Suivi du confinement avec les variations des émissions de CO2 - le bilan en France, en Allemagne et en Europe en 2020
Déclaration préalable à l’article
Les propos exprimés dans l’article n’engagent que son auteur et non son employeur
Ni l’auteur ni son unité au sein du BRGM n’ont reçu de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article
Le confinement a des impacts sociaux et économiques majeurs, dont on pourra sans doute évaluer l’ampleur exacte qu’à moyen et long terme. Les media évoquent cet impact sur la base de projections économiques avec des grandes incertitudes car celles-ci sont souvent basées sur des indicateurs partiels et provisoires. L’originalité de cette étude consiste à évaluer le plus précisément possible l’ampleur de l’impact économique du confinement en analysant quantitativement les flux d’origine anthropique de CO2 émis que ce soit en France ou dans les autres pays d’Europe, en particulier l’Allemagne.
Nous proposons ici de faire le bilan 2020 des périodes de confinement en France, que ce soit le premier confinement du printemps ou le second confinement d’automne (jusqu’au 30 Novembre). En outre, nous comparons dans ces différentes périodes de confinement la France aux autres pays européens afin d’évaluer l’impact du confinement centralisé « à la française » en relatif par rapport à celui des autres pays européens, en particulier l’Allemagne. Cet article prolonge l’article paru en Juillet 2020 dans France Soir qui faisait le bilan de la première période de confinement de Mars ().
Ces émissions de CO2 sont suivies précisément par une équipe internationale de chercheurs afin d’étudier le changement climatique au niveau mondial. Nous utilisons les données issues d’une étude scientifique soumise à la publication dans la revue Nature Communications (Ces données ont été téléchargées le 13 décembre 2020 à partir du site public https://carbonmonitor.org. ). Un des co-auteurs principaux de l’article est Philippe Ciais qui travaille au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement du CEA.
Ces émissions de CO2 d’origine anthropique représentent l’ensemble des activités des différents secteurs (énergie, transport terrestre et maritime, industrie, logement résidentiel, trafic aérien domestique). Le trafic aérien et le transport maritime au niveau international ne sont pas pris en compte dans ces calculs. Le suivi des variations de ces émissions de CO2 permet une quantification des effets d’une période de confinement ou des autres mesures sanitaires prises dans chaque pays.
Emissions de CO2 en France en 2020 et 2019 entre le 1er Janvier et le 30 Novembre
Les courbes comparent ces émissions par pays en MégaTonne (Mt) chaque jour entre le 1er janvier et le 30 Novembre des années 2019 et 2020. Les périodes en rouge indiquent celles où les émissions quotidiennes de 2020 dépassent celles du même jour en 2019 et en bleu celles où les émissions en 2020 sont inférieures à celles en 2019. La période officielle de confinement ("lockdown") dans chacun des deux pays est indiquée en jaune. Derrière le mot « confinement » se cache en fait des réalités très différentes selon le pays. Par exemple, le 1er confinemnt commence à partir du 11 mars pour la France et du 22 mars pour l'Allemagne (certaines mesures de confinement partiel ont été prises avant cette date par certains « Länder » allemands). La période du 1er confinement du printemps dure environ 1 mois en Allemagne et 2 mois en France.
Emissions de CO2 en Allemagne en 2020 et 2019 entre le 1er Janvier et le 30 Novembre
Pour les deux pays, les périodes bleues sont globalement plus nombreuses que celles en rouge, ce qui indique une baisse significative des émissions de CO2 durant cette période en 2020. Sur l’ensemble de cette période de 11 mois entre janvier et novembre, cette baisse des émissions de CO2 est similaire en France et en Allemagne.
Plus précisément, l’étude montre une baisse similaire d’environ 10% des émissions de CO2 en Allemagne et en France entre les mois de janvier et novembre de 2020.
Nous avons ensuite extrait les données afin d’analyser les résultats sur la période de deux mois du 1er confinement en France (11 mars - 11 mai 2020) et sur le premier mois du 2ème confinement (30 octobre - 27 novembre 2020).
Baisse des émissions de CO2 pendant les deux périodes de confinements en 2020
EU27+UK : 27 pays européens + Royaume Uni
Source: https://carbonmonitor.org/
Data release from December, 13th 2020
Le constat fait sur cette période de deux mois du 1er confinement (11 Mars – 11 Mai) est très différent de celui sur les onze premiers mois de l’année. Les résultats peuvent se résumer en deux points marquants :
- la baisse des émissions de CO2 en Allemagne (23.6%) est du même ordre de grandeur que celle dans le moyenne européenne (22.3%)
- la baisse en France est la plus importante des pays européens (35.1%), avec une baisse d’environ 50% supérieure à celle de l’Allemagne.
