L'aveu d'un ancien des services de renseignement : "qui sort d'un programme de déradicalisation pourra de nouveau être tenté par la violence"

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Propos recueillis par Maxime Macé
Publié le 11 juillet 2017 - 14:46
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Un soldat français, devant la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 14 avril 2017, jour du Vendredi sai
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© PHILIPPE LOPEZ / AFP
Abou Djaffar sur la déradicalisation: difficile de "mener des guerres et expliquer poliment à l’ennemi qu’il fait fausse route".
© PHILIPPE LOPEZ / AFP
Mise en place d'une "Task force", fin de l'état d'urgence et nouveau projet de loi antiterroriste, le début du quinquennat d'Emmanuel Macron est marqué par une série de mesure pour lutter contre la menace terroriste. Interrogé par "FranceSoir", le blogueur Abou Djaffar, ancien des services de renseignement et spécialiste de la question, rappelle l'importance d'une réflexion approfondie sur les causes du djihad en France et met en garde contre la tentation législative à outrance.

La lutte contre le terrorisme en France est l'un des grands défis auquel sera confronté Emmanuel Macron durant son quinquennant. Conformément à sa promesse de campagne, le président de République a acté la création d’un centre national de contre-terrorisme visant à améliorer la coopération entre les services. Il a également annoncé la fin de l'état d'urgence qui va être remplacé par un nouveau projet de loi antiterroriste. Abou Djaffar, ancien des services de renseignement et blogueur spécialisé sur les questions relatives au terrorisme, livre à FranceSoir son regard sur les premières mesures du nouveau gouvernement. 

La "Task force" contre le terrorisme voulue par Emmanuel Macron a été officiellement mise en place à la mi-juin. Change-t-elle fondamentalement la façon de faire de l'antiterrorisme en France?

"Il existe clairement une ambition dans ce sens. Désormais il va cependant falloir voir si cette +Task force+ reçoit les soutiens logistiques, les affectations de personnels et les budgets nécessaires, mais l'on peut constater qu'il y a clairement une ambition d’avancer vers une coordination plus profonde entre les services de renseignement et, par exemple, le reste de l'appareil d'Etat. On observe encore, en effet, des dysfonctionnements, comme on l'a vu récemment, notamment avec l'affaire des détentions d'armes autorisées par des individus radicalisés.

"Malgré des années de terrorisme, la guerre en Irak et en Syrie, ou celle au Mali, il y a encore des endroits où les structures antiterroristes ne se recouvrent pas, aboutissant à des problèmes de coordination, qui ne sont certes pas stratégiques, mais pas anecdotiques non plus. L'idée qu'un individu puisse abattre des gens dans la rue avec une arme qu'il est autorisé à détenir alors qu'il est connu des services pose un sérieux problème, en particulier à l'égard des victimes et de leurs proches.

"Cette +Task force+ pourrait également renforcer la coopération entre les différentes instances de l'Etat, les ministères purement répressifs comme l'Intérieur ou la Défense, ceux qui doivent faire de la prévention comme l'Education nationale, les préfectures ou encore les mairies des grandes villes.

"Toutefois, si cette structure porte en effet une ambition intéressante, elle va être confrontée, comme dans tous les Etats modernes et centralisés, à la lourdeur administrative, à sa capacité à s'imposer face aux autres structures de l'Etat. Restera la question des mutations de personnels. Il est arrivé par le passé que l'on affecte à une nouvelle structure des gens que l'on ne voulait pas dans les services et dont on se débarrassait grâce à un appel d’air de ce type".

Lors du Congrès à Versailles, lundi 3, Emmanuel Macron a annoncé la levée de l'état d'urgence en novembre prochain. Cela va-t-il changer la donne dans la lutte contre le terrorisme?

"L'état d'urgence ne servait plus à grand-chose depuis des mois, quoique certains aient pu dire. Comme l'a reconnu l'ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, +l'état d'urgence n'a plus d'efficacité opérationnelle depuis plusieurs mois+. Politiquement, symboliquement, on lève l'état d'urgence alors que le prochain projet de loi antiterroriste va reprendre de nombreuses dispositions de ce dernier. Ainsi, elles vont être inscrites dans le droit commun et ne plus relever de la situation exceptionnelle".

Quel regard portez-vous sur ce projet de loi antiterroriste annoncé par Gérard Collomb?

"D'un point de vue démocratique c'est très embêtant car une fois que l'on fait rentrer de telles mesures dans le code pénal, il est très difficile de faire machine arrière. Le code pénal, en matière de terrorisme est, en France, extrêmement complet. Cela fait des années que l'on vote une loi antiterroriste par an alors que, selon les juristes et les personnels des services, celle de l'année précédente n'a pas encore été mise en application. Par exemple, les lois votées en 2015 ne sont pas encore pleinement appliquées et dans les services on a du mal à en tirer un bilan, qu'il soit positif ou négatif.

"C'est malheureux de constater que sur un sujet aussi grave que le terrorisme, on cède à la tentation législative permanente. A chaque attentat, même déjoué, même raté, on trouve toujours des responsables politiques qui proposent de nouvelles mesures, si ridicules soient-elles parfois comme la détention préventive de tous les fichés S".

