Censure des réseaux sociaux en cas d’émeutes : le gouvernement mise sur la législation européenne
ÉMEUTES/CENSURE - Lors de la séance publique de cette nuit, le sénateur Patrick Chaize (LR) a déposé un amendement pour permettre aux autorités d’enjoindre tout réseau social à retirer les contenus "incitant de façon manifeste à la violence" dans un délai de deux heures. Mais concernant la censure des contenus illicites, le ministre Jean-Noël Barrot préfère s’en remettre à la législation européenne et au règlement DSA.
Ce mercredi 5 juillet, le Sénat a poursuivi l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Ce projet entend surtout harmoniser le règlement européen sur les services numériques (DSA). Comme expliqué dans nos colonnes, le DSA fixe un ensemble de règles pour responsabiliser les plateformes numériques dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables. Il sera applicable en France dès le 25 août prochain.
Des sénateurs proposent d’obliger les réseaux sociaux à retirer les contenus "incitant de façon manifeste à la violence" en cas d’émeutes
Pour le sénateur Patrick Chaize, "l’actualité de ces derniers jours témoigne des effets amplificateurs des réseaux sociaux sur les émeutes et les mouvements populaires violents".
Très précisément, le sénateur de l’Ain veut censurer les incitations à dégrader un bâtiment public, ou plus grave, les appels à commettre des violences sur des élus. Pour cela, il souhaite qu’une autorité administrative soit habilitée à enjoindre les plateformes en ligne à retirer ce type de contenu bien précis dans un délai de deux heures, sous peine d’un an d’emprisonnement et de 250.000 euros d’amende.
Le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des télécommunications l’a néanmoins invité à retirer son amendement.
La jurisprudence "loi Avia " : la présomption d’inconstitutionnalité
Même si pour Jean-Noël Barrot, il est indéniable que "les plateformes ont permis de faciliter les regroupements", il rappelle toutefois le sort réservé à la "loi Avia" de juin 2020, celle qui entendait lutter contre les contenus haineux sur internet.
Il soutient que le Conseil constitutionnel l’a censuré parce qu'elle souhaitait instaurer l'obligation pour les réseaux sociaux de retirer les contenus "manifestement" illicites dans un délai de 24 heures. En réalité, ce n’était pas vraiment le délai en lui-même qui posait problème. L’appréciation du caractère "manifestement illicite" d’un contenu revenait à l’administration. Le délai de 24 heures laissé à l'opérateur pour s'exécuter ne lui permettait pas d'obtenir la décision d’un juge s’il le souhaitait.
Patrick Chaize propose certes un délai de seulement deux heures, mais il vise le retrait de publications spécifiques, et non plus "manifestement illégales". La censure du Conseil constitutionnel n’est donc pas si évidente.
Fort de cet argument, le sénateur LR a refusé de "lâcher" son amendement jusqu’à ce que le ministre demande une suspension de séance. Au retour des parlementaires en hémicycle, le sénateur finit par concéder le retrait de son texte.
Le ministre souhaite s’en remettre au règlement DSA
Au lieu de voter l’amendement du sénateur LR, Jean-Noël Barrot propose "d’organiser une réflexion" avec les différents rapporteurs et le ministre de la Justice pour en rédiger un nouveau.
"Il faut trouver le moyen de faire en sorte que les plateformes, dès la première heure, mettent en place des mesures pour éviter les phénomènes de viralité " explique le ministre, sans toutefois préciser comment. Il reviendrait donc aux réseaux sociaux de censurer eux-mêmes certains contenus sans signalement préalable de la part des autorités ? c’est exactement ce que le DSA prévoit.
En effet, les plateformes ne seront bientôt plus seulement obligées de retirer les contenus signalés. Avec le règlement européen, elles seront aussi obligées "d'analyser et de corriger le risque systémique qu'elles font peser sur la sécurité publique ", comme le rappelle le membre de l’exécutif.
Aussi, la Commission européenne verrait certainement d’un mauvais œil le fait qu’une loi nationale vienne concurrencer cette nouvelle prérogative, ou qu’un Etat membre lui dise ce qu’elle est autorisée à censurer.
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