Le constat fait sur le premier mois du 2ème confinement en France confirme les mêmes tendances observées pendant le 1er confinement mais en les accentuant :
- la baisse des émissions de CO2 en Allemagne (10.5%) est légèrement inférieure à la moyenne européenne (12.5%)
- la baisse en France (environ 20%) est une des plus grande baisse parmi les pays européens, environ deux fois supérieure à celle de l’Allemagne.
Avec 50% de plus de baisse que l’Allemagne pendant le 1er confinement et environ deux fois plus de baisse que l’Allemagne pendant le premier mois du 2ème confinement, ces chiffres indiscutables vont dans le sens de ceux qui préviennent le gouvernement que l’impact économique et social lié aux périodes de confinement en 2020 sera en France nettement plus important que dans le reste de l’Europe. Face au risque de prolongement du 2ème confinement par le Conseil Scientifique, les citoyens français doivent être alertés des conséquences d’une politique centralisée « à la française » du confinement.
Tout en gardant une certaine humilité face à la complexité de la situation sanitaire, nous suggérons donc au gouvernement d’envisager enfin sérieusement et de préparer au plus tôt la territorialisation des mesures sanitaires en France, c’est-à-dire d’abord en évaluant l’impact réel de chaque mesure sanitaire et en adaptant de manière proportionnée les mesures sanitaires face à la situation locale, à l’image de ce que font les autres pays européens comme l’Allemagne. Certains affirment aujourd’hui avec une certaine joie mauvaise (« Schadenfreude » en allemand) que l’Allemagne va moins bien que la France d’un point de vue sanitaire. L’Allemagne annonce effectivement la fermeture prochaine des écoles (seulement quelques jours avant les vacances de Noël) et celle des commerces dits non essentiels. Si ce pays prend aujourd’hui des mesures sanitaires avec un confinement partiel au niveau fédéral en rupture avec les mesures sanitaires précédentes prises au niveau des « Länder », il faut néanmoins rappeler que la mortalité COVID-19 par million d’habitants est dans ce pays plus de trois fois inférieure à celle de la France. On pourra a posteriori voir l’impact des baisses de CO2 en décembre 2020 et comparer alors cet impact en Allemagne avec le prolongement du confinement décidé en France à partir du site https://carbonmonitor.org. D’après les résultats présentés ici sur les onze premiers mois de l’année, il est cependant déjà certain que le bilan 2020 de l’impact en Allemagne d’un confinement « décentralisé» sera très inférieur à celui du confinement centralisé et uniforme de la France.
Afin de réussir cette territorialisation des mesures sanitaires en France, nous soulignons l’importance d’un suivi local de l’épidémie COVID-19 à l’aide des concentrations de virus dans les eaux usées comme dans le projet d'Observatoire épidémiologique dans les eaux usées Obépine en Ile-de-France ou dans les mesures du Bataillon de marins-pompiers de Marseille BMPM diffusées dans une vidéo par l’IHU Méditerrannée.
Les résultats dans les deux cas (Ile-de-France et Marseille) montre deux points remarquables :
- la méthode de suivi permet d'anticiper la situation épidémiologique avec plusieurs jours d'avance par rapport au suivi par les tests positifs par qPCR, ce qui permettrait de s’affranchir des limites des tests RT-PCR (nombre de tests variables, nombres de cycles Ct pour définir la contagiosité…)
- le 2ème confinement n’a pas été la cause de la baisse de la concentration du virus dans les eaux usées, bien au contraire, il a été suivi par une stagnation en IdF, voire une augmentation provisoire à Marseille avant la poursuite d’une baisse apparemment naturelle (il existe très probablement une contamination au sein des cellules familiales à la mise en place d’un confinement).
Nous espérons que le Conseil Scientifique et le gouvernement analyseront ces nouveaux résultats scientifiques en décidant de mettre en place un renfort de moyens publics pour :
- un suivi national du confinement via les émissions de CO2 calculées en temps réel
- un suivi local de l’épidémie piloté par les grands agglomérations en multipliant les mesures de ce taux de coronavirus dans les eaux usées, à une échelle adaptée (Ehpad, quartier, commune…)
Une meilleure réponse sanitaire face au COVID-19 en France passera par une réponse plus territoriale avec la responsabilisation et le respect de tous les acteurs locaux. En tant que scientifique et citoyen, c’est la voie de sortie que je propose à mes compatriotes, afin de ne plus sacrifier l’avenir des nouvelles générations et de garantir à nouveau les libertés individuelles, la démocratie et l’indépendance de notre pays.
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