Lettre ouverte à Madame Sophie Cluzel, Secrétaire d’état chargée des Personnes handicapées
Tribune : En réponse à l’interview menée par Guillaume Erner sur France Culture le 3/12/2020 :
Madame la Ministre,
Maman d’une jeune femme polyhandicapée de 34 ans accueillie en Maison d’Accueil Spécialisé, auteure du livre Le Bouddha, l’Alchimiste et le fauteuil roulant(1), ex-présidente d’association(2), j’ai écouté avec attention votre interview sur France Culture ce jeudi 3 décembre.
Comme pour vous, le handicap a bouleversé ma vie et j’essaie d’agir à ma façon pour faire avancer les choses.
Madame la Ministre, de par votre situation personnelle, vous êtes une chance pour les personnes handicapées et leurs familles. Nous voyons en vous un relais juste et efficace pour entendre, comprendre nos besoins et nos difficultés et y répondre. Comme vous le dites dans cette interview, vous êtes « une ministre du quotidien » et les mesures pour lesquelles vous vous êtes battue le prouvent.
Mais, je constate très souvent que, lors de toute intervention dans les médias, il n’est jamais précisé clairement de quoi l’on parle.
Le but de cet interview était bien sûr d’informer les auditeurs. J’aurais apprécié qu’il leur soit rappelé la définition du handicap, telle que la loi du 11 février 2005, art.14, la propose : « Constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
Cette précision faite, nous voyons tout de suite à quel point l’étendue du monde du handicap est vaste et nous pouvons imaginer de même l’infinie diversité des problématiques qui le constituent. Vous y faites d’ailleurs allusion en citant le « handicap moteur, sensoriel, mental, psychique, l’autisme ».
Mais, l’esprit humain est ainsi fait qu’il se focalise sur ce qu’il connait. Votre parcours et votre discours s’appuient avant tout sur votre expérience personnelle. Les miens également ainsi que ceux de tout un chacun.
Certes, il était question avant tout d’inclusion. Mais, dans cette interview, ce que j’ai entendu c’est que TOUTES les personnes handicapées souhaitaient vivre dans la société, et y travailler.
« Ce que j’ai pu surtout apprendre c’est le désir de ces personnes de tout simplement avoir accès comme vous et moi de façon naturelle à la vie la plus normale possible en étant accompagnées autant que de besoin » nous dites-vous.
J’ai le regret, Madame la Ministre, de vous avouer que je ne me suis pas du tout retrouvée dans vos propos. Je n’y ai pas retrouvé ma fille non plus.
En ce qui la concerne, elle qui ne peut ni marcher, ni parler, ni manger toute seule, qui est incontinente, qui ne peut mobiliser que sa main gauche pour secouer un hochet afin de communiquer avec son environnement, qui doit, pour être assise, disposer d'une coque spécialement moulée sur elle, qui est atteinte de spasticité, je ne pense pas que son premier besoin soit d'aller travailler.
Toute cette interview m’a laissé penser que les personnes handicapées sont valides, ou bien en fauteuil, mais en capacité de le manipuler, en tout cas qu’elles sont aptes à aller travailler.
Que faites-vous de toutes les personnes accueillies, par exemple, dans les IME (instituts médico-éducatifs), dans les MAS (maisons d'accueil spécialisé), c’est-à-dire les personnes porteuses de handicaps lourds ? Elles méritent, elles aussi, que l’on parle d’inclusion pour elles. Mais cela nécessite d’envisager d’autres perspectives. Car, l’inclusion dans ce que j’ai compris de vos propos, ne concerne qu’une partie de la population des personnes handicapées.
Toutes ne sont pas en capacité d’aller à l’école ou au travail. Il entre dans la responsabilité de l'état de prendre en compte toutes ces différences pour pouvoir y répondre au mieux et c'est bien la difficulté du sujet.
Selon vous, tout doit se passer à l’école…la scolarisation est la réponse que vous proposez pour libérer les parents et que ceux-ci puissent travailler. « Le vivre ensemble doit démarrer dès la crèche, apprendre ensemble sur les bancs de l’école… ». Non, Madame la Ministre, ma fille n’aurait pas pu apprendre sur les bancs de la maternelle, ni sur ceux de l’école. Par contre, que l’école puisse l’accueillir quelques heures par semaine, oui ! Ceci afin de rencontrer des enfants qui la stimulent, et afin qu’elle-même puisse les aider à accepter plus aisément la différence, et devenir des adultes tolérants et conscients des problématiques qu’elle rencontre. Cela représente selon moi une autre facette de l’inclusion.
