Janvier 1946 : De Gaulle quitte "définitivement" la vie politique... (VIDEO)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 16 janvier 2015 - 15:36
Mis à jour le 29 décembre 2017 - 00:21
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La Une du 22 janvier 1946
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En janvier 1946, le général de Gaulle claque la porte du Gouvernement provisoire qu'il dirige depuis la Libération. Lassé des manoeuvres des partis, il se retire de la vie politique, "définitivement" selon son entourage. Ce ne sera qu'une traversée du désert, avant son retour au pouvoir en 1958.

Mardi 22 janvier 1946, le gros titre de Une de France-Soir est péremptoire. Sur toute la largeur du journal, il s'étale sur quatre lignes et affirme: "DE GAULLE SE RETIRE. Il quitte définitivement la vie politique ET SA DÉCISION EST IRRÉVOCABLE, annonce le directeur de son cabinet, Gaston Palewski".

A cette époque le général de Gaulle, héros de la Libération, était chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) depuis juin 1944. Légiférant par ordonnances, ce gouvernement d'unité nationale avait engagé la reconstruction de la France: diplomatique (création de l'ONU et membre permanent du Conseil de sécurité), économique (nationalisation des banques et des grandes entreprises), politique (droit de vote accordé aux femmes), sociale (création de la Sécurité sociale).

Mais s'il avait réussi à restaurer l'ordre républicain en organisant des élections (municipales des 29 avril et 13 mai 1945, législatives et référendum du 21 octobre 1945), De Gaulle n'était pas d'accord avec les projets des différents partis pour doter le pays d'une nouvelle Constitution. Il va donc prétexte du refus du vote des crédits militaires pour quitter le pouvoir le 20 janvier 1946, laissant la place au socialiste Félix Gouin, président de l'Assemblée nationale constituante élue en octobre 1945.

France-Soir explique la situation en première page: Félix Gouin "est rentré à Paris, hier soir, à 21h30. Il a aussitôt reçu M. Gaston Palewski, directeur du cabinet du général de Gaulle, qui venait lui apporter un message du président du Gouvernement provisoire". "Ce message, dont on ignore le contenu exact, mais dont on sait que le général de Gaulle y déclare qu'il quitte son poste, sera communiqué à midi, par M. Félix Gouin, aux membres du bureau de l'Assemblée et aux présidents des différents groupes".

France-Soir ajoute qu'"après avoir été reçu par M. Félix Gouin, M. Gaston Palewski a fait la déclaration suivante qui est bève, mais formelle: +LE GENERAL DE GAULLE NE DEMISSIONNE PAS. IL QUITTE SON POSTE, ET CELA IRREVOCABLEMENT. D'AILLEURS, LE GENERAL SE RETIRE DEFINITIVEMENT DE LA VIE POLITIQUE+". Ces dernières phrases sont en lettres majuscules dans l'article, signe de l'importance de l'événement. France-Soir raconte ensuite les circonstances dans lesquelles De Gaulle a annoncé sa décision à ses ministres, le dimanche 20 janvier, et donne "les 3 raisons d'un départ".

Raison économique d'abord: "les mesures prises pour essayer de résoudre la question du ravitaillement n'auraient pas eu les résultats heureux qu'on en espérait en haut lieu", explique le quotidien de Pierre Lazareff. "C'est ainsi que depuis quelques jours, les paysans refuseraient de livrer leur bétail, les prix fixés n'étant pas assez élevés".

La deuxième raison avancée par France-Soir est constitutionnelle: "les récents votes de la commission de la Constitution semblent prouver que l'on s'achemine vers une Constitution qui ne donnera que des pouvoirs très réduits au futur président de la République. Au contraire, le général de Gaulle est partisan de textes donnant des pouvoirs étendus au président de la République, à l'exemple de ce qui se passe aux Etats-Unis". L'avenir prouvera que cette deuxième raison est la plus importante.

Troisième explication enfin au départ de De Gaulle, selon le journal, une raison politique: "depuis quelques jours, on constate un rapprochement très sérieux entre les socialistes et les communistes, accompagné d'un désir de plus en plus net de rompre avec les modérés".

Sur la droite de la Une, le journaliste économique Jacques Gascuel dresse un bilan sévère de l'action du Gouvernement provisoire, sous le titre "L'expérience économique et financière est une faillite"Il explique que "la production a augmenté de 25% en 16 mois et demi mais... 1.-on a remplacé la doctrine par des expédients; 2.-on a mécontenté les salariés et paralysé les employeurs; 3.-on a négligé les problèmes vitaux du ravitaillement; 4.-on a trompé les Français sur la véritable situation".

Le général de Gaulle quitte donc le pouvoir en ce 20 janvier 1946, et se retire de la vie politique. "Définitivement" et de manière "irrévocable", comme l'affirme son directeur de son cabinet Gaston Palewski? Pas vraiment.

Car le 16 juin 1946, dans son "discours de Bayeux" resté célèbre, il expose sa vision constitutionnelle de la France, prônant un exécutif fort et un Parlement avec deux chambres. Il ne sera pas écouté, et la IVe République, adoptée par référendum en octobre (après un premier échec en mai) consacrera le régime des partis, source d'instabilité des différents gouvernements.

Le général de Gaulle entamera alors une traversée du désert jusqu'en 1958, où il sortira de sa retraite politique "définitive" et "irrévocable" pour revenir en force au pouvoir, devenant président du Conseil à l'appel du président de la République René Coty, avant d'imposer la Vème République et de devenir chef de l'Etat pendant plus de dix ans.

(Voir ci-dessous un extrait du discours de Bayeux du général de Gaulle du 16 juin 1946): 

 

 

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