Venezuela-Guyana : le conflit territorial historique de l’Essequibo remis à l’ordre du jour par Washington et ExxonMobil (Partie 2)
La région de l'Essequibo, regorgeant de ressources naturelles, ravive, à intervalles réguliers, les tensions entre le Venezuela et le Guyana. Après avoir évoqué ses origines, Catherine Roman revient, dans la seconde et dernière partie de sa tribune, sur les plus récents développements de ce conflit territorial.
IV - Les années Hugo Chávez
Avec l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en 1999, germe l’idée de créer une entreprise mixte commune entre le Guyana et le Venezuela pour exploiter les richesses de l’Essequibo. Un événement va modifier la donne en 2006 : la décision d’Hugo Chávez de changer la loi sur les hydrocarbures. Le président prévient que le pillage des ressources vénézuéliennes par les entreprises transnationales est terminé et que, dorénavant, les sociétés vont être tenues de monter des sociétés mixtes dans lesquelles l’entreprise publique vénézuélienne, Petróleos de Venezuela SA (abrégé en PDVSA), détiendra 50 % des actions. Toutes les sociétés transnationales acceptent le deal à l’exception d’ExxonMobil qui va intenter un procès à l’état vénézuélien et obtenir 1,5 milliard de dollars de compensation (sur les 10 milliards de dollars réclamés). Depuis 2006, ExxonMobil, via notamment son président de l’époque Rex Tillerson, souhaite se venger du gouvernement vénézuélien.
V - Les années Nicolás Maduro
En 2015, est élu au Guyana un ancien colonel des forces militaires du pays qui a été formé au Royaume-Uni, David Granger. C’est à cette période qu’ExxonMobil annonce qu’il existe un énorme gisement de pétrole, estimé à huit milliards de barils, au large du Guyana Essequibo, donc dans la zone de contestation. Selon les accords de Genève, l’exploitation de la zone maritime aurait dû être réglée entre le Venezuela et le Guyana et non par une décision unilatérale du Guyana et de son président, David Granger.
En 2017, Donald Trump nomme Rex Tillerson, l’ancien patron d’ExxonMobil, au département d’Etat. Dès sa nomination au gouvernement US, Tillerson va mettre la pression sur les instances internationales et notamment sur Ban Ki-moon (secrétaire général de l’ONU à l’époque) pour que l’ONU se réfère au processus de Paris pour régler les différends territoriaux du Guyana. L’ONU donne à la Cour internationale de justice la possibilité de travailler sur ce conflit territorial, ce que contestent les Vénézuéliens qui ne reconnaissent que les accords de Genève. En effet, siègent à la Cour internationale plusieurs magistrats qui sont d’anciens hauts fonctionnaires des Etats-Unis, ce qui rend, à leurs yeux, le tribunal partial.
Dès 2015, le Guyana est complétement piloté par ExxonMobil et Washington, la société visant les ressources naturelles du pays et la Maison-Blanche l’installation de bases militaires. Face à la partialité de la Cour Internationale de justice (Juan Guaido, l’opposant n°1 au régime, qui s’était autoproclamé président du Venezuela, a été reconnu par un juge et ExxonMobil a payé les frais de justice considérables du Guyana devant ce tribunal) et au lancement en septembre 2023 d’appels d’offres pétroliers par le Guyana dans la zone contestée, l’actuel président vénézuélien Nicolás Maduro, a organisé, le 3 décembre 2023, un référendum qui comprenait notamment les questions suivantes :
- Soutenez-vous la position selon laquelle l’accord de Genève de 1966 constitue le seul instrument juridique valable pour parvenir à une solution pratique et satisfaisante pour le Venezuela et le Guyana en ce qui concerne leur différend portant sur le territoire du Guyana Essequibo?
- Êtes-vous d’accord avec la position historique du Venezuela, consistant à ne pas reconnaître la compétence de la Cour internationale de justice pour résoudre le différend territorial sur le Guyana Essequibo ?
- Êtes-vous d’accord pour vous opposer par tous les moyens, conformément au droit, à la prétention du Guyana de disposer unilatéralement d’une mer encore à délimiter, de manière illicite et contraire au droit international ?
- Êtes-vous d’accord avec la création de l’État du Guyana Essequibo et l’élaboration d’un plan accéléré de prise en charge globale de la population actuelle et future de ce territoire, qui prévoirait notamment l’octroi de la citoyenneté et de cartes d’identité vénézuéliennes, conformément à l’accord de Genève et au droit international, incorporant par conséquent cet État sur la carte du territoire vénézuélien ?
Ce référendum a été un succès avec plus de 95 % d’approbation et une participation de plus de 10,5 millions de votants. Le Venezuela a ainsi inclus le Guyana Essequibo a son territoire dans le but de mettre la pression sur le Guyana pour un retour à la table des négociations.
Grâce à la médiation, entre autres, du président brésilien Lula da Silva et à celle du Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les chefs d’Etat du Venezuela (Nicolás Maduro) et du Guyana (Irfaan Ali) se sont rencontrés le jeudi 14 décembre 2023, pour tenter d'apaiser les tensions. Dans un communiqué commun, ils ont affirmé s’être mis d’accord pour ne pas utiliser la force. Ils ont également reconnu les accords de Genève même si le Guyana semble vouloir continuer la procédure en cours devant la Cour Internationale de justice de La Haye, la plus haute juridiction de l’ONU, dont le Venezuela ne reconnait pas la compétence. A ce jour, il semblerait que l’arrêt conservatoire de la Cour du 1er décembre 2023 concernant l’Essequibo interdise (jusqu’à ce qu’elle juge l’affaire) au Guyana et au Venezuela de modifier le statu quo permettant à ExxonMobil de continuer à construire des infrastructures offshore, mais pas à exploiter le pétrole de la région.
Selon l’accord, une nouvelle réunion aura normalement lieu au plus tard dans les trois mois qentre les parties au Brésil .
En conclusion, le Venezuela ne veut pas annexer le Guyana, mais revendique ses droits historiques sur un territoire qui lui a été spolié, d’abord par l’Empire britannique puis par le Guyana à partir de son indépendance. Ce qui s'est réglé à l’amiable durant 60 ans a été abandonné sous la pression de Washington et d’ExxonMobil avec une volonté manifeste de déstabilisation du Venezuela. Un retour aux accords de Genève serait bénéfique non seulement pour le Venezuela et le Guyana, mais également pour toute la zone latino-américaine.
Principales sources : Les 2 Rives (Romain Migus), Réseau Voltaire.
Française, Catherine Roman a vécu quelques années en Russie. Elle travaille dans le secteur des chiffres et se passionne pour la géopolitique et l'intelligence économique.
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