Inclure veut dire littéralement « introduire, comprendre, contenir » d’après le Larousse. L’inclusion pour les personnes lourdement handicapées commence par le fait d’offrir, aux familles qui le désirent, une place dans des établissements d’accueil adaptés à leur problématique. C’est la responsabilité première de l’état de prendre en compte la diversité et non de chercher à uniformiser, généraliser dans des buts pas toujours très clairs. C’est aussi une façon douce d’habituer la personne handicapée à ne pas être constamment dans la cellule familiale, et de lui éviter un stress énorme lorsque les parents disparaissent et que les MDPH doivent d’urgence leur trouver un lieu de vie qui, du fait même de la situation d’urgence, est rarement adapté. Au choc de la séparation s’ajoute celui de l’insertion obligée et pas préparée dans un environnement inconnu. Ici, inclure se conjugue aussi avec accompagner, comprendre.
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Vous nous donnez clairement la ligne du gouvernement : « Là aussi, nous sommes en train de transformer. Notre pays a été très protecteur avec les personnes en situation de handicap, avec des établissements médico-sociaux, et là aussi nous transformons le mode d’accompagnement. Les personnes maintenant nous disent : moi je veux apprendre au milieu des autres, moi je veux travailler au milieu des autres. ».
Je suis inquiète, Madame la Ministre.
Quel sort réservez-vous aux personnes accueillies en IME ou en MAS ? Est-ce là une façon détournée pour le gouvernement de lâcher peu à peu les établissements qui sont, pour un grand nombre de personnes handicapées et de familles, LA solution qui, à la fois, soulage les aidants épuisés, et offre une opportunité indispensable de socialisation à ces personnes qui auraient trop de difficultés à s’adapter à notre monde, même si celui-ci devenait le monde responsable auquel vous faites allusion ?
Que répondez-vous aux listes d’attente des MAS, au manque cruel d’établissements pour adultes en situation de handicap sévère en dépit de l’amendement Creton ? Celui-ci, qui remonte à 1989, visait avant tout à attirer l’attention du gouvernement sur les besoins urgents de création de places pour ces personnes en autorisant les directeurs d’IME (établissements pour enfants) à ne pas mettre dehors les résidents ayant dépassé la limite d’âge, 20 ans en général, dans l’attente qu’une place se libère dans un établissement pour adultes.
« Les budgets sont en hausse » dites-vous, alors pourquoi les établissements médico-sociaux voient-ils leurs budgets diminuer ?
« Vivre en structures d'accueil ne signifie plus depuis longtemps rester hors du monde et évoluer en vase clos à l'abri de tout regard. Bien au contraire les établissements proposent des prises en charge ouvertes sur l'extérieur par le biais de sorties, d'échanges entre structures, de diverses incitations à l'autonomie des personnes(3). »
Une société inclusive, c’est aussi pour les personnes ne pouvant pas vivre dans le monde ordinaire, la possibilité de recevoir dans leur monde des gens dits « ordinaires » ; c’est encourager des moments d’échanges entre ces deux mondes qui vivent encore trop souvent en parallèle ; c’est avant tout prendre en compte correctement toutes les problématiques, et répondre à chacune avec des solutions adaptées, et non pas vouloir à tout prix ce qui n’est pas possible.
L’inclusion ne doit pas être un mouvement à sens unique. Elle doit être envisagée comme un ensemble d’interactions positives, constructives et surtout basées sur le bien-être de la personne handicapée.
« La Vie est avant tout Unité. Il importe de construire des ponts entre les mondes. Cette mission incombe aux accompagnants, parents, familles et professionnels, mais également à celles et ceux qui, bien que n'étant pas directement concernés par le handicap, souhaitent offrir un peu de leur disponibilité pour améliorer le quotidien des personnes accueillies(4).
J’ose espérer, Madame la Ministre, qu’il n’entre pas dans les objectifs du gouvernement la disparition programmée des lieux d’accueil spécialisé…J’ose vous croire la gardienne fidèle de TOUS les handicaps.
L’inclusion, c’est également encourager une société à faire « monter le degré d’acceptation de la différence » - ce sont vos propres mots – et dans laquelle « tout citoyen en France est capable aussi de faire accélérer ce changement. C’est accepter la différence, c’est se pousser, faire la place aux personnes en situation de handicap, c’est les parents d’enfants qui ne sont pas handicapés qui doivent aussi accueillir cet enfant handicapé. Il en va de la responsabilité de tous… ».
Je rebondis sur vos propos par ces termes : « Il ne s'agit nullement de provoquer l’apitoiement mais, bien au contraire, d’informer, de permettre une meilleure compréhension, afin que les mondes se rejoignent dans la célébration de la Vie Une. C’est (…) cela la Voie du Cœur (5). »
Vous encouragez une société responsable. Ce mot signifie littéralement « être capable de répondre ». Je pense qu’une société responsable se doit avant tout de répondre aux défis majeurs qui se dressent devant elle.
Le défi que je vois depuis que je suis moi-même confrontée au handicap, et que j’évoque dans mon livre, est de trouver des réponses aux causes de certaines formes de handicaps. Comme, par exemple, l’autisme au sujet duquel certaines études ont montré un développement inquiétant.
