Dissolution 2024 (3/6) : RN et macronie, les deux faces d’une même pièce (de théâtre)
Le 9 juin 2024, alors que le Rassemblement National et Reconquête ! parvenaient à hisser l’extrême-droite française au plus haut de l’histoire des élections européennes, Emmanuel Macron ordonnait, à la surprise générale, la dissolution de l’Assemblée nationale. Le « geste le plus démocratique et le plus républicain qui soit » selon le chef de l’État. Une stratégie risquée qui, si elle vise vraisemblablement une multitude d’objectifs, n’a pour autant aucun rapport avec la fibre républicaine du Président. Analyse (en six parties).
[Note de l’auteur : cette suite d’articles n’a pas vocation à prendre parti pour une idéologie plutôt qu’une autre. La démarche journalistique ici recherchée est de proposer une analyse globale des mouvements entre blocs politiques et des raisons ayant pu entraîner la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron. Cette chronique n’a donc ni pour ambition de questionner la qualité (ou la médiocrité) des individus ou de leurs programmes ni de chercher à influencer insidieusement le lectorat dans le choix de ses représentants.]
Précédent article : Dissolution 2024 (2/6) : Pleins pouvoirs, changement de régime, fraude électorale, pourquoi Macron a-t-il tué sa macronie ?
Au nom de « la lutte contre l’extrême-droite », le Rassemblement National a, dès 2016, été érigé comme l’ennemi à abattre par les « progressistes ». Un récit, à la promotion médiatique sans commune mesure, qui s’est avéré particulièrement utile pour permettre à Emmanuel Macron de remporter le second tour des élections présidentielles de 2017 et 2022. Pour autant, en dehors de ces périodes électorales, force est de constater que le RN a plutôt été choyé par la macronie.
En effet, au lendemain des résultats des élections législatives de 2022, des cadres de Renaissance n’ont pas tardé à vouloir se rapprocher du parti de Marine Le Pen. Barbara Pompili et Sylvain Maillard se disaient, par exemple, prêts à « discuter » avec le RN, tandis qu’Éric Dupond-Moretti souhaitait « avancer ensemble » avec son ennemi(e) d’hier.
Ces discussions ayant manifestement porté leurs fruits, une première entente était trouvée concernant le choix des vices présidents de l’Assemblée nationale. Grâce au soutien de la macronie, ces postes ont alors été confiés à deux députés du RN.
Puis, en août 2023, Emmanuel Macron trouvait le moyen de renforcer encore davantage cette union naissante. Après avoir reçu l’ensemble des partis politiques pour leur faire part de son « initiative d’ampleur »… qui a finalement accouché d’une souris, le chef de l’État profitait de ce moment de communication pour propulser sur le devant de la scène Jordan Bardella. Grâce à un jeu gagnant-gagnant avec la macronie, la « jeune pousse » du RN, débarquée de nulle part en 2018 dans le cadre… des élections européennes, venait ainsi, grâce à Emmanuel Macron, d’obtenir définitivement son rond de serviettes parmi les figures politiques les plus influentes du pays.
Merci Monsieur le Président !
Trois mois plus tard, en novembre 2023, lorsque, pour la première fois de l’histoire de la Ve République, le parti au pouvoir battait le pavé avec les membres les plus éminents du Rassemblement National, la preuve était cette fois faite que le RN, autrefois honni de tous, était finalement devenu un parti fréquentable.
Quelques jours plus tard, au moment où est venu le temps pour les parlementaires de voter la loi immigration proposée par les députés Renaissance, ces derniers, ne disposant pas de majorité absolue au sein de l’hémicycle, n’ont alors eu aucun scrupule à voir ce texte être adopté grâce aux voix des députés du Rassemblement National (avant que le Conseil constitutionnel n’en censure une partie).
En bref, entre le RN et le pouvoir présidentiel, le courant passe de mieux en mieux depuis deux ans. Les uns aidant les autres, et réciproquement.
Ainsi, s’ils n’étaient pas « adversaires », on jurerait là que la macronie est tout bonnement en train de tout faire pour légitimer et crédibiliser le parti de Marine Le Pen, ainsi que ses têtes d’affiche.
Comment, sinon, expliquer cette schizophrénie politique ? Un jour le RN est l’ennemi pour se faire élire, le lendemain il est aidé et poussé vers le sommet de l’État. Étrange !
