Communication de crise ou crise de la communication de l’exécutif ?

Auteur(s)
Maxime AIT KAKI pour France-Soir
Publié le 24 avril 2020 - 15:46
Mis à jour le 25 avril 2020 - 10:11
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Communication de crise
Crédits
Gerd Altmann de Pixabay
Gerd Altmann de Pixabay

TRIBUNE : La communication de crise, verticale, déployée un temps par l’exécutif dans un style militaire à la gloire de « l’unité nationale » n’a pas résisté longtemps aux louvoiements horizontaux du calcul politique et de la médiatisation à outrance. Eparpillement des signes, prolifération de mots, inflation d’images et imprécisions ont considérablement brouillé le message, renforçant le sentiment d’impréparation qui prédomine depuis le début de la crise sanitaire.

« Nous sommes en guerre », martela à six reprises Emmanuel Macron le 16 mars devant les Français. Le président de la République apparut ce jour-là en chef de guerre, sûr et déterminé. A mille lieues des errements qui caractérisèrent son gouvernement au début de la crise sanitaire. Une posture gaullienne, sans uniforme, renouant, ce faisant, avec la figure paternelle du « souverain », du « père de la nation », prompt à monter au « front » contre « l’ennemi » pour « livrer bataille ». La sémantique autoritaire, la tonalité très verticale du discours et sa propension à l’auto-réification laissèrent à penser que l’exécutif avait trouvé son credo une fois pour toutes. Les choses se précisèrent les jours suivants. Avec un chef d’Etat investi des pleins pouvoirs, un conseil scientifique et un comité analyse, recherche et expertise (Care) tenant lieu de « conseil de guerre », une armée de blouses blanches en première ligne, tous les augures d’une stratégie de crise « belliqueuse » étaient révélés au grand jour. Sans oublier les éléments de langage et les aspects scénographiques empruntés ici à la lutte antiterroriste des années 2015-2016. La transsubstantiation du médical en militaire relevait d’un brillant tour de passe-passe symbolique, dans la pure tradition des théoriciens de la monarchie de droit divin de l’Ancien Régime.

Semblants et faux-semblants

Le dispositif de communication était presque parfait, s’il n’avait pas succombé aux contingences médiatiques de son temps. A l’ère du numérique, l’image tient lieu de justification même de l’action publique. Mû par cette obsession maladive à vouloir caresser l’opinion publique dans le sens du poil, sous peine de devoir éprouver le reproche de « ne pas être sur le terrain » et de « ne pas travailler », l’exécutif a fini par livrer son « plan de guerre » aux méandres de l’information en continu. Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer crève l’écran, s’emmêlant les pinceaux à propos de la date de réouverture des écoles. Il évoque la date du 4 mai, lorsque d’autres au sein de son ministère parlent du mois de septembre. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner verse, lui, dans la surenchère autoritaire. Il répète à tue-tête que « confinement et départs en vacances sont incompatibles ». A force de multiplier ses apparitions, l’entourage présidentiel donne l’impression de courir derrière l’information au lieu d’apparaître comme celui qui en est le principal pourvoyeur. Autant de faux-pas qui laissent, peu à peu, transparaître la mécanique manipulatoire de la communication de crise et de voir en elle le palliatif d’une gestion de crise erratique. Rien n’est pire qu’un message qui se donne à voir et révèle à l’œil ses arrière-plans. La communication est un art du silence et de la suggestion. Pour conserver son efficience, elle doit épouser la pénombre, déclencher la part nécessaire de rêve et de fantasme, sans jamais rien sacrifier à la cohérence du message.

On aurait pu raisonnablement penser que la réhabilitation de la posture régalienne serait plus à même de réinvestir la parole politique de sa sacralité perdue par une gestion plus économe et maîtrisée des mots, à plus forte raison dans un contexte de confinement où la vie s’est considérablement ralentie. L’impression aura été de courte durée. La verticalité discursive s’est vite fracassée sur les louvoiements horizontaux du calcul politique. En rendant visite à l’infectiologue Didier Raoult et en faisant l’éloge de ses travaux, Emmanuel Macron a donné l’impression de se jeter corps et âme dans l’arène des controverses qui agitent violemment la vox populi sur la toile et les réseaux sociaux. Un acte compulsif en forme de coup de com’ de nature à fragiliser le socle décisionnel sur lequel le chef d’Etat a bâti sa gestion de crise. A moins qu’il n’ait agi dans ce but, ce dernier a, en tout état de cause, suscité un certain étonnement au sein de  la communauté médicale. Elle n’aura certainement pas laissé insensibles les membres du conseil scientifique et du Care.

Repousser à demain

Mouvante, versatile et imprécise, la communication de crise de l’exécutif peine à prendre encrage dans le présent et à se raccorder à une tradition historique. A force d’éparpillement de signes, de profusion de mots et d’inflation d’images, elle fabrique de la polysémie et du contresens. Elle accentue le fossé entre le signifié et le signifiant tout en gommant les frontières entre le réel et le virtuel. Le discours présidentiel du 13 avril relatif au déconfinement offre une illustration éclatante de ces dissonances. Emmanuel Macron annonce que le « 11 mai prochain ... sera donc le début d’une nouvelle étape ». Mais, il se garde de préciser les contours de celle-ci, indiquant que « le gouvernement présentera d’ici quinze jours, sur la base de ces principes, le plan de l’après-11 mai ». Cette pratique de la communication consistant à dissocier temporellement le propos de l’action en revoyant à une échéance ultérieure le mode opératoire est par définition anti-stratégique. Elle décontextualise le message et le vide par là même de sa portée exécutoire. En un mot, elle annihile les raisons de son existence. A quoi bon annoncer aujourd’hui que l’on va annoncer demain ce que l’on envisage d’entreprendre ? Pourquoi ne pas l’annoncer demain ? Quel cinéphile accepterait de se rendre au cinéma pour se voir dire entre deux publicités que son film sera projeté un autre jour ? Le propre de la communication est d’offrir à l’opinion publique, hic et nunc, des informations tangibles à même de l’aider à se projeter dans l’espace et dans le temps. Daigner évoquer l’hypothèse du déconfinement sans avoir préalablement arrêté ses modalités concrètes de mise en œuvre est totalement absurde.

Loin de rassurer, cette communication sur le mode de l’annonce différée renforce le sentiment d’impréparation qui prévalait au début de la crise sanitaire. Il n’est pas étonnant que les ministres du premier cercle présidentiel aient dû assurer le « service après-vente » d’une promesse non tenue en se livrant à toutes sortes de contorsions rhétoriques. « Le déconfinement n’est pas une certitude, mais un objectif »  et « la rentrée pourrait avoir lieu plus tard », ont respectivement rectifié Christophe Castaner et Jean-Michel Blanquer, ajoutant à la confusion ambiante.

La lumière est-elle au bout du tunnel ? Une chose est sûre, l’exécutif n’est pas sorti de l’ombre de ses doutes. Il peinera, demain, à recoller les morceaux d’une communication de crise qui a souvent donné l’impression de trop en dire lorsqu’il fallait se taire et de trop se taire lorsqu’il fallait dire. Une communication paradoxale dont la symbolique régalienne et militaire n’est pas parvenue à produire du sens et combler les carences encore béantes de la gestion de la crise sanitaire.

Maxime AIT KAKI est docteur en science politique de l’Université de Paris-I Panthéon-SorbonneAuteur de La France face au défi de l’identité, Éditions du Cygne, Paris 2017

 

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