L'Etat, le plus mauvais employeur de France

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Laurence Beneux, journaliste pour FranceSoir
Publié le 25 mars 2021 - 14:04
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Vingt ans que les acteurs de terrain de l’hôpital public crient leur souffrance et leur inquiétude, dénonçant tour à tour la fermeture des lits, le manque de matériel et de personnels, des conditions de travail de plus en plus difficiles, des rémunérations trop basses au regard de responsabilités de plus en plus lourdes, et…  la superbe indifférence de leurs hautes hiérarchies face à leurs revendications.

Le manque de lits dans les services d’urgence n’est pas nouveau. En 2003, une canicule estivale démontre que le moindre afflux inattendu de malades peut finir de mettre à genoux un hôpital manquant de tout et virer à la catastrophe meurtrière. Des personnes âgées sur des brancards encombrant les couloirs des services d’urgence faute de lits, 15 000 morts en deux semaines, soit 55% de surmortalité. Un scandale sanitaire dont peu de conséquences sont tirées : fermetures des lits et encadrements restrictifs des moyens accordés aux hôpitaux vont continuer à aller croissant.

La crise sanitaire actuelle nous rappelle encore plus durement que la finalité d’un service public n’est pas une quelconque rentabilité, mais de pouvoir répondre à des besoins essentiels des citoyens. Et la mission de l’État est de donner aux services publics les moyens de « servir » la société à la hauteur de ses besoins.

L’État semble l’avoir oublié, et après un an de crise sanitaire, il est permis de penser qu’il n’apprend pas vite ! On en est encore à déplorer la saturation des urgences, la pénurie de matériels, le manque de lits et pire, que les projets de fermetures de lits n’aient pas été abandonnés… Certes, cette année difficile a enfin été l’occasion de revaloriser les salaires des personnels hospitaliers, mais enfin, les 180 euros mensuels sont loin des 300 à 400 euros réclamés par les infirmières françaises, parmi les plus mal payées d’Europe.

La santé serait-elle une exception remarquable ? La grande abandonnée des politiques publiques ?

Pas du tout ! La devise de la République française, « Liberté , Egalité, Fraternité » semble avoir déserté les préoccupations de nos dirigeants. Pas de liberté sans sécurité, pas d‘égalité sans une instruction de qualité accessible à tous, pas de fraternité sans solidarité sociale. Or, que ce soit dans les secteurs de la justice, du maintien de l’ordre, de l’éducation nationale, de la santé, le malaise monte et les cris d’alarme se font de plus en plus insistants. Les professionnels de terrain souffrent. Surcharge de travail, manque de moyens, manque de soutien des hiérarchies, mauvaises rémunérations, le tout évidemment extrêmement préjudiciable à la qualité des services rendus.

Il faut se rendre à l’évidence, l’État est un employeur épouvantable. Peu reconnaissant, il considère ses employés comme corvéables à merci. Et le « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais » semble régner en maître : il se permet  parfois une interprétation très élastique de la législation du travail qui coûterait cher à n’importe quelle entreprise privée. En 2015, le Canard enchaîné et France Inter dénonçaient près de 50000 collaborateurs occasionnels du service public employés « au noir », dont 40500 travaillant pour… le ministère de la justice !  Un comble !

Il y a quelques décennies, à défaut de rémunérations élevées, travailler pour l’État assurait une sécurité de l’emploi. C’est de moins en moins vrai, ce dernier multipliant les contrats précaires. Des contrats à durée déterminée pour les plus chanceux, des contrats de vacataires pour les autres. Le contrat de vacataire devrait en théorie être réservé à une mission très ponctuelle, pour une tâche bien déterminée. Le vacataire n’a droit ni aux congés payés, ni à la formation, ni aux compléments obligatoires de rémunération. Il est payé à la tâche, cette fameuse tâche déterminée censée avoir justifié son embauche, et ne peut donc percevoir d’heures supplémentaires. Certains postes de la fonction publique, aux tâches multiples (des postes de greffier par exemple) sont occupés par des vacataires pendant des années. L’Etat serait-il un fervent adepte de la précarité ?

Tous les acteurs de terrain de ces secteurs « non rentables », mais pierres angulaires du pacte républicain, disent souffrir du même mal : une dichotomie entre la base et des hautes hiérarchies « hors-sol », aux préoccupations plus politiciennes que concrètes, sourdes aux revendications et besoins des professionnels qui ont les mains dans le cambouis. Les acteurs concrets de métiers à vocation souffrent d’autant plus que pour eux, le résultat compte. Pas les résultats théoriques et chiffrés que l’on met en avant sur les plateaux de télévision à grands coups de statistiques auxquelles on peut faire dire presque n’importe quoi. Les réussites concrètes. Pouvoir bien soigner, bien enseigner, rendre une bonne justice, bien assurer la sécurité des citoyens... Ce qui, pour l’immense majorité d’entre eux, a été à l’origine de leur engagement dans leur métier. C’est d’ailleurs leur faiblesse face à un patron abusif et ingrat : ils essaient de bien faire, malgré toutes les difficultés, le manque de moyens, de reconnaissance. Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à la désespérance. Jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus de servir de variables d’ajustement aux errances des politiques publiques. Jusqu’au moment où certains jettent l’éponge.

Résultat, entre les départs de professionnels chevronnés et la perte d’attractivité de certaines professions essentielles au pays, les niveaux de recrutement baissent de façon préoccupante dans des secteurs publics vitaux pour le Pacte Républicain.

L’État serait-il fâché avec les piliers de la démocratie française ?

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