Accidents de chasse : quelle responsabilité pour les chasseurs ?
Les faits récents réitèrent l’affirmation de la dangerosité de la chasse. Les chasseurs sont la cause de nombreux accidents. Ces derniers peuvent être mortels ou générateurs de chocs de toute nature à l’égard du public. Par exemple (pour n’en citer que quelques-uns récents ayant suscité de vives réactions), à Taussac (Aveyron), une femme âgée de 60 ans a été accidentellement tuée par le tir d’un chasseur qui l’a confondue avec un cerf alors qu’elle se trouvait dans son jardin.
Les chasseurs peuvent aussi être victimes de cette activité: ainsi, l’un d’eux, âgé de 74 ans, a été tué par une balle tirée par l'un de ses compagnons lors une battue aux sangliers dans le Diois (Drôme). Des accidents non mortels ont aussi été recensés suscitant le choc du public et des personnes concernées. En effet, récemment, un cerf a été abattu au sein d’une propriété privée provoquant une vive émotion de la part du propriétaire qui n’aurait pas donné son accord. Il s’est retrouvé dans cette propriété des suites d’une chasse à courre[1]. Un nouvel accident, plus rare, a causé la mort d’un rabatteur de 62 ans lors d’une chasse à tir dans l’Oise. Lors de la battue pour débusquer le gibier, un cerf a foncé droit sur l’homme le blessant mortellement.
Les deux récents accidents concernant les cervidés ont amené le ministre de l’environnement, Nicolas Hulot, à souhaiter une concertation sur la chasse à courre mais aussi sur la lutte contre la souffrance animale. En effet, il est à noter que les deux derniers accidents trouvent aussi l’origine dans le stress occasionné à l’animal par cette activité.
Toute catégorie de dommages peut ainsi être concernée mettant en œuvre le mécanisme de la responsabilité. Ils concernent d’une part l’intérêt privé de la victime concernée et d’autre part l’intérêt général protégeant la société dans son ensemble. Pour l’un, il conviendra de se placer sur le terrain de la responsabilité civile, pour l’autre, sur celui de la responsabilité pénale.
S’agissant de la responsabilité civile, sa mise en œuvre suggère la réunion de trois éléments: un fait générateur, un dommage et le lien de causalité. Les dommages peuvent être de diverses natures: corporels, matériels ou moraux. Tous sont susceptibles d’être amenés devant un juge afin d’obtenir réparation. La variable se fera sur le montant de l’indemnisation selon la nature du dommage (le montant du dommage moral sera moindre que celui du dommage corporel). Les dommages matériels sont généralement les véhicules ayant reçu un plomb ou une balle mais aussi les chiens ou autres animaux de compagnie pouvant être blessés ou tués par le tir d’un chasseur[2]. Le propriétaire de l’animal décédé peut également obtenir réparation de son préjudice d’affection[3], qui est une forme de dommage moral.
Le fait générateur correspond à l'évènement à l'origine du dommage. Les articles 1240 et 1241 suivants du code civil sont concernés. Ils traitent de la responsabilité du fait personnel que ce soit une action ou une omission (négligence ou imprudence). Une faute doit ainsi être caractérisée. Pour le chasseur, celles régulièrement rencontrées sont le non-respect de l’angle de 30 degrés en battue[4], le tir dans la traque (et notamment mise en joug de l’animal dans la traque pour le suivre, avec balayage de la carabine sur la ligne des postés), le tir sans visibilité, le tir à une distance supérieure à celle entre soi et son voisin de poste, le déplacement entre les postes avec une carabine culasse fermée, etc.
Il s’agit d’un ensemble de fautes prélevées de décisions de justice. Et si cette erreur est bien à l’origine du dommage causé, en d’autres termes, s’il existe un lien de causalité entre la faute et le dommage, le chasseur sera donc responsable et tenu de réparer les dommages subis par la ou les victimes. Un autre fondement est possible, celui de l’article 1242, alinéa 1, du code civil qui dispose que: "On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde".
En pratique, l’organisateur d’une battue est responsable des chasseurs, tout comme le chef de ligne le sera après les avoir postés. S’agissant des "choses que l’on a sous sa garde", l’organisateur est aussi responsable des chiens mais également d’un gibier poursuivi qui provoquerait un accident[5]. La difficulté rencontrée en pratique repose sur la preuve de la garde de la chose (preuve de l’usage, de la direction et du contrôle). L’organisateur argue souvent que l’animal n’est pas sous sa garde car il erre seul. Cependant, dans le cas où un chien de chasse cause un dommage à autrui (et même hors cadre de la chasse), c’est son propriétaire qui sera responsable[6].
L’intérêt du fondement juridique sur le fait d’une chose, c’est la non-nécessité de prouver la faute du chasseur ou de l’organisateur. En outre, depuis l’arrêt Jand’heur[7], la responsabilité du fait des choses est une responsabilité de plein-droit signifiant que l’auteur du dommage ne peut s’exonérer en apportant la preuve d’une absence de faute.
