèlement beaucoup de situations dans lesquelles les salariés sont très mal dans leur peau.

"France Télécom a été mise en tension très forte et il y a eu des pratiques managériales dénoncées, inacceptables. Ne devrait-on pas plutôt parler de mise en danger de la vie d'autrui ? Ce n'est pas le fait d'avoir voulu transformer l'entreprise qui est en cause mais la manière dont cette transformation a été conduite au niveau managérial, sans tenir compte du facteur humain".

> Comment en est-on arrivé là ? Est-ce le fait de quelques dirigeants ?

"Contrairement aux pays nordiques qui ont signé des accord entre leurs partenaires sociaux dès 1977 (Danemark), comprenant que les grands changements du monde du travail allaient avoir un impact sur les individus, il a fallu en France des drames pour une prise de conscience. On observait déjà les suicides au travail dans les années 2000 mais il y avait une honte à en parler, un silence un peu complice de tout le monde. Il y a eu des suicides chez Renault, PSA, La Poste, Pôle Emploi...

"A l'époque de France Télécom, tout le monde a été étonné de l'attitude de l'entreprise, des propos (du patron de l'époque Didier) Lombard parlant de +mode des suicides+. Ce qui s'est passé n'est pas dû à un individu en particulier, l'ensemble du management a été coincé dans une mécanique infernale: il fallait faire partir des gens, on donnait des primes aux managers qui y parvenaient.

"Les spécialistes savent bien que France Télécom aurait pu mener une transformation nécessaire sans ces drames. Au même moment, Deutsche Telekom (Allemagne) l'a fait sans drame. Beaucoup de sonnettes d'alarme ont pourtant été tirées par des personnes extérieures, dont les médecins du travail".

 > Cette crise a-t-elle permis une prise de conscience des entreprises ? Pourrait-elle se reproduire ?

"Les entreprises se préoccupent beaucoup de ces questions, mais par peur des conséquences juridiques. C'est un très mauvais moteur. Les pays scandinaves s'intéressent au bien-être des salariés non pas par peur d'une condamnation mais parce qu'ils savent que des salariés qui vont bien psychologiquement sont extrêmement productifs.

"Je crains fort que les entreprises cherchent uniquement à se protéger pour éviter les conséquences judiciaires. France Télécom, c'est la partie visible de l'iceberg mais malgré le nombre de personnes qui craquent au boulot, en burn-out, la préoccupation d'aller plus loin n'aboutira pas forcément à améliorer le bien-être. Et ça peut se reproduire, bien sûr. Les suicides au travail, il y en a encore, le problème c'est qu'on n'en connaît pas l'ampleur".

 

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