Déconfinement : L’Ile-de-France devenue l’épicentre de l’épidémie, dernière région à se déconfiner ?
TRIBUNE : Présentée au départ comme l’une des régions les moins en proie à l’épidémie, l’Ile-de-France, classée rouge, tient lieu aujourd’hui d’épicentre national du Covid-19 avec le plus grand nombre de patients et de décès enregistrés.
Comment cette perception s’est-elle soudainement inversée ? Comment sommes-nous passés du presque rien au trop-plein alors qu’initialement le regard des pouvoirs publics était quasi systématiquement porté sur les clusters du Morbihan, de l’Oise ou du Grand Est ? Explosion brutale de l’épidémie ? Défaillances de l’appareil statistique ? Minimisation du virus, doublée d’un préjugé jacobin ? A quelques jours du déconfinement, la gestion initiale de l’épidémie à Paris Ile-de-France hante encore les Franciliens, dont bon nombre se préparent à regagner leur région, la peur au ventre.
La publication, des cartes du déconfinement tend à faire le lit des régionalismes. Mais elle a au moins un mérite : fournir une lecture claire sur la dynamique territoriale de l’épidémie et dissiper, par là même, certaines ambiguïtés qui prévalaient au départ quant à une supposée immunité des grandes métropoles à l’instar de Paris Ile-de-France. Avec 10 000 personnes hospitalisées, plus de 6 000 décès et plus de 1 500 personnes en réanimation, ladite région est de loin la plus affectée par le Covid-19. La mortalité liée à cette épidémie est trois fois plus grande que dans le Grand Est, quatre fois plus que dans les Hauts-de-France et vingt fois plus qu’en Bretagne.
Ces indicateurs, d’une ampleur considérable, contrastent très nettement avec les bilans épidémiques quotidiens établis par les pouvoirs publics entre février et la mi-mars. Ce n’est que le 10 mars que les premiers cas de décès en Ile-de-France ont été recensés par l’Agence régionale de santé (ARS), avant que l’agence nationale Santé publique France ne reprenne en main le décompte journalier. Il s’agissait selon l’ARS Ile-de-France de « trois personnes, respectivement âgées de 85, 90 et 95 ans ». A cette date, le nombre de cas confirmés s’élevait à 440 contre 464 et cinq décès dans le Grand Est. Des chiffres particulièrement bas au regard des 12 millions d’habitants que compte l’Ile-de-France et qui s’y déplacent très massivement en transports publics.
La machine statistique à l’épreuve du virus
Assurément, le système de recensement des victimes des épidémies est un attelage lourd et complexe, difficilement conciliable avec une exigence d’immédiateté de l’information. Il s’articule d’ordinaire autour de deux organismes de référence : l’Insee et l’Inserm. Si le premier est en mesure de fournir un décompte journalier de la mortalité par département, il ne peut toutefois en attester la cause avant un délai de sept à dix jours. S’agissant du second, la potentialité technique de ses outils à produire une estimation quotidienne de la mortalité se heurte aux difficultés des médecins à fournir des certificats de décès électroniques. Conscients de ces obstacles opératoires, les pouvoirs publics se sont, au début l’épidémie, appuyés sur les remontées d’informations quotidiennes des ARS avant d’opter pour une démarche nationale via Santé publique France. Faisant face à ses propres limites techniques, cette agence a dû s’appuyer sur le « système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles » (SI-VIC), dès lors que le décompte des victimes du Covid-19 par les hôpitaux était devenu une exigence des pouvoirs publics.
La mise à contribution tantôt concomitante, tantôt intermittente voire alternée de l’ensemble de ces instruments statistiques a, de toute évidence, induit des distorsions indéniables, donnant parfois l’impression d’avoir laissé passer dans leurs interstices des informations de taille, notamment au début de l’épidémie. Au lieu d’être appréhendé comme le point de départ de l’épidémie dans notre pays, le décès du touriste chinois, première victime du Covid-19 en France, survenu à Paris le 25 janvier, a été perçu comme un phénomène exogène.