La victime a donc un choix de fondements juridiques pour engager la responsabilité du chasseur. Cependant, elle ne doit pas avoir commis elle-même une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage. Selon que la faute présente les caractères de la force majeure[8] ou non, la victime pourra avoir une absence ou une diminution de sa réparation. "La victime qui ne respecte pas elle-même les usages et les règles de sécurité et de prudence en vigueur dans la pratique de la chasse, commet une faute qui peut être exonératoire sous les conditions générales du droit commun de la responsabilité"[9].
Ainsi, ce fut les cas pour: un posté, victime d’un tir dans l’angle des 30 degrés, qui avait quitté son poste pour aller voir un impact; un posté ayant quitté son poste et non porteur d’un gilet orange (celui-ci n’est pas obligatoire partout en France mais gageons qu’il le deviendra assez rapidement via l’harmonisation des schémas départementaux cynégétiques); d’un traqueur ayant dépassé la ligne de tir; d’un chasseur à la rattente[10]. Les victimes chasseurs doivent donc avoir respecté les règles relatives à la pratique de la chasse. Pour les autres victimes, il paraît difficile de leur opposer une faute ayant pour conséquence la diminution ou l’absence de réparation.
S’agissant ensuite de la responsabilité pénale, uniquement quelques mots seront énoncés. Notamment, il s’agit de sanctionner des comportements illicites. Trois infractions pénales se trouvant au croisement de l’activité cynégétique et des accidents: l’homicide involontaire (221-6 du code pénal); les blessures involontaires (222-19 et 222-20 du code pénal); la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité (223-1 du code pénal). Des amendes et des peines d’emprisonnement sont ainsi prévues par les textes. Le juge cumule généralement ces sanctions avec celle de la suspension ou du retrait du permis de chasse.
Le nombre important de condamnations juridiques[11] soulève la question de la reconsidération de la chasse. La sécurité semble mal assurée. Bien au-delà de la souffrance occasionnée aux animaux sauvages, c’est de la souffrance de tout un public (chasseur ou non, humain ou animal) dont il s'agit. Le droit de la chasse gagnerait donc à de substantielles modifications. Le parti animaliste par exemple a des propositions en ce sens: instaurer les mercredis et les dimanches sans chasse, instaurer un périmètre de sécurité de 200 mètres autour des habitations et des enclos abritant des animaux, instaurer un taux d’alcoolémie maximal de 0,2g/litre de sang lors de la pratique de la chasse, obliger l’obtention d’un certificat médical annuel de capacité à la chasse délivré par un médecin agréé[12].
L’abolition de la chasse ne peut encore être envisageable au nom de la gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats[13]. Cependant, trop de victimes (humaines et animales) sont comptées. D'aucuns en appellent ainsi à une refonte du droit de la chasse au nom de la sécurité et de l’intérêt général. Il est aussi temps de réaliser que la lutte contre la souffrance animale dans le cadre de la chasse est également une piste à envisager pour renforcer la protection de tous.
[2] En effet, les chiens ou les animaux de compagnie sont soumis à l’article 515-14 du code civil leur reconnaissant certes la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité mais les soumettant également au régime des biens.
[3] V. à ce propos l’arrêt Lunus de la 1ere chambre civile de la Cour de cassation, du 16 janvier 1962. V. aussi : F. Marchadier, "L’atteinte aux sentiments d’affection envers l’animal" (TI Poissy, 21 juillet 2009, Faye c/ SARL Fidex, inédit; Paris, 23 janvier 2009, JurisData 2009-37-4911), RSDA 2009-1 p. 156), RSDA 2/2009, p. 19-24: http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/59_RSDA_2-2009.pdf), et "L’indemnisation du préjudice d’affection: la banalisation d’une action… attirée!?" (Aix en Provence, ch. 10, 30 nov. 2011, n° 2011/474, inédit; Aix en Provence, ch. 1A, 6 sept. 2011, n° 10/14901, inédit; Nîmes, ch. civ. 2A, 27 oct. 2011, n° 10/03389, inédit), RSDA 2/2011, p. 35-40 (http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/95_RSDA_2-20111.pdf).
[4]Cass. Crim., 6 décembre 2016, n°16.81251.
[5] V. par ex.: TGI Boulogne-sur-Mer, 19 octobre 2016, n° 1776/2016 ; Cass. Civ. 2e, 8 septembre 2016, n°15-23564 (http://www.unilim.fr/omij/files/2017/06/RSDA_2_2016.pdf).
[6] V. aussi l’article 1243 du code civil: "le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé".
[7] Ch. réunies, 13 févr. 1930.
[8] Imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité.
[9]Civ. 2e, 6 avr. 1987.
[10] La rattente consiste à "chasser" en attendant le gibier levé par un autre chasseur. C’est une pratique de chasse non autorisée.
[11] Uniquement certaines auront été citées (choix d’importance ou de dates) puisqu’une liste exhaustive serait bien trop longue. Cependant, voir par ex. : http://www.buvettedesalpages.be/suites-judiciaires-d-accidents-de-chasse-ou-de-delits-a-la-chasse-en-france.html.
[13]Art. L.420-1 code de l’environnement.
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