Cour de Justice de la République, indépendance des magistrats : ce que prépare Emmanuel Macron

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 18 juillet 2017 - 17:49
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Le président français Emmanuel Macron arrive au Congrès à Verseilles près de Paris, le 3 juillet 201
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© Etienne LAURENT / EPA POOL/AFP
Les réformes de la Justice prévue par Emmanuel Macron devront être approuvée par les 3 cinquième du Parlement ou par référendum.
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Parmi les réformes annoncées par Emmanuel Macron, deux concernent l'organisation de la Justice: la suppression de la Cour de Justice de la République et le renforcement de l'indépendance des magistrats face à l'exécutif. Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon, décrypte en partenariat avec "FranceSoir" les implications de ces réformes.

La justice devrait connaître des réformes importantes sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. La Cour de Justice de la République devrait en effet bientôt disparaître. Cette juridiction spéciale, qui a pour fonction de  juger les ministres ou anciens ministres pour les actes accomplis dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, devrait être supprimée lors de la prochaine révision de la Constitution souhaitée par le président de la République.

La Cour de Justice a été créée en 1993 et a pour compétence d’attribution de juger la responsabilité pénale des membres du gouvernement. Ils sont en effet pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, qui pourraient être qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis.

En dehors de leurs fonctions les ministres ne sont pas jugés par cette juridiction spéciale. Ce fut le cas de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac qui a été jugé pour fraude fiscale par un tribunal correctionnel ordinaire.

La Cour de Justice de la République n’est pas une juridiction classique. Elle est l’émanation des assemblées puisqu’elle comprend quinze juges, douze parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l'un préside la Cour.

Sa saisine est possible par toute personne, qui se prétend lésée par un crime ou un délit, commis par un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, qui peut porter plainte auprès d'une commission des requêtes composée de magistrats. Cette commission ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de Justice de la République.

Sur plus de 1.200 plaintes examinées depuis sa création, en 1993, seuls 39 dossiers sont arrivés en commission d’instruction dont cinq seulement ont abouti à un procès dont le plus emblématique fut celui de l’affaire du sang contaminé en 1999. L’an passé, la Cour eu à juger Christine Lagarde dans l’affaire de "l’arbitrage Tapie" et l’a reconnue coupable de négligence, tout en la dispensant de peine.

Pour Emmanuel Macron aujourd’hui "nos concitoyens ne comprennent plus pourquoi seuls les ministres pourraient encore disposer d'une juridiction d'exception". En effet la suspicion d’une trop grande indulgence entre "pairs qui se jugent" peut être l’un des reproches faits régulièrement à cette institution.

A l’avenir les ministres seront donc susceptibles d’être jugés par les tribunaux ordinaires à savoir le tribunal correctionnel pour les délits et la Cour d’assises pour les crimes. La question se posera s’il est néanmoins nécessaire d’instaurer une procédure pénale spécifique pour les membres du gouvernement, ou si le droit commun sera applicable, sans dispositions spécifiques, et sans filtres, pour éviter la multiplication de plaintes qui pourraient entraver le bon exercice du pouvoir exécutif.

Si le droit commun de la procédure pénale est applicable, un ministre pourrait faire demain l’objet d’une citation directe devant le tribunal correctionnel. Les ministres pourraient ainsi être exposés beaucoup plus facilement à des procédures qu’aujourd’hui, ce qui n’est pas sans conséquence pour leur action. Il serait donc certainement souhaitable qu’une commission de filtrage puisse examiner les faits reprochés au ministre afin de distinguer ce qui relève du champ politique, de ce qui tombe sous le coup de la loi pénale, comme aujourd’hui avec la commission des requêtes et la commission d’instruction pour la Cour de Justice.

Le président de la République a dit également vouloir "assurer l'indépendance pleine et entière de la justice" et renforcer la séparation de l'exécutif et du judiciaire en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la magistrature dans la nomination des magistrats du parquet.

Les magistrats du parquet, les procureurs, ont notamment pour fonction de diriger les enquêtes préliminaires, de faire citer les auteurs de délits devant les tribunaux, et lors d'un procès, de requérir l'application de la loi pénale et de solliciter des sanctions.

Certains syndicats de magistrats réclament depuis longtemps de retirer tout pouvoir au gouvernement en matière de nomination des procureurs. "La déconnexion de la nomination des magistrats et leur discipline avec le pouvoir exécutif est un élément indispensable pour mettre la justice à l’abri des pressions et des suspicions au sujet de son indépendance", selon le Syndicat de la magistrature.

Les magistrats du parquet sont dans une situation paradoxale. En effet statutairement "les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice", mais en même temps l’article 64 de la Constitution garantit l’indépendance de l’autorité judiciaire et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre le principe de la séparation des pouvoirs.

Les magistrats dits du siège, ceux qui jugent, sont déjà statutairement indépendants et inamovibles et n’ont pas ce lien hiérarchique avec le ministère de la Justice, et donc indirectement le gouvernement et le pouvoir politique. L’indépendance et l’impartialité constituent clairement les deux principes fondamentaux de tout système judiciaire: ils viennent garantir aux justiciables que l’acte de juger sera seulement déterminé par les seuls arguments du débat judiciaire. "Les soupçons récurrents d’intervention du pouvoir exécutif dans le traitement des affaires démontrent que la crédibilité d’une telle réforme exige un Conseil supérieur de la magistrature rénové et une réelle indépendance des magistrats du parquet", écrit l'Union syndicale des magistrats (USM).

Ces deux réformes, suppression de la Cour de Justice, et le renforcement de l’indépendance du parquet auront le même traitement juridique. Elles nécessiteront une réforme constitutionnelle qui devra être approuvée par les trois cinquièmes du Parlement (Assemblée nationale et Sénat réunis) ou par un référendum.

Ces deux réformes annoncées ne peuvent qu’être bénéfiques pour renforcer la confiance des Français dans leurs institutions, alors que nos concitoyens ont une opinion mitigée de l’institution judiciaire. En effet, 45% des sondés n’auraient pas confiance en la justice et 48% estimeraient que la justice n’est pas assez indépendante du milieu politique (sondage IFOP mars 2017).

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