L'interpretation de la médecine est en plein coeur du débat actuel
TRIBUNE : La médecine basée sur les preuves ou EBM (Evidence Based Medecine) est fondée sur les preuves (les données de la recherche), l'expérience du médecin et le choix du patient.
La médecine est une science évolutive
Un certain nombre de recommandations en médecine s'appuient sur un fort niveau de preuve : les études cliniques systématiques, comme par exemple les essais cliniques randomisés, trouvent une place prépondérante dans cette logique de démonstration.
Cependant dans de nombreux cas, les preuves sont absentes. Dans une telle situation d'incertitude scientifique entre plusieurs stratégies préventives, diagnostiques ou thérapeutiques, la décision médicale partagée doit alors s'appliquer :
« Ces aides constituent également, au côté des recommandations destinées aux professionnels, un des moyens de mettre en pratique les principes de la médecine fondée sur les preuves (Evidence Based Medicine), puisqu’elles facilitent un temps d’échange et de délibération entre patient et professionnels de santé où sont prises en compte les données de la science concernant les différentes options disponibles, l’expérience du professionnel et les attentes et préférences du patient » (note 1).
L'intégration d'une démarche de décision de soins partagée fait partie des orientations prioritaires (note 2) de développement professionnel continu pour les années 2020 à 2022 (orientation n°20). Elle aurait pu s'appliquer pour des malades qui présentaient des premiers symptômes de Covid 19. Mais c'est sans compter de nombreux obstacles :
- La prééminence absolue accordée aux essais randomisés peut devenir un credo dogmatique.
- Lorsque des preuves sont inexistantes, certains soins peuvent être, à tort, certifiés comme non efficaces. « Une absence de preuve d’efficacité d’un traitement ne prouve pas forcément l’inefficacité de ce traitement, surtout pour un patient donné » (note 3).
- D'une manière générale, on note depuis la seconde partie du XXème siècle une accélération de la fraude dans les publications scientifiques. C'est également le cas en médecine et il existe souvent des biais dans les études, voire des falsifications, qui peuvent résulter de conflits d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique. Ainsi, il est recommandé « d’acquérir une formation méthodologique afin de pouvoir évaluer et critiquer la validité des preuves » (note 4). Suite à la publication du Lancet, l'avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur l'hydroxychloroquine pose question sur la formation de ses membres dans l'analyse méthodologique des études.
- Il peut enfin exister un conflit d'intérêt de type école de pensée (note 5). Pour donner un exemple, suite aux réunions d'un groupe de travail composé de représentants de deux approches différentes pour la prise en charge de la maladie de Lyme, la recommandation de bonne pratique (HAS - Juin 2018) pour la maladie de Lyme a consacré un chapitre à la notion de Syndrome Persistant Polymorphe après une possible piqûre de Tique (SPPT) autorisant le recours à un traitement antibiotique d'épreuve (note 6). Mais en septembre 2018, le directeur général de la Santé (DGS Pr Jérôme Salomon) a missionné la société de pathologie infectieuse se langue française (SPILF), en secret (sans en informer les parties prenantes, notamment la HAS), pour réécrire des recommandations. Ceci a abouti à un avis (note 7) élaboré sur une base comportant un biais cognitif de type biais de confirmation d’hypothèse (recherche et prise en considération des informations qui confirment les croyances tout en ignorant ou discréditant celles qui les contredisent, note 8). Ces pseudo-recommandations ont ainsi fait disparaître le SPPT et le traitement antibiotique d'épreuve.
D'une façon similaire, l'avis du HCSP sur l'hydroxychloroquine pose question quant à la composition du groupe de travail, la prise en compte ou non de l'avis de professionnels confrontés à l'expérience de l'hydroxychloroquine, et la prise en compte ou non d'études contradictoires comme par exemple celles issues d’un consensus international (Note 9).
On retrouve ainsi une similitude entre les conditions restrictives de prise en charge des maladies vectorielles à tiques et celles du Covid 19 :
- Suite à la demande du directeur général de la Santé, la SPILF a produit un document qui ne permet pas aux malades susceptibles d'être atteints d'une maladie transmissible par les tiques de pouvoir bénéficier d'un traitement antibiotique d'épreuve
- Suite à la lettre du DGS à l'intention des professionnels de santé, les malades infectés par le Covid 19 ne doivent pas bénéficier d'un traitement antibiotique.
La formation en analyse méthodologique, la prévention des conflits d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique, la prévention des conflits d'intérêt de type école de pensée, et l'interprétation de l'EBM sont donc au cœur des débats.
Thierry Medynski est médecin et membre du collectif « Laissons les médecins prescrire »
Note 1 : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013-10/synthese_avec_schema.pdf
Note 2 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=EF7EB33C12F29E19CB7A2EA3FB0805E8.tplgfr36s_1? cidTexte=JORFTEXT000038858372&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000038858126
Note 3 : https://www.biusante.parisdescartes.fr/ressources/pdf/medecine-formation-ebm-tutoriel-biusante.pdf
Note 4 : https://www.biusante.parisdescartes.fr/ressources/pdf/medecine-formation-ebm-tutoriel-biusante.pdf
Note 5 : https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/guide_dpi.pdf
Note 6 :https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2018-06/fiche_rbp_4_sppt-v1-180618.pdf
Note 7 : https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/spilf/communiques/communique-presse-lyme-11072019.pdf
Note 8 : http://lerelaisdelyme.fr/comprendre-les-enjeux/
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