Mario Draghi, enfant prodige de Goldman Sachs et Bretton Woods, de l’ombre grecque à l’échec italien
PORTRAIT CRACHE - Professeur d'économie, banquier : Mario Draghi, c'est l'histoire d'un homme qui a troqué les bancs de la fac pour les couloirs de la finance mondiale. Entre les jeux de pouvoir de la Banque mondiale et les controverses des swaps grecs, son parcours est un mélange d'ambition, de scandales et de stratégies économiques aussi complexes que les niveaux d'un jeu de Mario Bros. Mais ce 'Super Mario' peut-il réellement rebondir jusqu'aux sommets de l'Europe… ou du WEF ?
Fils d’un banquier, Mario Draghi veut appartenir à l'élite de l'économie : il décroche une licence en économie et commerce à l’université de Rome en 1970 puis s’envole aux États-Unis pour poursuivre un doctorat au MIT. Sa carrière débute avec un poste de professeur dans plusieurs universités italiennes, comme Trente, Padoue, Venise et Florence, mais troque rapidement ses craies et sa blouse de professeur pour l'administrative et le financier comme directeur exécutif à la Banque mondiale.
Ombre ténébreuse sur les îles hellèniques
Il quitte cette institution de Bretton Woods en 1991 pour revenir en Italie et appliquer tout ce que dicte ce système financier globalisé. Il devient vite le champion de la privatisation et vend l'Italie au plus offrant, liquidant plus de 750 entreprises, de Telecom Italia à Enel. Mais son zèle ne s'arrête pas là : il participe à la chute de Berlusconi et orchestre sans vergogne un coup d'État financier contre la Grèce en 2015. Ce “Super Mario” est bien plus habile pour sauver l’ordre financier mondial que la princesse Peach.
Il quitte le Trésor italien en 2001 pour se lancer dans le privé. Et pas n’importe lequel. Draghi devient vice-président de la branche européenne de la banque américaine Goldman Sachs, riche de plus de 100 ans d’existence, de pouvoir, d’influence et de scandales. Cette nomination, somme toute banale au moment des faits, est l’une des plus grandes zone d’ombre du parcours du banquier italien, et les événements qui en découlent n’éclairciront que peu son rôle dans la crise grecque.
Lorsqu’il devient vice-président de Goldman Sachs en Europe, la Grèce est dans l’incapacité de satisfaire le traité de Maastricht. Une solution s’offre pour l’Etat hellénique : dissimuler les déficits. Un sale boulot dont se charge cette banque américaine, ou plutôt sa filiale européenne.
La banque vend au gouvernement de Costas Simitis un “swap” en devise. En finance, un swap est un contrat par lequel deux parties échangent des flux de trésorerie ou d'autres instruments financiers à des dates futures spécifiques. Les swaps sont utilisés pour gérer le risque, obtenir un financement ou spéculer sur les mouvements des taux d'intérêt, des devises ou d'autres variables financières.
Celui que vend Goldman Sachs permet à la Grèce de se protéger des effets de change en transformant en euros la dette initialement émise en dollars. De cette manière, Athènes peut éviter d’inscrire cette nouvelle dette en euros dans son bilan. L’on parle alors d’un "hors-bilan", concept qui fait référence à des actifs, passifs ou autres éléments financiers qui ne sont pas enregistrés directement sur le bilan d'une entreprise et qui peuvent inclure des engagements futurs ou des accords financiers qui ne répondent pas aux critères de reconnaissance immédiate des états financiers traditionnels.
En contrepartie, Goldman Sachs se remplit les poches et renforce sa réputation de gestionnaire de dette souveraine. Mario Draghi est dans l’ombre à ce moment-là, mais cette affaire va ressurgir et lui revenir comme un boomerang.
Il quitte Goldman Sachs en 2005 pour occuper la tête de la Banque d’Italie, nommé par Silvio Berlusconi, alors président du Conseil italien. Draghi est le premier gouverneur de la Banque d'Italie depuis 1960 à ne pas être un “enfant” de l’institution. Il est, de ce fait, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE).
Ami de personne, si ce n’est de l’euro
Un “membership” dont il tire pleinement profit. En témoigne l’affaire de la lettre envoyée en 2011 par lui-même et Jean-Claude Trichet, alors gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), au “Cavaliere”. "Le cas est exceptionnel. Nous étions en présence de dysfonctionnements importants sur les marchés de la dette publique de certains pays de la zone euro. Nous avons dit à leurs gouvernements ce qui, à notre sens, était nécessaire pour un retour à une crédibilité vis-à-vis des investisseurs. C’était un message, ce n’était pas une négociation. Nous continuions à dire les choses fermement, comme nous l’avons toujours fait", expliquait Trichet.
À ce moment-là, Silio Berlusconi, qui achevait un troisième mandat non consécutif à la tête du Conseil dans un climat politique et économique tendu, fait adopter un nouveau plan d'austérité, de 48 milliards d'euros, pour contrer la crise de la dette publique dans la zone euro. Dans sa lettre, le gouverneur de la BCE appelle le gouvernement italien à une “stratégie de réforme globale, profonde et crédible, incluant la nécessaire libéralisation totale des services publics locaux et des services professionnels. Cela sera appliqué en particulier à l’offre de services locaux, via des privatisations de grande ampleur”.