Enfin, pas forcément…
LE JEU DE DUPES DE L’OLIGARCHIE
Au sein des démocraties libérales, pour dessiner la société et imposer ses vues, l’oligarchie financière aime s’appuyer, tour à tour, sur ses deux jambes, que sont les nationalistes et les libéraux (ou les sociaux-démocrates). Chaque camp idéologique ayant son avantage.
Appréciant l’ordre, la sécurité et l’uniformisation de la pensée politique autour de valeurs traditionnelles, les nationalistes sont particulièrement utiles quand il s’agit de tenir un pays d’une main de fer. Préférant davantage se rêver en réformateurs, les ultralibéraux facilitent, quant à eux, la mise en place de grandes révolutions idéologiques et industrielles. Tous agissant de concert avec le même objectif : capter les richesses et assurer un pouvoir durable à l’oligarchie.
À ce titre, la macronie n’a d’ailleurs à rougir devant personne. Son bilan, en matière de spoliation des finances du pays, de destruction de la démocratie française et de répression de son peuple, a assurément été le plus lourd de toute la Cinquième République.
En résumé, entre « progressistes » et « souverainistes », si les méthodes ne sont pas toujours les mêmes, la finalité, elle, l’est souvent.
En ce sens, afin de parfaire ce tableau, l’oligarchie aimerait bien enfermer une bonne fois pour toutes le débat politique autour de ces deux seuls courants de pensée. Notamment grâce à ses chaînes d’information en continu, comme, d’un côté, BFMTV, d’abord possédée par Patrick Drahi, l’un des géniteurs de la macronie, avant d’être cédée à la famille Saadé, proche du chef de l’État. Et, de l’autre, CNEWS, propriété de l’empire Bolloré réputé pour son idéologie de droite conservatrice et traditionnelle.
Ces médias n’hésitant mutuellement plus à sciemment entretenir le récit adverse afin de mieux le promotionner.
Par exemple, Mediapart révélait récemment que, dans un mail interne à BFMTV, Marc-Olivier Fogiel, le patron de la chaîne proche de Brigitte Macron, avait demandé à voir davantage de personnalités de la « droite dure » s’exprimer sur son antenne. De son côté, la presse estampillée Bolloré assurait, elle, la promotion de l’éventuelle activation de l’article 16 par Emmanuel Macron (1, 2, 3). Un récit concomitant entre deux lignes éditoriales, pourtant censées être totalement opposées, qui démontre bel et bien une volonté oligarchique d’aller dans le même sens.
De la même manière, il est étonnant de constater que le patrimoine médiatique de Lagardère, pourtant considéré comme chasse gardée… parce que largement chaperonné par Bernard Arnault, un autre géniteur de la macronie, ait pu être totalement avalé par l’empire Bolloré sans que le camp des progressistes ne cherche à s’en emparer à sa place. Idem à présent avec les titres de presse de Dassault.
Entre Paris-Match, Europe 1, le JDD et bientôt, potentiellement, Le Figaro, le paysage médiatique français est en train, lui aussi, de se reconstituer autour de cette seule opposition idéologique bipartite.
En clair, à terme, selon le raisonnement oligarchique, l’offre démocratique et médiatique ne devrait plus se séparer qu’en deux catégories. D’un côté, les « méchants d’extrême-droite » et de l’autre les « gentils progressistes », soit l’ensemble des forces allant de la droite modérée à la gauche (NB : selon la chaîne regardée ou le journal lu, vous pouvez tout aussi bien intervertir les qualificatifs).
Voici donc, peu ou prou, en cette fin du premier quart du XXIe siècle, le seul choix laissé aux peuples occidentaux. En effet, ce schéma récurrent, aussi résumé en opposition entre « globalistes et souverainistes », c’est-à-dire, grosso modo, ente le « bien et le mal », n’est pas l’apanage seulement de la France. Ce récit simpliste est en effet de plus en plus répandu au sein des différentes puissances mondiales.
Pour preuve, en voici quelques exemples :
- Aux États-Unis, Trump face à Biden ;
- En Allemagne, l’AFD face à Scholz ;
- En Angleterre, les Brexiters face aux pro-UE ;
- En Italie, Meloni face à Draghi et consorts ;
- En Russie, Poutine face à, feu, Navalny ;
- Au Brésil, Bolsonaro face à Lula ;
- Et, donc, en France, le RN face à la Macronie.
