Affaire Solère : la notion de conflit d’intérêts en question

Auteur(s)
Thierry Vallat avec la rédaction de FranceSoir
Publié le 21 février 2017 - 19:58
Mis à jour le 22 février 2017 - 11:31
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L'Assemblée nationale le 27 novembre 2012
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© BERTRAND GUAY / AFP/Archives
Depuis 2011, plusieurs dispositions ont été adoptées pour éviter à un parlementaire de se placer dans une situation qui pourrait faire l’objet de critiques.
© BERTRAND GUAY / AFP/Archives
A sont tour Thierry Solère est l'objet d'une affaire. "Le Canard enchaîné" évoque notamment des soupçons de "conflit d'intérêts". Ce qui ne constitue pas en soi un délit. Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris, décrypte en partenariat avec "FranceSoir" cette notion.

La campagne électorale de François Fillon n’étant décidemment pas un long fleuve tranquille, on vient d’apprendre que son porte-parole Thierry Solère était désormais soupçonné de conflits d’intérêts. En cause sa proximité avec le groupe Chimirec, spécialisé dans le traitement des déchets en Seine-Saint-Denis, dont-il aurait été salarié comme “conseil en stratégie pour la France et l’international”. Entreprise dont le patron aurait également, selon Le Canard enchaîné, consenti un prêt de 40.000 euros au député.

L’occasion de revenir sur cette notion de conflit d’intérêts que l’on met volontiers à toutes les sauces, mais qui n’a pas encore de cadre général en France.

Il existe en effet de nombreuses législations éparses relatives à des institutions spécifiques sur les conflits d’intérêts, comme le statut des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, dite HADOPI, le statut du gouverneur et des sous-gouverneurs de la Banque de France, des membres de la Commission de régulation de l’énergie, ou de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires.

Il existe aussi une législation qui concerne tous les élus. En droit français, aux termes de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qui définit cette notion, constitue donc un conflit d’intérêts "toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction".

Le conflit d'intérêts peut donc potentiellement remettre en cause la neutralité et l'impartialité avec lesquelles une personne doit accomplir sa mission et il peut ainsi arriver qu’un élu, dépositaire de l’intérêt général, soit pourtant en situation de servir des intérêts privés liés à sa situation personnelle et se trouver en porte-à-faux.

Le cas de Jérôme Cahuzac, en charge des relations avec les laboratoires pharmaceutiques au cabinet de Claude Évin, ministre des Affaires sociales de 1988 à 1991, et soupçonné d'avoir ensuite bénéficié de leurs largesses, avait défrayé la chronique et illustre parfaitement la notion de conflit d'intérêts. Il avait été suspecté d'avoir pris ses décisions, lorsqu'il était collaborateur ministériel, dans le but d'obtenir un renvoi d'ascenseur de certains laboratoires.

A la suite de l’affaire, et depuis 2011, plusieurs dispositions ont été adoptées pour éviter à un parlementaire de se placer dans une situation qui pourrait faire l’objet de critiques: souscription d’une déclaration d’intérêt au début de son mandat, respect d’un code de déontologie, encadrement de l’activité des lobbyistes intervenant auprès des parlementaires.

Il semblerait que ce dispositif soit pourtant insuffisant puisque semblent continuer de fleurir les petits arrangements avec les textes. C’est que le conflit d'intérêts ne constitue pas directement un délit. En revanche, la prise illégale d'intérêts, qui bien souvent en découle, est sanctionnée pénalement.

L'article 432-12 du Code pénal la définit comme le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement.

La prise illégale d'intérêts est sanctionnée de 5 ans d’emprisonnement et de 500.000 euros d'amende: de nombreux élus sont malheureusement encore régulièrement condamnés à ce titre.

La confiance du citoyen dans l’État est au cœur du contrat social et de la démocratie: il serait sans doute temps qu’une grande loi permette de réviser le régime de l’ensemble des incompatibilités pour les élus avec une stricte règle de non-cumul avec d’autres fonctions électives et surtout avec toute autre fonction professionnelle.

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