Cette lettre est toutefois cosignée par “Super Mario”, enfant prodige de Bretton Woods et de Goldman Sachs, mais surtout, gouverneur “socialiste libéral” de la Banque d’Italie à ce moment-là. Un cheval de Troie pour essayer de masquer une ingérence qui ne dit pas son nom ? La lettre est de toute manière bien perçue par beaucoup comme une ingérence significative dans les affaires internes de l'Italie. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy se joignent à la BCE pour exprimer, publiquement, leur manque de confiance dans la capacité de Berlusconi à mettre en œuvre ces réformes.
Berlusconi fait face à une pression internationale et perd le soutien de la majorité, en raison de son incapacité à appliquer ces réformes. Il présente sa démission un 12 novembre 2011, quelques mois après la nomination de Mario Draghi à la tête de la présidence de la BCE, en remplacement à Jean-Claude Trichet. Une de ses premières mesures est d’adopter le “quantitative easing” ainsi que des mesures de soutien à l’économie de la zone euro, qui ont mené à un programme illimité de rachat de dette des pays de l’UE. La mesure est critiquée, notamment en Allemagne, par crainte que cette politique ne favorise l'inflation.
Un premier scandale ressurgit en 2013. “L'insegnante” est mentionné dans le cadre de l’affaire “Monte Paschi”, du nom de la troisième banque italienne. Il est accusé d’avoir mis du temps à agir et de l’avoir fait de manière peu transparente, lorsqu’il était gouverneur de la Banque d’Italie, aux difficultés de la banque à partir de 2006 suite à des transactions risquées de produits dérivés sur fond de soupçon de corruption.
Crédits : ARA
Mais son principal défi n’est autre que le retour du bâton grec. La crise soulève des questions de conflit d’intérêt. Super Mario est accusé d’être directement impliqué dans la vente des swaps au gouvernement grec de l’époque. Il nie cela devant les eurodéputés, affirmant n’avoir travaillé chez Goldman Sachs qu’avec le secteur privé. Or, les communications publiques de la banque américaine le désignaient pourtant comme un exécutif au service des gouvernements.
Peu en odeur de sainteté avec son propre pays, Mario Draghi, déclarera qu’il “ferait tout ce qu’il faut” pour préserver l’euro, il devient du coup le vilain petit canard pour les autres dirigeants européens. Il lance un bras de fer avec Alexis Tsipras, élu Premier ministre de la Grèce et hostile aux strictes mesurées des créanciers et leurs réformes austères, à savoir l’UE et le FMI. Le gouverneur de la BCE orchestre alors ce que beaucoup qualifient de “coup d’État financier” pour forcer la main au dirigeant de Syriza, en fermant le robinet du financement de la BCE aux banques helléniques. La souveraineté des banques centrales, il n’en a que faire.
Plus simple de détruire dans les coulisses de Sachs que de construire sur les devants de l’Italie
Il cède la BCE à Christiane Lagarde en 2019. Le nom Mario Draghi circule en Italie comme étant le successeur du président italien, Sergio Mattarella. Il est finalement désigné comme successeur de Giuseppe Conte, celui-là même qui “manque de vision”, à la tête du Conseil.
On est en 2021 et la pandémie de COVID fait fureur. Les mesures liberticides aussi.
“Super Mario”, abonné au Forum économique mondial (WEF) et membre de longue date du groupe de Bilderberg, alourdit les restrictions, reconfine de plus de la moitié de l'Italie, et fait adopter des mesures draconiennes au début de la campagne de vaccination, sanctionnant les membres du personnel sanitaire qui refusent la piqure.
Il ne fera pas long feu face à la crise politique que vit l’Italie et ne faisant surtout pas mieux que Giuseppe Conte. S’il réussi à former à sa nomination un gouvernement “du grand entassement” avec une panoplie de partis politiques impliqués, il cède face aux tensions et démissionne en juillet 2022, après le refus de vote de confiance du Parlement. Il laisse alors une économie détériorée, une inflation élevée, de la pauvreté, ainsi que de nombreuses crises, notamment dans les secteurs hospitalier et éducatif.
Après chaque expérience italienne, une expérience européenne ou internationale. Super Mario espère donc revenir en Europe, comme président de la Commission, à la place d’Ursula von der Leyen. Mais cette dernière se porte candidate à sa propre succession et le Parti populaire européen (PPE) verrouille le poste lors des dernières européennes.
Bloomberg rapporte que le président français, Emmanuel Macron, mènerait lui-même des négociations pour installer l’ancien banquier de Goldman Sachs – entre banquiers, on se comprend – à la place de VDL. “Il existe une immense estime réciproque entre Emmanuel Macron et Mario Draghi. Les deux hommes ont le même engagement européen, ils parlent le même langage et ont la même vision économique”, estime-t-on.
“Leurs liens ont été renforcés par la nécessité d’une réponse européenne à l’agression russe, en fournissant des armes à l’Ukraine, même si Mario Draghi a toujours eu des convictions très atlantistes”, poursuit-on.
Pourquoi pas le Conseil européen ? Tout semble indiquer que c’est en bonne voie : Ursula von der Leyen a ouvert la porte à Giorgia Meloni, qui entretient de bonnes relations avec Mario Draghi. Reste à convaincre l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D), arrivée seconde lors du scrutin européen. “Mario Draghi ne révèle jamais ses plans, jusqu’au moment où il arrive au pouvoir”, estime Francesca De Benedetti, spécialiste des affaires européennes pour le journal Domani.
Peut-être que nous retrouverons celui qui affirme n’être candidat nulle part, à la tête du WEF... Qui sait ?
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