Retour au Brésil

Auteur(s)
Franck Tordjman, pour FranceSoir
Publié le 04 novembre 2022 - 18:05
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Brésil
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TRIBUNE - Alors que Lula vient de réussir un come back des plus improbables de la vie politique mondiale, Franck Tordjman livre ses impressions sur cette puissance fragile et rappelle quelques faits qui sont autant d’enjeux pour le nouveau président.

Le Brésil occupe une place à part dans l’imaginaire des Français

Vaste pays de plus de 8 millions de kilomètres carrés (soit 15 fois la France), le Brésil évoque la douceur de vivre, la samba, le football, la forêt amazonienne, les carnavals de Rio et de Salvador de Bahia, les plages de Copacabana ou du Nordeste. Mais le Brésil renvoie aussi une image de pauvreté, celle des favelas aux abords des métropoles et évoque une certaine violence et des difficultés économiques et politiques récurrentes.

Pays toujours émergent, on situe en revanche mal ses points forts. Régulièrement classé entre le 10e et le 8e rang mondial pour son PIB (suivant les classements et les taux de changes retenus), le Brésil est en réalité une puissance économique indiscutable qui jouit d’un fort potentiel de développement.

Au premier rang mondial dans de nombreux secteurs agricoles (soja, canne à sucre, jus d’orange, café...) c’est aussi une puissance industrielle régionale avec une très bonne filière agroalimentaire et des productions de qualité en caoutchouc, textiles, cosmétiques, avions de ligne et automobiles...

Les découvertes récentes de pétrole et de gaz ont conforté son mix énergétique qui était déjà bien positionné avec une importante production d’hydroélectricité et l’usage généralisé de l’éthanol pour les véhicules routiers. Désormais autosuffisant en énergie, ce pays peut exporter une partie significative de sa production et bénéficie au premier chef du Mercosur (la principale zone de libre échange sud américaine).

La balance commerciale du Brésil est désormais largement excédentaire de plusieurs milliards de dollars, ce qui, couplé avec une monnaie enfin stable (le Real), devrait donner du pouvoir d’achat à ce pays et à ces habitants sur le moyen et long terme.

Ces bons résultats ont été toutefois compromis comme en Europe par la pandémie de la Covid-19 et le retour de l’inflation.

Cependant, avec près de 220 millions d’habitants, le revenu par habitant reste nettement inférieur à celui des pays développés et le Brésil ne pointe qu’au 80e rang mondial en terme de PIB par habitant, un résultat indigne de la première économie d'Amérique du Sud (même si les régions du sud apparaissent nettement plus prospères que celles du nord-est ou d'Amazonie).

Le salaire moyen et le revenu moyen sont respectivement deux et trois fois moins élevés qu’en France, mais les inégalités y sont bien plus fortes. Ainsi, les 1% plus riches brésiliens sont plus riches que les 1% plus riches français. Les pauvres, inversement, y sont bien plus pauvres et bien plus nombreux, Dans ce pays riche, la pauvreté et l'extrême pauvreté du tiers monde subsistent et 15% de la population soit 30 millions d’habitants vit avec moins d’un euro par jour.

Les travailleurs pauvres sont d’ailleurs particulièrement mal lotis avec un salaire minimum de 200 euros mensuels dans ce pays où les prix ne sont pas dérisoires (50 à 80% des prix français voire parfois aussi cher qu’en France en fonction des catégories de produits).

En revanche, la classe moyenne vit relativement bien. Elle représente désormais près de 50 % de la population ; la grande crainte des Brésiliens est d’en être exclus en cas de nouvelle crise économique ou politique.

De retour au Brésil, que j’avais arpenté pendant trois mois il y a une trentaine d’années à l’occasion d’un congé sabbatique, voici ce qui m’a de prime abord frappé.

Tout d'abord, la monnaie est désormais stable et le marché noir de devises a désormais disparu (ce qui n'est pas le cas en Argentine où les problèmes monétaires restent récurrents).

Depuis un an, le Real s'est apprécié vis-à-vis de l'euro, passant de 6 à 5 reals pour un euro et se maintient très bien vis-à-vis du dollar. Les élections n’ont d'ailleurs pour l'instant rien changé sur ce point.

Les Brésiliens privilégient désormais les paiements électroniques et même les petits vendeurs de Salgados ou de caïpirinha proposent de régler les achats avec un terminal portable (y compris sur la plage ou dans n'importe quel petit kiosque en ville comme à la campagne). La diffusion à grande échelle de ces terminaux de paiement est une idée de génie et une aubaine pour le micro tertiaire.

 

Tous les commerces acceptent les cartes de crédit et les nôtres fonctionnent parfaitement sans contact. Les Brésiliens limitent ainsi la circulation de pièces et billets (et donc les vols). Les Brésiliens paient aussi fréquemment directement avec leurs téléphones portables.

L'utilisation d'Internet s’est généralisée comme un peu partout dans le monde, mais elle permet ici d'améliorer les prestations les plus variées. Il est possible de réserver un Uber dans n’importe quelle ville avec l’option de payer la course en cash. On peut réserver sa place de parking dans la rue ou prendre un billet de bus Intercités. On trouve facilement un wifi dans la moindre pousada ou dans un café et la quasi-totalité des Brésiliens vit avec son portable et discute avec ses amis sur WhatsApp, dans le bus ou bien dans le métro de Rio ou de Sao Paulo.

