Juan-les-Pins éternel - Les Maraudes épisode 014
Les Maraudes de France-Soir
(épisode 014)
Bonjour à vous, fidèles de ces maraudes. Ces instants de vie, la vraie, dans la rue, que j'ai le plaisir de pouvoir partager avec vous.
Veinard et privilégié que je suis, me voici de retour sur la Côte d'Azur. Qui plus est dans un endroit que j'apprécie particulièrement : Juan-les-Pins.
Les plages y sont magnifiques et l'eau transparente. L'ambiance est à la décontraction. Baignade, jeux de toutes sortes sur le sable et dans la mer pour les enfants, et, pour les plus grands, farniente, drague et enlacements. Rien n'a changé depuis ma dernière venue… en 1996. Si ce n'est qu'aux vendeurs de cacahuètes caramélisées à la criée, se sont ajoutées des personnes qui proposent des massages. En tout bien tout honneur, attention ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas écrit. Deux dames asiatiques d'un certain âge, qui se sont réparti le bord de mer à cet endroit-là. Peut-être y a-t-il également un service après-vente possible, à domicile, ensuite, et davantage dans l'intimité. Galanterie de mise, je me suis interdit de le leur demander. À l'inverse, et malgré le fait que, puisqu'elles le font, ça doit certainement être le cas (sinon elles ne le feraient pas), je me suis autorisé à leur demander si leur activité est intéressante lucrativement. Non parce que, attention ! En plein cagnard, purée, ça doit être sacrément éprouvant. « Très bon travail ! Très dur mais l'argent, bien. » m'a répondu Mananya (1), la moins jeune des deux, avec un accent qui m'a semblé un tantinet forcé. Commercial. Délibérément caricatural, j'imagine, pour coller au cliché. Ce qui me fait penser cela, c'est le fait que la deuxième, Araya (2), la trentaine débutante, a ri aux éclats, lorsque, juste après ça, c'est avec ce même accent moqueur, disons emprunté à Michel Leeb, que j'ai répliqué en ces mots : « Moi, chroniqueur dans journal. Inverse de vous. Métier pas dur, mais argent pas bien. » (2)
C'est là que, soudain, une mélodie chantée est venue raviver, avec plaisir, un souvenir merveilleux que j'ai de Juan-les-Pins. L'annonce publicitaire d'un vendeur de beignets à la sauvette, sur la plage, criée sur l'intro de la cinquième de Beethoven : « Beignets aux pommes. Pom-pom-pom. »
Extraordinaire ! « La première fois que j'ai entendu ça, c'était en 1982. J'avais trouvé ça génial ! », ai-je dit à ce courageux commerçant ambulant, la trentaine finissante, lui, que deux mois d'un soleil de plomb avait magnifiquement rôti. Bronzé à souhait, comme sur les cartes postales publicitaires. « 1982 !?! Mais vous avez quel âge ? » s'est enquis Rahan (1), auprès de votre serviteur, visiblement surpris que je puisse encore être en vie, 42 ans plus tard. J'aurais dû lui rétorquer ceci : « Si vieux, ai-je l'air, à tes jeunes yeux ? » Oui, tel « Maître Yoda » s'adressant à « Luke Skywalker » dans « Le retour du Jedi. » Mais non. Sous le poids de la stupéfaction, j'ai manqué de répartie. Rahan lui aussi est content de sa saison d'été : « Fin-juillet, début-août, c'était dur. À cause des J.O. il y avait moins de monde sur la plage. Mais ensuite c'est reparti à donf, et finalement, oui : ça va encore être une bonne année. » Je suis content pour lui. C'est vraiment un travail harassant et ingrat. Vu la grosse centaine de kilomètres (au moins) qu'il parcourt à pied durant la saison, en plein soleil et avec ses deux grosses glacières en bandoulière, sincèrement : il mérite.