Puisque le gouvernement a choisi de faire de l’autisme une grande cause nationale, il me paraitrait approprié de lancer des études sur les facteurs qui peuvent le favoriser, comme l’ont déjà fait les USA avec 3 études (CHE, 2008 ; Mt Sinaï, 2010 ; Project TENDR, 2016). De ces études, il ressort que cinq classes de produits toxiques augmenteraient les risques d’autisme, et parmi eux, on trouverait les plastiques, les pesticides et herbicides, des produits pharmaceutiques, les vaccins.
Je pense qu'il est plus que nécessaire et plus qu'urgent maintenant, à la lumière de révélations sur les pollutions environnementales, de vraiment s'interroger sur les liens de cause à effet entre la pollution, des formes de handicaps et certaines maladies, dont l'autisme.
En France, deux études conduites en Haute-Garonne et Haute-Savoie, qui comparent les enfants nés en 1995-1997 et en 2007-2009, ont été réalisées.[vi]
« La prévalence a triplé en dix ans, passant de 2,3 à 7,7 enfants pour 1000 en Haute-Savoie. En Haute-Garonne, on compte 12,3 enfants pour 1000 pour les enfants nés entre 2007 et 2009. Cependant, une diminution significative de la proportion d’enfants présentant un retard intellectuel associé est à noter. Pour les enfants nés en 2010, la prévalence atteint 8 à 10/1000 ».
« Catherine Ha épidémiologiste co-auteur du rapport, explique que « les plans autisme » ont permis d’améliorer le repérage de ces troubles. Mais cela n’explique peut-être pas toute l’augmentation. Les connaissances sur les facteurs de risques sont encore limitées. Une influence des facteurs environnementaux n’est pas à exclure. »
Posons-nous les bonnes questions… C’est l’avenir de notre humanité qui est en jeu.
Changer notre regard…oui, Madame la Ministre, et comme vous le dites, c’est de la responsabilité de chacun. A commencer par le regard que nous, familles, aidants, mais aussi professionnels, nous portons sur l'ensemble des personnes handicapées parce que, bien qu’étant plongés dans ce monde du handicap, nous n’en connaissons pas toutes les formes ni toutes les difficultés. Également parce qu’en tant qu’être humain, nous avons des à priori sur ce que devrait être la vie d’autrui, et que nous avons toujours tendance à projeter sur les autres nos propres aspirations et notre compréhension de la Vie.
Comment pouvons-nous être sûrs que notre façon d’envisager la vie soit la seule et unique réponse ? Il est très facile de conclure que toutes les personnes handicapées voudraient vivre exactement comme nous. Mais qu’en savons-nous au juste ? La seule chose que je puisse affirmer dans ma situation est que, en tant que maman, j’aurais voulu pour ma fille une vie « normale ». Mais, de toute évidence, ce n’est pas ce que son âme a choisi de vivre…et c’est grâce à son handicap – son incapacité à parler, marcher, manger seule, tenir debout ou même assise – que j’ai grandi.
« Nos enfants sont venus pour cela. Nous pousser vers le haut, nous entraîner sur la voie de l'évolution. Mais pour accomplir cela, ils ont dû nous pousser à briser nos résistances et dépasser nos peurs les plus profondes en choisissant un message très puissant pour ébranler nos blocages (…) pour fissurer nos carapaces figées dans les conventions et les images stéréotypées. (…) pour nous entraîner sur les voies exigeantes de l'écoute, de la connexion cœur à cœur et du don de soi. Telles sont les apparences déstabilisantes derrière lesquelles ces êtres devenus nos enfants vivent pour accomplir une mission grandiose qui mérite toute notre gratitude[vii]. »
Suivre la Voie du Cœur est la réponse.
Il n’en demeure pas moins qu’il est essentiel pour la société de poursuivre cette évolution qui vous tient à cœur, Madame la Ministre, car nous avons tous à y gagner.
Votre volonté affirmée de faire avancer les choses et évoluer les mentalités est un cadeau pour les personnes dont vous défendez la cause. Et je vous remercie pour votre engagement.
Veuillez croire, Madame la Ministre, en ma considération la plus vive,
[i] Le Bouddha, l’Alchimiste et le fauteuil roulant – Claire Clauss – Ed. Baudelaire – décembre 2014
[ii] APAEI St-André 68 Cernay – présidence 2011-2012
[iii] Le Bouddha, l’Alchimiste et le fauteuil roulant – Claire Clauss – Ed. Baudelaire – décembre 2014
[iv] Id.
[v] Id.
[vi] https://www.alliancevita.org/2020/03/autisme-en-france-des-chiffres-en-hausse/
[vii] Le Bouddha, l’Alchimiste et le fauteuil roulant – Claire Clauss – Ed. Baudelaire – décembre 2014
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