Si l’urbanisme n'a pas fondamentalement changé, les boutiques et les supermarchés sont désormais nombreux et aussi attrayants qu'en Europe. En matière de mode féminine, les Brésiliennes n’ont rien à envier au reste du monde pour ce qui est de se préparer pour la plage ou pour la ville. Le Brésil est d’ailleurs le troisième marché beauté du monde. Le cœur des grandes villes du sud est moderne et ressemble aux métropoles nord-américaines.

Revers de la médaille et conséquence inattendue du développement, une certaine malbouffe sévit et on compte désormais un fort pourcentage d'obèses, un paradoxe dans ce pays qui pratique le culte du corps et de la beauté. Ce fléau n'existait pas il y a trente ans et il n'atteint pas que les classes populaires. De nombreuses personnes manifestement aisées sont en surpoids, un peu comme aux États-Unis. Un surpoids apparemment assumé sur la plage et qui ne décourage pas les bikinis. Il est possible que le style de vie et les produits locaux soient des facteurs défavorables, car les tentations en matière de jus de fruits, de cocktails ou de délicieuses brochettes sont innombrables sur les plages où les Brésiliens adorent se retrouver en famille ou avec des amis…

Avec une classe moyenne qui s'est donc développée et un pays qui apparaît finalement assez moderne, les écarts de niveaux de vie sont encore plus criants que par le passé. Les SDF restent nombreux dans les grandes villes et il est particulièrement choquant d'assister au tri nocturne des poubelles dans les beaux quartiers où ils cherchent à récupérer de la nourriture ou des objets recyclables, qu'ils pourront revendre au poids du métal.

Cette persistance de la pauvreté dans ce pays riche qui devrait être prospère s'explique en partie par l’abandon des plans de Lula qui a été écarté du pouvoir pendant 6 ans. Avec ses plans « bolsa familia » et « fomé zéro », Lula avait permis de sortir de l’extrême pauvreté plusieurs millions de Brésiliens. Il en reste encore 30 millions et Lula a été élu sur cet espoir d'un retour à une politique plus sociale et égalitaire.

Cependant, comme le soulignait dans un article récent Teresita Dussart, la partie n'est pas gagnée d'avance ni pour Lula ni pour le Brésil. Tout d'abord, Lula devra composer avec le centre et les droites, s'il n'est pas rattrapé par les affaires qui l'avaient écarté du pouvoir. Bolsanaro est d’ailleurs beaucoup moins rejeté dans son pays qu'il ne l'est à l’étranger et nombre de ses partisans ont du mal à accepter sa défaite. Certains Brésiliens craignent en effet un retour de la corruption même s'ils sont conscients que le clan Bolsonairo n'est pas non plus exempt de critiques. Ils craignent aussi une dérive économique socialiste et l’exemple de leurs voisins argentins ou vénézuéliens n'est pas fait pour les rassurer.

Quoi qu'il en soit, le Brésil poursuivra sa route. Ce pays n'est pas un pays de non-droit et Lula bénéficie d'une image positive dans le monde alors que celle de Bolsonaro est catastrophique. Lorsque Lula avait été élu pour la première fois, il avait dû appliquer une politique orthodoxe et tailler dans les dépenses publiques pour rembourser un important prêt du FMI. Espérons qu'il saura à nouveau composer avec les attentes non seulement de ses électeurs, mais celles de la majorité des Brésiliens.

Une minorité des partisans de Jair Bolsonaro a tenté de contester le résultat des élections avec des moyens qui rappelaient un peu le mouvement des gilets jaunes français (notamment le blocage de routes et autoroutes). Ils n’ont pas entraîné l’adhésion du pays, se sont vite fait rappeler à l’ordre et les Bolsonaristes élus en tant que députés et gouverneurs de régions, jouent plutôt l’apaisement en attendant une éventuelle revanche dans quatre ans.

Enfin, pour terminer sur une note plus touristique, j’aimerais aborder le dernier point qui peut légitimement inquiéter tout voyageur, celui de la violence et de la délinquance.

Il y a trente ans, j’avais parcouru le nord-est jusqu’à Rio un sac sur l’épaule et descendu l’amazone en bateau en compagnie de garimperos, dormant dans un hamac. J'avais été confronté à quelques situations bizarres, mais pas ressenti plus de violence qu'à Bogotá, Lima, ou Chicago, la cordialité brésilienne permettant en général de régler rapidement tout malentendu. La criminalité existe, c'est un fait, mais elle ne cible pas particulièrement les touristes en dehors des vols dans les lieux touristiques

Avec un minimum de précaution, n'importe quel voyageur peut découvrir seul, avec des amis ou en famille, ce pays magnifique. Les conseils aux voyageurs de notre ministère des Affaires étrangères sont pertinents et bien documentés. Il faut les suivre et, si vous allez au Brésil, vous serez frappé par la gentillesse, la joie de vivre et l’humour de ses habitants.

 

Franck Tordjman est agrégé des universités. Il a enseigné l’économie et le marketing-management à l’Université Paris Val-de-Marne et au CNAM à Toulouse. 

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