Une rivalité binaire, où toute autre forme d’opposition est éloignée, pour ne plus avoir à faire de la politique qu’Ensemble !.
VON DER LEYEN ET MELONI, MAIN DANS LA MAIN AU SEIN DE L’UE
Le cas de l’Italie étant sûrement le plus emblématique de tous. Le parti de Georgia Meloni, Fratelli d’Italia, est souvent pris en exemple, par les militants du Rassemblement national… bien que ce soit avec Éric Zemmour, et Reconquête !, que la présidente du Conseil italien s’est alliée.
À l’origine, pourtant vantée par la droite française pour son euroscepticisme et pour son programme visant à mettre un frein à l’immigration de masse dans la péninsule transalpine, Georgia Meloni n’a pas mis bien longtemps à s’acclimater aux règles du jeu et à se rapprocher de ses « ennemis progressistes » d’hier.
Le 18 juin, Le Monde nous rappelait en ce sens que si « Mme Meloni a fait le choix stratégique de s’attaquer aux migrations illégales dans leur dimension externe (…), elle a pu le faire avec la bénédiction de Bruxelles, Mme von der Leyen ayant systématiquement légitimé les initiatives de Mme Meloni en signant des accords avec la Tunisie et l’Égypte ou en l’accompagnant à Lampedusa (Italie) lors d’un afflux exceptionnel de migrants en septembre 2023 ».
Une Ursula von der Leyen, sorte de reine toute puissante de l’Union européenne à la tête de la Commission, qui aide ainsi ouvertement celle pourtant largement présentée par les « progressistes » comme « fasciste » et infréquentable ! Il y a là un rapprochement, si ce n’est un mariage, troublant entre les deux forces.
Dès le lendemain, Politico révélait (en deux temps) que la présidente de la Commission européenne était même allait jusqu’à intervenir pour bloquer un rapport mettant en cause la liberté de la presse en Italie. Dans quel but ? Celui tout simplement de s’attacher la loyauté de Georgia Meloni en vue de la réélection de Mme von der Leyen à la tête de la Commission. Cette dernière, élue grâce aux seules voix des chefs d’État des pays membres de l’UE, drague ainsi ouvertement son « adversaire idéologique » avec l’objectif affiché de s’assurer un nouveau mandat.
Une preuve, parmi d’autres, que le rouage « progressistes » contre « souverainistes » est conçu pour fonctionner… et durer. Les deux camps cherchant perpétuellement à s’aider et à se légitimer l’un l’autre, tout en continuant à entretenir leur « opposition » de façade.
En ce sens, à l’instar de Mme Meloni, Jordan Bardella et Marine Le Pen ont déjà déclaré à plusieurs reprises qu’ils étaient tous deux UE-compatibles… et, on les comprend ! Une telle place attitrée appelée à durer, cela s’entretient. Et ce, même s’il s’agit de tenir le rôle des « méchants » dans le film.
D’ailleurs, Marine Le Pen a d’ores et déjà annoncé qu’elle n’engagerait pas la destitution d’Emmanuel Macron si son parti venait à obtenir la majorité absolue à l’assemblée. Quelle meilleure preuve pour démontrer que, pour exister, RN et Renaissance ont viscéralement besoin l’un de l’autre et qu’ils représentent bel et bien les deux faces d’une même pièce de théâtre ?
Est-il d’ailleurs nécessaire de rappeler que Mussolini ou Hitler ne seraient jamais arrivés au pouvoir sans le vote du centre-gauche, des socialistes, mais surtout et avant tout sans le soutien politique et financier des libéraux et du secteur industriel ?
Ce mariage n’est donc pas récent. Ainsi, quand Emmanuel Macron décide de dissoudre l’Assemblée nationale en offrant un boulevard au RN, ce choix a été largement pesé en amont.
L’avenir de ses partis politiques (Renaissance et Renew) étant bouché, la macro-oligarchie a fait le choix de donner Matignon à la seule force politique digne de continuer à entretenir son jeu binaire.
Autre nouveauté pour le Rassemblement National : par cette décision, le chef de l’État a également donné au parti de Marine Le Pen le droit de définitivement asseoir sa position dans le paysage politique français.