Ce « contresens » a eu, à bien des égards, un rôle démobilisateur dans l’approche statistique initiale et favorisé, en amont, une certaine minimisation de la contagion épidémique en Ile-de-France.
Evitement et laisser-faire
Lacunaires ou non-renseignés durant la période du 13 au 17 mars, les chiffres de la mortalité francilienne liée au Covid-19, recensés par Santé publique France depuis le 1er mars et corroborés par le site gouvernement.fr, sont restés étonnamment bas jusqu’au 11 mars. Ils ont soudainement été multipliés par neuf entre le 12 et le 18 mars, passant de 4 à 36 personnes. Dans le même laps de temps, le nombre de patients confirmés a été multiplié par quatre, passant de 605 à 2 693 personnes. Ces chiffres n’auraient-ils, sans doute, pas connu une telle hausse si le virus ne circulait pas activement en région parisienne depuis au moins la fin du mois de février. Or à cette période, les Franciliens étaient conviés à se promener en famille dans les pavillons du Salon de l’agriculture sans qu’aucune consigne sanitaire ne leur soit prodiguée. Dégustations, casse-croutes et autres réjouissances culinaires régionales étaient à l’honneur dans un climat de totale insouciance. Dans un tel contexte à haut risque de contamination virale, la fermeture anticipée de vingt-quatre heures dudit salon apparaît a posteriori comme une décision tardive voire inutile. Alors que l’inquiétude des Franciliens relative à l’usage des transports publics commençait à grandir et que les médias multipliaient les reportages sur le sujet pointant l’absence des moyens de protection (masques, gels hydroalcooliques), les pouvoirs publics demeuraient pour le moins circonspects. Y compris lorsqu’à la date du 5 mars une employée de la RATP avait été testée positive au Covid-19. Convié le 12 mars à l’émission « La Grande confrontation » animée par David Pujadas, Olivier Véran réagissait aux sollicitations d’un invité. Ce dernier lui faisait remarquer que les transports publics étaient ouverts alors que la plupart des rassemblements étaient interdits :
« Vous paralysez les hôpitaux, les services de sécurité, la vie économique et sociale de notre pays », justifiait le ministre de la Santé, tout en précisant que les mesures gouvernementales étaient susceptibles d’évoluer.
Toute-puissance parisienne, centralisée
Par-delà les chiffres, les attitudes et les mots, l’appréhension initiale de l’épidémie en Ile-de-France traduit, en creux, l’hégémonie d’un jacobinisme aveugle au cœur de l’Etat. En s’obstinant à ne pas voir en face l’imminence d’un risque d’explosion virale en Ile-de-France, le centre décisionnel prétendait à une forme d’invulnérabilité parisienne. Plus que politique ou même économique, l’enjeu était également symbolique. Ce tropisme centraliste de longue date plonge ses racines dans les fondements monarchiques de l’Etat en France. Le centre est l’incarnation même du pouvoir et ne saurait de ce fait pâtir d’une quelconque fébrilité. Or en concentrant à elle seule un tiers du PIB, en cannibalisant un quart des emplois du pays, sans oublier l’importance tentaculaire de son réseau de transports, l’Ile-de-France présentait tous les risques d’une épidémie à très grande échelle. Cette évidence a vite jailli au grand jour à la faveur de l’ampleur des données épidémiques franciliennes, démasquant les stratégies de minimisation et d’évitement des pouvoirs publics.
En prétendant avoir voulu gagner du temps pour aplanir telle ou telle courbe épidémique, ils ont assurément perdu beaucoup de temps.
Devenue l’épicentre national du Covid-19, l’Ile-de-France sera fort probablement la dernière région à être déconfinée. Un sacré revers pour le centralisme parisien.
Maxime AIT KAKI Docteur en science politique de l’Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Auteur de La France face au défi de l’identité, Éditions du Cygne, Paris 2017.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.