Emmanuel Macron peut-il "gouverner par ordonnances" ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 19 mai 2017 - 13:00
Mis à jour le 22 mai 2017 - 13:29
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Le président français Emmanuel Macron à Berlin, le 15 mai 2017
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© John MACDOUGALL / AFP
Le président doit disposer d’une majorité au Parlement pour que son Premier ministre puisse "gouverner par ordonnance".
© John MACDOUGALL / AFP
Emmanuel Macron a prévenu durant la campagne qu'il utiliserait le mécanisme des ordonnances pour lancer certaines réformes. Prévues par la Constitution, elles permettent à l'exécutif de s'affranchir en partie des débats parlementaires. Rapides, elles subissent cependant certaines critiques que décrypte en partenariat avec "FranceSoir" Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

Le président Emmanuel Macron, élu le 7 mai, doit attendre l’installation de l’Assemblée nationale qui sera élue en juin pour engager l’action qu’il veut résolument réformatrice. Eclairé par les difficultés rencontrées par François Hollande avec une partie de sa majorité, il veut ensuite aller vite pour marquer immédiatement son quinquennat du sceau de la réforme. Il sait pertinemment que l’état de grâce passe très vite, et que dès la rentrée de septembre, le souffle de l’élection présidentielle sera déjà loin. La Constitution lui donne des moyens d’action rapide.

Le mécanisme des ordonnances peut lui donner la possibilité d’aller plus vite que le processus parlementaire classique de vote de la loi. L’Assemblée nationale installée en juin sera de toute évidence convoquée par le président en session extraordinaire une partie du mois de juillet. Emmanuel Macron et son premier ministre, s’il a une majorité, solliciteront du Parlement, en application de l’article 38 de la Constitution, l’autorisation de prendre "pendant un délai limité" des mesures relevant normalement du domaine de la loi, comme le dit le texte "pour l’exécution de son programme".

Cette autorisation lui sera donnée par le vote d’une loi dite d’habilitation. Les actes pris par le gouvernement en application de cette loi d’habilitation sont ainsi appelés des ordonnances, qui seront prises en conseil des ministres, après avis du Conseil d'État, et qui entreront en vigueur dès leur publication. Les ordonnances devront ensuite faire l'objet d'un projet de loi de ratification déposé devant le Parlement avant l'expiration du délai indiqué dans la loi d'habilitation. À défaut, elles deviendraient caduques.

Le mécanisme des ordonnances a plusieurs avantages: la rapidité qui court-circuite la procédure parlementaire des navettes, à savoir l’examen successif des textes par l’Assemblée nationale et le Sénat, le débat qui peut s’enliser dans les assemblées, et même au sein de la majorité qui peut être frondeuse comme on l’a vu dans le passé.

Emmanuel Macron a vanté clairement les avantages des ordonnances: "Ça vous évite la navette parlementaire qui, pendant des mois, vous fait passer du Sénat à l'Assemblée. Ça va plus vite, mais ça n'est pas moins démocratique". Emmanuel Macron a pris soin de préciser que "l'ordonnance n'est pas un geste militaire".

C’est en partie vraie car dans le processus, le Parlement s'exprime deux fois, tout d'abord par une loi d'habilitation, puis ensuite par une loi de ratification. Le président doit donc disposer d’une majorité au Parlement pour que son Premier ministre puisse "gouverner par ordonnance".

L’article 13 de la constitution de 1958 prévoit que "le président de la République signe les ordonnances". Or en 1986, pendant la première cohabitation, le président de la République François Mitterrand refusa de signer trois ordonnances du gouvernement de Jacques Chirac relatives à la privatisation de 65 groupes industriels, à la délimitation des circonscriptions électorales et à la flexibilité du temps de travail. Au terme de fortes tensions, le gouvernement fut forcé de s'incliner devant le refus du président de la République, et dut faire voter le contenu de ses ordonnances selon la procédure législative classique.

Emmanuel Macron a annoncé clairement qu’il agirait par le biais des ordonnances dès la fin de l'été pour "simplifier le droit du travail et décentraliser la négociation" de la branche à l'entreprise, insuffler de la flexibilité dans les textes, sur la durée du travail ou faciliter la procédure de licenciement.

Le président de la République entend néanmoins venir sur un terrain sensible car la législation par ordonnances zappe par définition le dialogue social. Cette procédure pour réformer le droit du travail est déjà critiquée par les syndicats et la gauche. "Ce qui s’est passé sur la loi Travail se repassera inévitablement si on légifère par ordonnances" a affirmé pendant la campagne Benoît Hamon, le candidat PS. Ce recours aux ordonnances reste donc sensible. C’est une opération à haut risque qui peut se heurter à une contestation sociale d’importance, et faire descendre des manifestants dans la rue. Cela fait également écho à la mobilisation et aux critiques sur l’utilisation du fameux 49/3 par Manuel Valls qui a mis le Parlement sous pression.

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