Retour de Suède : autopsie d’une désinformation

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Franck Tordjman pour FranceSoir
Publié le 29 décembre 2020 - 19:16
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Stockholm
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AFP
Stockholm : on n'y souffre pas du syndrome du même nom.
AFP

TRIBUNE
La Suède a incontestablement occupé l’espace médiatique ces derniers temps et on ne compte plus les articles qui ont été consacrés à ce contre-modèle en matière de lutte contre la pandémie.

Rare pays à admettre sans restriction ni test PCR les voyageurs, rare pays à avoir laissé ses bars et restaurants ouverts en pleine journée, la Suède fait toujours figure d’exception dans l’UE en matière de port du masque et de politique sanitaire.

Cette stratégie ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut ; elle attire au contraire les foudres de la plupart des chroniqueurs qui estiment généralement que la Suède paie le prix de sa politique et que celle-ci est un échec. Ils rejoignent ainsi le point de vue de M. Véran qui a récemment cité le royaume scandinave parmi les mauvais élèves européens. Cette manière de désigner un voisin nordique dont les résultats sont meilleurs que ceux de la France en termes de décès par habitants est a minima une maladresse et elle mérite un examen attentif.

A l’issue de la première vague, alors que la Suède n’avait pas opté pour le confinement et laissé son économie fonctionner, elle comptait un peu plus de morts imputables au Covid que la France. Fin 2020, alors qu’elle a globalement poursuivi sa politique (pas de masque obligatoire, restaurants, bars et tous types de commerces ouverts), elle en compte désormais moins (autour de 840 morts par million d’habitants en Suède contre 940 en France : Source ARS et Agence de la Santé Suédoise, chiffres au 28 décembre 2020).

Plusieurs médias ont relevé à juste titre que sa stratégie s’est toutefois sérieusement infléchie fin novembre. Les Suédois ont en effet pris la décision de fermer les écoles début décembre et de fermer également les musées. Les masques ont également été préconisés à certaines occasions.

Nous avons suivi cette actualité de près, étant décidés à nous rendre pendant les vacances de Noël dans un pays où l’on peut encore se balader en ville, aller au restaurant ou au café et discuter avec les gens sans avoir l’impression d’être en permanence confronté à une maladie mortelle.

Voici ce que nous avons constaté : du 19 décembre, date de notre arrivée, au 29 décembre, date de ce compte-rendu, les masques sont obligatoires seulement dans l’aéroport et dans les avions. Le chauffeur de notre premier taxi n’en portait pas et nous avons pu mettre de côté les nôtres pour une dizaine de jours. Dans la rue à Stockholm, dans les restaurants, dans les cafés, très rares étaient les Suédois  qui en portaient contrairement à ce qu’avaient sous-titré les Echos du 21 décembre.

En réalité, les Suédois n’ont pas opté pour un port du masque généralisé comme en France. Ils sont seulement recommandés aux heures de pointe dans les transports en commun (mais encore pas rendus obligatoire comme en France). Nous avons quitté Stockholm pour la Laponie suédoise en avion et constaté que dans le grand nord, les activités nordiques se déroulent normalement. D’une manière générale, à la capitale comme au cercle polaire les restaurateurs et les entrepreneurs semblent satisfaits de pouvoir rester ouverts et adhérent aux mesures en vigueur. Ils ont espacé les tables, désinfectent régulièrement les objets utilisés, respectent naturellement une certaine distanciation mais le personnel et les clients ne portent en général pas de masque. Idem dans les hôtels et dans les bus.

Après avoir pris trois trains pour revenir dans la capitale suédoise et fait une escale dans une ville moyenne (Uméa, cote Botnienne – face à la Finlande), nous avons fait le même constat. Dans les trains, les contrôleurs et les passagers suédois ne portent pas de masque - et n’ont vraiment pas le souhait ni l’intention d’en porter. Ils pensent au contraire que cela pourrait amplifier la transmission de la maladie par contact des mains sur le masque… Les quelques personnes masquées que nous avons pu observer étaient des touristes étrangers et très rarement des Suédois, peut être fragiles ou malades.

Notons tout de même que d’autres dispositions ont été prises pendant notre séjour qui vont plus dans le sens du vent européen. Depuis le 24 décembre, les restaurants ne peuvent plus servir d’alcool après 20 heures ce qui réduit fatalement leur activité et réduit celle des bars et des boites de nuit. Ils peuvent toutefois continuer à servir à manger et il n’y a pas de couvre-feu. Ces mesures seront rediscutées mi-janvier.

Nous souhaitons aux Suédois de garder leur ligne. Ils s’en sortent finalement proportionnellement plutôt mieux que les Français sur la deuxième vague même s’il est vrai qu’ils ont des résultats nettement moins bons que leurs voisins scandinaves. Mais là encore, les comparaisons trop rapides sont trompeuses car il ne faut pas oublier que la Norvège et la Finlande sont nettement moins peuplées et nettement moins densément peuplées que la Suède qui compte plusieurs grandes agglomérations.

Les Suédois font face : ils savent que leurs ainés ont été les principales victimes du Covid, leur roi l’a rappelé… Mais ils n’ont pas un nombre de décès insupportable (pas plus qu’en France par exemple). Ils sont prudents, ils ne fanfaronnent pas et respectent les recommandations de regroupements limités tout en gardant une vie et une activité quasiment normales.

Ils doivent aussi faire face à la critique de la quasi-totalité des pays européens, critique relayée sans recul par d’innombrables organes qui ne prennent plus le temps de vérifier la réalité des terrains ou des opinions. Il est vrai que la Covid en Suède comme en France est un enjeu politique et que la déclaration de Carl XVI Gustav rejoint celle de certains partis suédois qui critiquent le gouvernement pour sa gestion.

Pour notre part, nous avons adoré la Suède et son peuple réservé mais accueillant. Nous ne pouvons que leur souhaiter bonne chance et le succès de leur stratégie. Comme le souligne leur épidémiologiste Anders Tegnell, ce sera à l’heure du bilan global, sanitaire, économique et social que l’on pourra vraiment se prononcer sur celui de leur politique. Et pour ce que nous avons pu constater, le peuple suédois ne semble pas du tout la rejeter…
 

Franck Tordjman est professeur agrégé des universités à l’Ipst-Cnam, responsable des programmes en management et marketing du Conservatoire national des arts et métiers à Toulouse. Observateur attentif des modes de vie, il a voyagé sur les 5 continents et a habité au Canada.

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