Les derniers projets de loi antiterroriste comportent essentiellement des mesures répressives. On a l'impression que la prévention et la lutte contre la radicalisation ont été reléguées au second plan.

"Est-ce que vous pouvez empêcher les gens de penser ce qu'ils pensent? C'est toute question de la radicalisation et de la déradicalisation. Vous pouvez pénalement poursuivre des gens qui, par exemple, font de la négation de crimes contre l'humanité publiquement, ou qui soutiennent des groupes terroristes. Quand on commence à rentrer dans des considérations plus idéologiques qui relèvent à la fois du projet politique et de l'interprétation religieuse, vous êtes à la limite de ce que vous pouvez faire dans une démocratie.

"A un moment donné, l'incrimination ne peut se faire que lorsque des propos peuvent être visés par le code pénal, quand des faits ont été commis ou qu'ils vont être commis. Donc, tout ce qui va relever d’une campagne de sensibilisation et de déradicalisation demande une très grande subtilité, car il faut comprendre le système de pensée adverse que l'on veut combattre par le verbe, au niveau individuel. Ainsi, les chercheurs ont souligné la difficulté de produire un contre-discours communautaire, à supposer que la communauté visée ne soit pas seulement un fantasme sociologique.

"Le problème de la contre-radicalisation en France, c'est d'avoir manqué de vrais moyens humains et d'une ligne politique nette. Elle a aussi subi la lourdeur administrative. Notre campagne de décrédibilisation du djihad ne fonctionne pas parce qu'elle est à l'initiative de l'Etat français, qui souffre d’un manque de crédibilité intrinsèque. Quelle est la valeur aux yeux des individus tentés par le djihadisme de la parole d’un Etat qui use et abuse des clichés et, par ailleurs, mène des opérations militaires? Mener des guerres –nécessaires– et expliquer poliment à l’ennemi qu’il fait fausse route demande un certain doigté. Autre problème: le temps. Ces campagnes sont toujours très longues à mettre en place. En un quart d'heure, l'Etat islamique ou al-Qaïda, avec des moyens dérisoires, détournent des campagnes qui ont mis des mois à être faites et qui ont coûté beaucoup d'argent. Cela devrait inciter à une réflexion en profondeur au sujet des buts recherchés et des moyens alloués".

Quelles sont donc les solutions envisageables?

"Il faut naturellement que l'Etat se mobilise, montre qu'il agit, et qu’il s’investit sur le long terme. D'un point de vue personnel, je ne suis pas certain que l’on parvienne pas à déradicaliser durablement la totalité des personnes qui adhèrent aux idéaux des groupes djihadistes. Ce sera long et difficile, avec des résultats incertains. Une personne qui sort d'un programme de déradicalisation actuellement, vous ne pouvez pas être sûr qu'elle ne sera pas de nouveau tentée par la violence politique, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il ne s’agit surtout pas d’être défaitiste, mais on ne peut se contenter des coups de menton ou des certitudes sans fondement.

"Il faut donc se concentrer sur la prévention et sur l'éducation. Le contre-discours ne doit pas être fait de slogans trop rapides, parfois un peu infantilisants, mais le fruit d'un travail de très longue haleine faisant appel à l'intelligence, à la culture, répondant aux questions d'identité et de politique. C'est exactement la mission de l'Education nationale".

Début juillet au sommet du G5 du Sahel, Emmanuel Macron a annoncé que la France restera engagée au Mali "le temps qu'il le faudra". Une victoire définitive contre les groupes djihadistes de la région est-elle envisageable alors que la situation sécuritaire dans la bande sahélienne continue de se dégrader?

"Emmanuel Macron a évidemment raison quand il explique qu'il y a un problème de moyens. La bande sahélienne, c'est déjà cinq pays, (la Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et la Mauritanie, NDLR), le théâtre d’opérations est grand comme l’Inde. Si y on ajoute les pays concernés par la situation sécuritaire de la région, comme la Libye, le nord du Cameroun, le sud de l'Algérie et dans une moindre mesure l'extrême-sud de la Tunisie, on se retrouve avec un territoire énorme à couvrir, avec des moyens réduits. Même si le dispositif militaire mis en place dans le cadre de l'opération Barkhane est tactiquement très performant, il est quand même moins important que celui engagé au moment de Serval, alors que la situation actuelle est bien plus complexe qu’en 2013.

"Le constat est effectivement inquiétant quant à la situation sécuritaire. La victoire militaire de 2013 a été remarquable, mais les combats se sont déroulés uniquement au nord et au centre du Mali. Désormais, des combats ont lieu à l’ouest du Niger, au nord-ouest du Burkina Faso. Au Mali, la situation est tellement dégradée que l'Etat malien s'est quasiment retiré des zones reprises il y a quatre ans, tout comme les ONG. Pourquoi cette situation? Sans doute parce que la pression militaire n'est pas assez importante et surtout qu'elle ne s'accompagne d'aucune solution politique.

"Ce n'est toutefois pas le rôle de la France, on ne peut pas faire du chef de Barkhane une sorte de gouverneur général de l'Afrique subsaharienne. Il faut laisser aux autorités locales une capacité d'action autonome. Il ne faut pas seulement accompagner un processus d’accroissement capacitaire, il faut favoriser un règlement politique et accepter d’inscrire cette stratégie dans le très long terme".

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