Quand le travail dérègle l'horloge biologique, aux dépens du sommeil et de la santé

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Par AFP
Publié le 17 mars 2017 - 17:58
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Chacun a des besoins de sommeil différents et dormir avec son chat ou en couple peut faire chaud au
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© JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP/Archives
Quelle que soit l'activité professionnelle, "le temps réservé au sommeil est de plus en plus court et de mauvaise qualité".
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On dort moins longtemps et moins bien en France comme dans l'ensemble des pays industrialisés, où les rythmes de vie et de travail, en particulier de nuit et en horaires décalés, perturbent notre horloge biologique, au péril de notre santé, alertent des spécialistes, interrogés par l'AFP avec plusieurs patients.

Plus de la moitié des Français ne dorment pas assez et près d'un tiers déclarent souffrir d'au moins un trouble du sommeil. 16% souffrent d'insomnie chronique, tandis que 73% disent se réveiller au moins une fois par nuit environ 30 minutes et 28% somnoler en journée, selon l'institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), initiateur de la journée du sommeil en France (www.journeedusommeil.org).

"La performance est devenue un impératif socio-culturel qui, ajouté au développement des écrans, d'internet et des réseaux sociaux, dérègle totalement l'horloge biologique. On peut être sur le pont à toute heure du jour et de la nuit, sept jours sur sept, avec comme conséquence un manque chronique de sommeil ou une insomnie", déplore Joëlle Adrien, neurobiologiste et présidente de l'INSV.

"Lorsqu'ils ne respectent plus l'alternance vitale éveil/jour, sommeil/nuit, les rythmes et organisations de travail perturbent complètement notre sommeil avec un coût social et de santé considérable", ajoute-t-elle.

Maladies cardio-vasculaires, cancers, en particulier du sein chez la femme, surpoids, diabète...: "les répercussions du manque de sommeil sur la santé sont graves", confirme à l'AFP le professeur Damien Léger, responsable du centre du sommeil et de la vigilance à l'Hôtel Dieu (AP-HP Paris-Descartes).

Les travailleurs de la nuit et ceux en horaires décalés (qui changent d'une semaine ou d'un jour à l'autre) sont les plus touchés. "C'est 20% des salariés (six millions) qui dorment en moyenne une à deux heures de moins par 24 heures, une nuit de moins par semaine et 30 à 40 nuits de moins par an que ceux qui travaillent de jour", analyse le Pr Léger, auteur de recommandations adoptées par la Haute autorité de santé (HAS) pour la surveillance de ces travailleurs.

Infirmière de nuit pendant près de deux ans "en poste de douze heures", Isabelle, 31 ans, a dû arrêter, suite à "des malaises, problèmes digestifs et une dépression". Soumise aux mêmes rythmes, sa collègue Sonia, 28 ans, "apprécie sa disponibilité de jour pour ses enfants" mais "ne peut plus dormir sans aide médicamenteuse".

Même chose pour Jean, 36 ans, agent d'entretien affecté au nettoyage de bureaux entre 3H00 et 10H00 et souvent le dimanche qui ne se sent "jamais reposé" même quand il parvient à s'endormir "avec des somnifères". Il dit souffrir régulièrement de "maux de tête".

La proportion des travailleurs de nuit (15,4%) a plus que doublé en 20 ans et concerne 3,5 millions de personnes, selon l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Et "les métiers changent", dit le Pr Léger citant, aux côtés de l'industrie, "la sécurité, la santé, les transports, la grande distribution mais aussi la communication, les médias et l'accompagnement des personnes dépendantes".

Son constat est sans appel : quelle que soit l'activité professionnelle, "le temps réservé au sommeil est de plus en plus court et de mauvaise qualité".

- Apnée du sommeil, trous de mémoire -

C'est le travail de jour qui a conduit Thierry Lemoine, 58 ans, comptable au service d'une grande entreprise américaine spécialisée dans la gestion des ressources humaines, à consulter le Pr Léger.

"Il y a quelques années, raconte-t-il, je me levais aussi fatigué qu'en me couchant. Ça a été le révélateur d'une apnée du sommeil sévère et de troubles du sommeil suivis de trous de mémoire. J'ai vite fait le lien avec le travail".

"J'avais une pression constante de la part de ma hiérarchie mais j'ai continué", ajoute-t-il, confessant un "burn out" (épuisement professionnel) qui lui a "ouvert les yeux".

Autre patiente du Pr Léger, Christelle, 43 ans, est diagnostiquée "hypersomnolente" en 2014, suite à un accident de la route.

"Je me réveillais cinq à dix fois par nuit et je m'endormais dans la journée", explique cette enseignante spécialisée dans l'aide aux élèves en difficulté (Rased). Elle travaillait dans six établissements du Pas-de-Calais, à raison de "trois par jour". Un matin, "je me suis endormie au volant; j'ai eu le sternum cassé mais ça aurait pu être plus grave", dit-elle.

- Télétravail, nouvelles technologies -

Pour éviter de longs trajets, certains salariés choisissent le télétravail mais, selon un récent rapport de l'ONU, à trop forte dose il perturbe aussi le sommeil.

"42% des salariés qui travaillent en permanence à domicile" et "42% des télétravailleurs très mobiles" ont en effet des problèmes de sommeil, contre "29% pour ceux travaillant sur un lieu de travail", indique ce document, qui relève "un allongement" et une "intensification" du travail par chevauchement des temps de travail et personnel.

Autre risque pour l'horloge biologique, les nouvelles technologies "ont profondément changé la nature du travail et induisent une fatigue psychique", estime le psychiatre Patrick Légeron, pionnier dans l'étude des maladies liées au stress au travail.

Non seulement le travail sur écran induit une "fatigue visuelle forte" mais "la lumière des leds stimule la vigilance au même titre que le café" et l'hyperconnexion "charge notre cerveau en permanence par des alertes, du zapping", explique-t-il.

Les enquêtes de l'INSV ont montré que 40% des 18-35 ans dorment avec leur téléphone allumé et 30% de ceux-là (12%) répondent à des e-mails ou sms au milieu de la nuit. "Leur sommeil en est forcément perturbé directement ou indirectement. Or, pour dormir, il faut faire silence, le vide", insiste le Pr Léger.

Alors que 18% des personnes qui dorment mal ne se traitent pas et que neuf personnes sur dix de celles qui se soignent ont recours aux médicaments, selon l'INSV, le Pr Léger développe des traitements qui s'appuient sur les thérapies cognitives et comportementales, la lumière, la relaxation, la pleine conscience et le sport.

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