En effet, Alexis Poulin interviewé, par son confrère Eric Lemaire, décrivait les conséquences financières pour le RN en cas d’entrée massive de ses députés à l’assemblée : « Le Rassemblement national, c’est formidable pour eux, parce qu’ils vont se refaire une santé financière exceptionnelle, ils n’auront plus besoin de faire des emprunts auprès des banques russes puisqu’ils vont avoir suffisamment d’élus pour rentrer suffisamment d’argent pour préparer 2027 ».
Installer durablement la pièce de théâtre oligarchique entre gentils et méchants, tout en permettant au RN de définitivement s’émanciper de toute collusion (officielle) avec la Russie, comme dirait Jérôme Kerviel : « Pas con, ça se tente… ».
Le 17 juin, Yánis Varoufákis – économiste et célèbre ministre des Finances en Grèce dans le gouvernement d’Aléxis Tsípras... juste avant que ce dernier ne le remercie et ne laisse l’UE, le FMI et la Chine achever son pays au nom du remboursement de la sacro-sainte dette – était interrogé, au sujet de la situation politique en France, par la chaîne britannique Sky News (vidéo intégrale, extrait, et extrait traduit en Français).
Bien au fait de la nature des facéties ayant trait au théâtre politique, le Grec est, de loin, celui qui résume le mieux la situation actuelle :
« Habituellement, les choses sont présentées comme une grande bataille, un conflit à mort entre le “libéral Macron” et “l’anti-libérale”… [Marine Le Pen] ». Yánis Varoufákis est un temps interrompu par la journaliste de la chaîne, puis reprend son analyse : « l’idée qu’il y aurait un énorme affrontement entre deux mondes différents est notable. (…) Ils se détestent l’un et l’autre, il n’y a pas de doute à ce sujet. Macron et Le Pen se haïssent mutuellement, mais de mon point de vue, ils sont symbiotiques. Macron n’aurait jamais été élu Président si Le Pen n’était pas forte et suffisamment fasciste… Et, Le Pen n’aurait jamais été aussi forte si quelqu’un comme Macron n’était pas au gouvernement à pratiquer du socialisme pour quelques-uns, pour les ultras-riches… et l’austérité pour le plus grand nombre ».
En quelques phrases, Yánis Varoufákis venait d’expliciter à merveille le titre de cet article.
Donner le pouvoir au RN plutôt que de le garder ou de le confier à une autre formation politique est donc indéniablement un choix désiré par la macro-oligarchie. Jamais, sinon, le chef de l’État n’aurait dissous l’Assemblée nationale au moment où son plus « dangereux » adversaire était au plus haut dans les urnes. Emmanuel Macron (et ses souffleurs) savai(en)t pertinemment que le risque de voir Jordan Bardella ou un autre membre du RN débarquer à Matignon après ces élections législatives anticipées était plus que probable.
Pour autant, ceci n’explique toujours pas pourquoi Emmanuel Macron a tout de même choisi de « tuer la majorité présidentielle » comme le dénonçait, le 20 juin sur TF1, un Édouard Philippe particulièrement amer. Au cours des deux dernières années, le chef de l’État était en effet malgré tout parvenu à imposer une large partie de ses réformes, avec ou sans le soutien du RN (Retraites, chômage, immigration, budget, etc.).
Pourquoi, dès lors, prendre le risque de se retrouver encore davantage en minorité à l’assemblée, alors que le Président pouvait, non sans mal, réussir à poursuivre une partie de son agenda jusqu’en 2027, quitte à ensuite lâcher le pouvoir à son grand « ennemi » ?
Dans ce monde, écrit pour n’être joué qu’à deux, il n’y a pas de place pour un second « méchant ». La faute revient donc au parti de Jean-Luc Mélenchon à la fois capable de rassembler un corps électoral suffisamment important… mais qui semble inapte pour proposer un projet susceptible de réunir l’intégralité du camp « progressiste », et, donc, avec lui, l’oligarchie dans son ensemble. Pourtant bien utile à différents égards, notamment en matière de politique sanitaire et climatique liberticide, La France Insoumise semble toutefois être devenue un personnage un peu trop encombrant dans ce film politique français. Une raison manifestement suffisante pour être la véritable ennemie à abattre.
De là à dissoudre l’Assemblée nationale ?
La suite de cette analyse dans le prochain article : Dissolution 2024 : tuer la macronie… en emportant LFI dans la tombe.
Wolf Wagner, journaliste Indépendant pour France-Soir.
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