La CPI entend Pretoria sur son refus d'arrêter Omar el-Béchir
Pretoria a affirmé vendredi lors d'une audience inédite devant la Cour pénale internationale (CPI) n'avoir violé aucune loi ni règle en refusant d'arrêter sur son sol en 2015 le président soudanais Omar el-Béchir, poursuivi pour génocide.
"Il n'est et n'était pas du devoir de l'Afrique du Sud, aux termes du droit international, d'arrêter le chef en exercice d'un Etat non membre (de la Cour) comme M. Béchir", a déclaré Dire Tladi, conseiller juridique de l'Afrique du Sud, dénonçant "l'incohérence et le manque de clarté" des lois, des règles et de la jurisprudence.
Jamais inquiété jusqu'à présent, le président soudanais est visé par deux mandats d'arrêt internationaux émis par la CPI en 2009 et 2010 pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour, province de l'ouest du Soudan en proie depuis 2003 à une guerre civile qui a fait 330.000 morts, selon l'ONU.
A la mi-juin 2015, Pretoria avait ainsi laissé Omar el-Béchir rentrer chez lui après sa participation à un sommet de l'Union africaine (UA) à Johannesburg.
Et en permettant à son avion de décoller d'une base militaire, le gouvernement, qui avait l'occasion de l'arrêter, "a choisi de ne pas le faire", a déclaré vendredi Julian Nicholls, représentant de l'accusation.
"C'était une inquiétude pour l'Afrique du Sud", a rétorqué Sandea De Wet, conseillère légale de Pretoria. "Nous n'avons reçu l'information de la participation de M. Béchir en réalité qu'après qu'il a officiellement atterri. (...) La machinerie d'un gouvernement fonctionne lentement."
- 'Un jour devant la CPI' -
Plusieurs anciens habitants du Darfour et victimes de ce conflit, désormais installés aux Pays-Bas, ont assisté à l'audience à La Haye.
"Nous savons que Béchir viendra un jour devant la CPI, s'il est vivant", a déclaré à l'AFP Yousif Fasher, 30 ans, victime et défenseur des droits de l'Homme. "Cela prendra du temps... Mais un jour, il devra venir se présenter devant la CPI. C'est notre message à l'Afrique du Sud."
Les juges devront décider si ce pays signataire du statut de Rome, traité fondateur de la CPI, a ainsi "manqué à ses obligations", a souligné le juge Cuno Tarfusser
Evoquant son "rôle de pacificateur sur le continent", le gouvernement sud-africain assure s'être retrouvé partagé entre le respect des règles de la CPI en arrêtant Omar el-Béchir et celui de sa propre législation qui garantit l'immunité présidentielle.
Pour M. Nicholls, l'attitude de l'Afrique du Sud est "un acte grave de non-respect des lois".
"Sans la coopération des Etats membres", a-t-il affirmé, "la Cour sera incapable d'appliquer ses fonctions les plus fondamentales: traduire devant la justice des personnes accusées des crimes les plus graves qui concernent l'humanité et déterminer leur culpabilité ou innocence."
Car la Cour fondée en 2002 ne dispose pas de force de police propre pour arrêter les suspects qu'elle recherche.
"La CPI est le seul moyen de vaincre l'impunité en Afrique", a réagi auprès de l'AFP le juge sud-africain retraité Johann Krigler, représentant la Commission internationale des juristes, se disant "déçu" que le "gouvernement semble avoir tourné le dos à son engagement vis-à-vis de la loi".
- 'Sous un mauvais jour' -
Les juges, dont la décision sera annoncée à une date ultérieure, pourraient décider de renvoyer l'Afrique du Sud devant l'Assemblée des Etats parties au statut de Rome et le Conseil de sécurité de l'ONU pour d'éventuelles sanctions.
Destinée, selon M. Tladi, à "présenter l'Afrique du Sud sous un mauvais jour", une telle mesure est nécessaire "pour empêcher que cela ne se reproduise à l'avenir", affirme l'accusation.
La semaine dernière, M. Béchir a assisté librement au sommet de la Ligue arabe en Jordanie malgré les appels des défenseurs des droits de l'Homme à l'interpeller.
La CPI a déjà renvoyé l'an dernier le Tchad, Djibouti et l'Ouganda devant l'ONU pour ne pas avoir arrêté Omar el-Béchir sur leur territoire. Sans qu'aucune mesure ne soit prise jusqu'ici à leur encontre.
Irritée par cette polémique, l'Afrique du Sud avait entamé en février des démarches pour se retirer de la CPI, souvent accusée de "persécution envers les Africains". Mais la justice nationale les a déclarées "invalides".
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