Un autre que lui est tout autant méritant. Davantage méritant, peut-être, même. C'est « François » (1), le caricaturiste. En effet, lui, cela fait 45 ans qu'il promène sa longue carcasse et ses crayons. Ses fusains, plus exactement. Car c'est au fusain qu'il « croque » (4) ceux à qui il tire le portrait, comme ça, en quelques traits savamment couchés sur un papier dessin format « A3. » Si ! C'est ça, pour moi, qui est le plus fabuleux : en cinq minutes grand maximum, il vous pond un portrait craché « mieux que l'original », dit-il en souriant, tandis qu'il lance sa tirade promotionnelle aux passants. Sur la photo que j'ai mise en illustration, c'est le monsieur en jean, chemise ouverte, qui a les yeux sur son téléphone. C'est incroyable ! Hormis quelques rides, il n'a pas changé. Et avec toujours, donc, la même « coupe » de cheveux.
« Tu me reconnais ? », lui ai-je demandé, immédiatement après qu'il eut fini de s'installer. « Non. », m'a-t-il répondu. C'est normal. À l'époque, j'avais des cheveux, moi. Et, contrairement à François qui lui n'a pas pris d'embonpoint, moi, j'ai pris du poids. Un peu de muscle, mais trop de gras.
« Tu m'as tiré le portrait en 1984. Ici, à Juan-les-Pins. Précisément c'était là-bas, un peu plus loin, devant ce qui était alors l'espace de jeux pour les enfants, en contrebas. C'était un samedi soir, comme aujourd'hui, mais bien plus tard dans la soirée. J'avais été ton dernier client, et, ensuite, rappelle-toi, on était allé boire un coup au « Crystal » (5), et on avait fini au « Voum-Voum » (6), ronds défoncés. »
« Ah oui ! Ça me revient ! Tatave ! » (7), cria-t-il alors, enthousiaste. Heureux comme moi que nous nous retrouvions, nous qui ne nous étions plus vus depuis 40 ans. « Et bien, si tu veux bien, aujourd'hui tu seras mon premier client. », ajouta-t-il. « Et pour toi c'est gratuit. Si-si ! En souvenir du bon vieux temps. » Sachant que cela consistait aussi à le « baronner », j'ai accepté l'invitation. J'explique. D'ordinaire, à défaut d'une personne qui se présente spontanément, les caricaturistes attirent les clients en réalisant le portrait d'un complice. Un « baron », dit-on (d'où l'expression « baronner »), qui se prête à l'exercice, afin que les passants puissent voir ce que cela donne, apprécier le talent du gars, et devant la somptuosité du résultat, décider de subir le même traitement.
A 15 euros le portrait, franchement : c'est cadeau.
(1) les prénoms ont été changés. J'ai choisi « Mananya » pour la plus expérimentée, car ce prénom thaïlandais signifie « Sage et Intelligente », et « Araya » pour celle qui est dans la fleur de l'âge, parce que cet autre prénom thaïlandais signifie, lui, « Beauté Rayonnante » : il évoque la splendeur et la lumière, symbole d'une féminité éclatante. Et si j'ai appelé le vendeur de beignets « Rahan », c'est parce qu'outre sa peau blanche qu'il a rendue mate, le soleil a blondi ses longs cheveux bruns, les rendant similaires à ceux de « Rahan » (3), le héros de cette bande dessinée française, scénarisée par Roger Lécureux et illustrée par André Chéret, qui est apparue le 24 février 1969 dans le premier numéro de Pif Gadget, le journal « politique » préféré d'Emmanuel Macron.
(2) ceci est un message personnel pour notre DRH bien-aimé.
3) les aventures de « Rahan » (alias « Le fils de Crao »), se déroulent dans une version imaginaire de la Préhistoire. Un monde où « Ceux qui marchent debout » (les hommes) côtoient les dinosaures et survivent en affrontant les bêtes sauvages. Au nombre de celles-ci, figure un « quatre-mains » (singe) concupiscent à l'excès. Ayant refusé la vaccination anti-covid, il était porteur de la syphilis. Si le concernant, cette maladie (dixit Wikipédia) « sexuellement transmissible connue familièrement sous le nom de vérole » avariée, a varié en « variole », on tient sans doute là notre patient zéro.
(4) le verbe « croquer » vient de la maîtrise du croquis qu'il faut avoir pour être un bon caricaturiste.
(5) un bar-glacier-restaurant dansant, très connu et huppé, sur la zone piétonne, et qui existe encore.
(6) une discothèque, qui elle, hélas, a fermé depuis belle-lurette.
(7) comme la plupart des Octave, les copains et amis me surnomment affectueusement « Tatave. »
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