Mediator : la responsabilité des laboratoires Servier réexaminée
C'était une première: en octobre, la justice civile avait condamné les laboratoires Servier pour avoir laissé sur le marché le Mediator, médicament "défectueux" dont ils ne pouvaient "ignorer les risques". Ce jeudi 3, la question de leur responsabilité a été réexaminée en appel à Versailles.
Huit ans après la révélation du scandale sanitaire, le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre, saisi des demandes de deux malades exposés au Mediator, avait condamné pour la première fois le fabricant Servier à indemniser leur préjudice, le 22 octobre dernier. Aucune victime présumée du Mediator n'avait jusque-là été indemnisée judiciairement, les tribunaux ayant seulement accordé des provisions.
L'une des victimes, un homme de 73 ans, avait fait appel, et Servier avait interjeté appel dans le second dossier, celui d'une femme de 67 ans. Seul ce dernier a été plaidé jeudi à la cour d'appel de Versailles, le premier ayant été renvoyé à une date ultérieure pour un motif de forme. Cette femme, qui a consommé du Mediator de 2006 à 2009, demande à la justice une nouvelle expertise médicale destinée à mieux cerner son préjudice et 50.000 euros de provisions à Servier. Ou, à défaut, plus de 40.000 euros d'indemnisation -elle en avait obtenu 9.750 en octobre.
Consommé par cinq millions de personnes, l'antidiabétique, largement prescrit comme coupe-faim pendant plus de 30 ans et retiré du marché français en novembre 2009, est à l'origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d'hypertension artérielle pulmonaire, pathologie rare et actuellement incurable. Son principe actif, le benfluorex, contient de la norfenfluramine, un anorexigène qui déclenche les effets indésirables.
Les débats, techniques, ont porté sur les liens entre la valvulopathie de cette malade et le caractère "défectueux" du Mediator, dont les juges de Nanterre avaient estimé qu'en 2006 déjà, "l'état des connaissances scientifiques ne permettait pas d'ignorer les risques d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathie induits par le benfluorex". "La seule suspicion de ces risques", selon les magistrats, obligeait les laboratoires Servier "à en informer les patients et les professionnels de santé", notamment dans la notice d'utilisation.
Servier a réitéré sa position jeudi: "les connaissances (sur le défaut) du Mediator étaient très progressives. Le risque n'a été avéré qu'en 2009", a plaidé Me Nathalie Carrère. Version contestée par la défense de la malade: "au minimum en 1999, ce n'est plus du doute, c'est de la certitude d'une implication du benfluroex dans ces problématiques cardiaques et pulmonaires", a rétorqué Me Martine Verdier.
Les laboratoires contestent la neutralité et la méthodologie du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2011, qui avait estimé que le retrait du médicament aurait dû intervenir dès 1999. Le tribunal de Nanterre s'était notamment appuyé sur ce rapport pour reconnaître la "défectuosité" du médicament: "les éléments recueillis par les autorités de santé entre 1995 et 2005 auraient dû conduire à une évaluation défavorable de la balance bénéfice-risque du Mediator". Servier conteste également le "lien direct et certain" entre valvulopathie et prise du médicament qu'avaient retenu les magistrats dans le dossier de cette femme.
La cour rendra son arrêt le 14 avril. Si les victimes du Mediator espèrent qu'une décision favorable permettra de débloquer des procédures judiciaires, elle pourra encore toutefois faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
Le scandale du Mediator, révélé en 2007 par le docteur Irène Frachon, fait l'objet de plusieurs procédures judiciaires civiles, pénales et administratives. A la fin janvier 2016, la société avait déjà versé 17,9 millions d'euros pour indemniser les patients, dans le cadre de transactions éteignant de fait les actions judiciaires ou d'accords amiables. Le Mediator pourrait être responsable à long terme de 500 à 2.100 décès, selon différentes études.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.