L'amorale politique
ÉDITO - Il y a belle lurette que les hommes et femmes politiques semblent s’être départis de la morale. Et en particulier de la morale populaire, celle qui veut entretenir et protéger les valeurs qu'il convient de respecter pour pouvoir vivre ensemble, justement en se respectant les uns les autres. Ces dernières années, ils le montrent tant avec des actes privés que ceux commis dans l’exercice de leur fonction.
Parmi les actes aux antipodes de cette morale qui ont été commis dernièrement par les stars de la Macronie, figurent les bras d'honneur d’Éric Dupond-Moretti faits à l'Assemblée nationale, en séance, aux représentants du peuple et donc au peuple lui-même. Ou encore cette séance de dépravation médiatique réalisée par Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’économie sociale et solidaire et de la vie associative, qui a exposé sa personne pratiquement nue dans Playboy.
Ce magazine de charme nous ayant habitués à mettre en valeur des créatures de rêve, voici qu’il a donc réussi l’exploit de faire passer Lady Marlène pour une telle créature. Pas sûr que le lecteur ne soit dupe tant sur le fond que sur la forme : c’était bien du côté du Fonds Marianne qu’il fallait lorgner, pas sur de fades photographies.
Il y a probablement plus difficile à soutenir du regard, du côté des médias. Le 31 mai dernier, lors du Club de la presse d'Europe 1, le directeur adjoint du Figaro a déclaré ceci : "La politique, ce n'est pas de la morale. La politique, c'est l'efficacité au service du bien commun."
Yves Thréard rebondissait sur le recadrage d’Élisabeth Borne fait par Emmanuel Macron lors d’un dernier Conseil des ministres à propos du positionnement officiel à adopter, selon lui, envers le RN. Le Président reprochait à sa Première ministre d’avoir “avoir voulu pétainiser le Rassemblement National”.
Le politique peut-il agir sans se soucier de la morale, dès lors qu'il fait cela dans l'intérêt du bien commun, à première vue ? Excusez-moi, Monsieur Thréard, mais je m'inscris en faux contre cette allégation.
La morale étant l'ensemble des valeurs qui matérialisent la cohésion sociale qui elle-même est l’un des piliers de la nation, c'est la morale qui détermine en quoi consiste le bien commun. En conséquence, agir contre la morale, c'est agir contre le bien commun.
À noter que la déclaration politique prise en référence par Yves Thréard pour illustrer son propos est conforme à la stratégie du président Macron : celle de pratiquer une démagogie permanente qui vise notamment à brosser dans le sens du poil tous les électorats possibles et imaginables
Une déclaration parmi d’autres éléments de langages servis à outrance à la presse subventionnée et captive, lors de conservations politiques qui auraient dû théoriquement rester secrètes. Le président “l’a fait savoir”, comme l’indique le journaliste Dimitri Pavlenko. A fait savoir quoi ? Qu’en ces temps de sondages de popularité qui demeurent en berne, endosser un peu de légitimité dite populiste pour mieux faire passer ses décisions politiques décriées ne le dérange point.
Cette pensée de dédiaboliser le RN - ou en tout cas son électorat - est ainsi distillée à tous les membres du gouvernement et aux Français. Dans quel but ? Le Rassemblement National est, dans l'esprit de ceux qui croient encore la mascarade politicienne, le parti qui défend des “valeurs”, soit diamétralement contraires à celles imposées au peuple par Emmanuel Macron, soit qui occupent un certain néant en la matière du président.
Vouloir rapprocher du camp républicain le RN permet de le présenter comme une formation politique avec laquelle il devient possible de collaborer ponctuellement. Tout cela dans l’optique d’obtenir le consensus politique requis afin que l’exécutif puisse continuer à suivre son plan de route réformiste sans devoir recourir au 49.3. Car une énième utilisation de cet article provoquerait une révolution. Et à l’Élysée, personne ne veut en courir le risque.
Concrètement, comment pourrait-il se matérialiser cette collaboration ? Je vous l'annonce à l'avance, ce rapprochement de façade et de circonstance pourrait servir pour la future loi immigration. Au ministère de l’Intérieur, il se dit que Gérald Darmanin a été chargé d’aller à la rencontre des parlementaires pour construire une majorité afin de faire passer prochainement ce texte. Et cela après l’impuissance patente en la matière d’Elisabeth Borne qui déclarait qu’il “n’existe pas de majorité pour voter un tel texte”, notamment auprès des députés Les Républicains (LR).
La loi immigration, dont le calendrier préparatoire a été maintes fois changé, souhaite durcir les conditions d’obtention d’un titre de séjour pluriannuel, renforcer les possibilités d’expulsion des étrangers troublant l’ordre public ou simplifier les procédures quant à l’exécution des obligations de quitter le territoire. De quoi séduire quelques députés RN, qui pourraient alors être tentés de proposer une poignée d’amendements sécuritaires "anti étrangers", afin de justifier auprès de leurs partisans le vote ultérieur de cette loi proposée par les macronistes. Quelques débats au Parlement enroberaient le tout, comme du verni démocratique.
Une vraie petite mystification, comme celle qui est faite par Emmanuel Macron sur le plan historique avec l’utilisation de cette référence à Pétain dans une propagande qui n’aurait, il faut bien le dire, rien à envier à celle d’un certain Joseph Goebbels ou, pour les plus sensibles, à la pensée de Nicolas Machiavel* : La fin justifie les moyens.
Vouloir ne pas assimiler le RN au régime de Vichy, en tout cas l'extirper de son passé idéologique lorsqu'on est censé faire partie du camp Républicain, c’est jouer avec l’émotionnel collectif. C'est rappeler aux Français une période sombre et tragique de notre histoire, tout en dédramatisant, banalisant, son évocation dans la presse en la réduisant à une quelconque joute politico-politicienne.
Une “fuite” calculée qui place l’oubli en (non) valeur cardinale pour la poursuite de réformes auxquelles est associée le peuple sans que ce dernier, pourtant, n’a eu jamais son mot à dire, par référendum par exemple. Le tout, sans soucier de morale et encore moins de l’intérêt commun.
N'en déplaise à Yves Thréard et aux adeptes comme lui du "tout est permis en politique", cette manière cynique de procéder choque et ne fait pas exister les vrais débats nécessaires à notre démocratie. Et elle choque en premier lieu, profondément, tous ceux encore vivants ou dont la mémoire ne doit pas être oubliée à la première combine politique venue, qui ont souffert de l’occupation allemande et de la barbarie nazie durant la Seconde guerre mondiale.
Elle indigne tous qui se disent “Plus jamais ça !”, autrement dit plus jamais ce dédain de la morale, cette minable légèreté de se comporter comme si tout se valait, comme si rien n’était à prendre au sérieux. C’est bien ces contorsions entre les idées (qui peuvent durer, y compris les plus dangereuses, quelles que soient leurs origines sur l’échiquier politique) et les événements (dont le traitement des problèmes hélas laisse une plus grande place à l’opportunisme qu’à la réflexion profonde), qui entraînent les actes politiques les plus délétères et néfastes pour notre pays. C’est en ce sens, qu’il faut rejeter l’immoralité ou l'absence consternante à ce point de morale.
Reconnaissez, Monsieur Thréard, que ça donne à réfléchir.
*Si cette pensée du Florentin Machiavel transpire de tout son ouvrage Le Prince, l'adage a été inventé par l'homme politique flamand Philippe van den Clyte, dit Philippe de Commynes.
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