Michelin, une saga familiale hors du commun
Au regard de sa renommée et de son succès actuel, on imagine mal que Michelin soit née d’une entreprise en difficulté. Une fabrique familiale de machines, notamment agricoles, la J.G. Bideau et Cie, installée près de Clermont-Ferrand à la fin du XIXe siècle. Elle travaille alors le caoutchouc, une matière dont l’utilisation est maîtrisée depuis peu, pour la fabrique de joints, clapets ou tuyaux.
L’héritière de cette entreprise et son mari, Jules Michelin, un contrôleur des douanes, ont deux fils: André, ingénieur de formation, et Edouard, qui fera les Beaux-arts. En 1889, l’entreprise familiale périclite, Edouard Michelin abandonne ses ambitions artistiques pour aider son frère à redresser la barre. Ils donnent leur nom à la société, et tentent de la relancer en fabriquant des patins de freins.
La légende veut que l’idée qui fera leur succès vienne de la visite d’un cycliste à l’usine en 1891. Celui-ci cherchait de quoi réparer son pneu, alors simple morceau de caoutchouc gonflé, confortable pour l’époque mais long et complexe à réparer. Les deux frères imaginent alors un pneu démontable et déposent des brevets.
Un tas de pneus "avec des bras et des jambes"
Alors qu’Edouard l’artiste s’occupe de la production, André l’ingénieur fait merveille en termes de communication. Il équipe Charles Terront, première star du cyclisme en France, pour promouvoir l’entreprise. Il sèmera même des clous sur la route d’une course organisée par l’entreprise pour démontrer l’utilité du pneu démontable…
Son talent de publicitaire, Michelin va le démontrer quelques années plus tard avec une mascotte universellement connue. Lors de l’Exposition universelle et coloniale de 1894, le stand Michelin est décoré avec des piles de pneus. Edouard Michelin glisse à son frère: "regarde, avec des bras et des jambes, cela ferait un bonhomme".
Ce "bonhomme Michelin", le dessinateur humoristique O’Galop lui donne vie sur une affiche en 1898. On le voit lever un verre rempli de tessons et de clous en s’exclamant: "nunc est bibendum!" (en latin, "c’est maintenant qu’il faut boire!"). Le tout suivi du slogan: "le pneu Michelin boit l’obstacle". La citation latine donnera son nom à Bibendum, encore aujourd’hui com
pagnon de route de Michelin. En 2000 le Financial Times lui attribuera le titre de logo du siècle.André Michelin est considéré comme l’un des meilleurs publicitaires de son temps. Il crée des campagnes qui marquent l’imaginaire des consommateurs et font de Michelin une référence. En 1924, Il entasse des cochons dans un camion équipé des ses pneus. Place de la Concorde, il raille les passagers des antiques bus parisiens, ses porcs étant plus confortablement installés…
Plus d’un siècle d’invention
Sa notoriété, Michelin va également l’entretenir en s’associant à de nombreux exploits techniques ou sportifs, ainsi qu’en faisant figure de précurseur.
Dès 1899, c’est équipée de pneus Michelin que la "Jamais contente", une voiture électrique, est la première automobile à dépasser les 100 km/h. En 1908, la société crée le premier pneu jumelé, permettant le développement des véhicules poids lourds.
Dès les débuts de l’aviation, l’entreprise sera présente et s’improvisera avionneur durant la Première guerre mondiale. Quatre-vingts ans plus tard, la navette spatiale américaine se posera sur des pneus Michelin.
L’entreprise créera également la première roue démontable, préfigurant la roue de secours, en 1913. Elle lance la "Micheline" –le train sur pneu— en 1929, dépose le brevet du pneu radial en 1946. En octobre 2013, elle présentait le plus grand pneu au monde.
Simplifier l’automobile pour développer le pneu
A cela il faut ajouter le succès des créations Michelin destinées à aider les conducteurs. Très tôt conscient du potentiel de l’automobile, les frères Michelin ont vite compris que pour assurer le développement du pneumatique, il fallait simplifier la vie des conducteurs. C’est dans cette logique qu’est créé le célèbre guide Michelin en 1900.
Dans la préface, on peut lire: "ce guide est né avec le siècle, il durera autant que lui". Un succès prévu mais sous-estimé car 114 ans plus tard, il existe toujours et couvre 23 pays. A l’origine gratuit, il intégrait aussi bien les hôtels et restaurants que les adresses des mécaniciens. Ce n’est qu’à partir de 1926 que les fameuses étoiles récompensant les meilleures tables feront leur apparition.
Pour convertir les Français à l’automobile, la société créera même en 1908 un bureau d’itinéraires à Paris. Son but, permettre au conducteur de préparer à l’avance et gratuitement son voyage, comme il le fait aujourd’hui sur Internet, par exemple sur le site ViaMichelin (400 millions de visites par an).
Michelin militera aussi pour une meilleure organisation du réseau routier, lançant même en 1912 une pétition pour la numérotation des routes.
Avec autant d’innovations, l’entreprise familiale a bien sûr affolé les chiffres pendant un siècle. Les 52 collaborateurs de la première fabrique sont aujourd’hui plus de 110.000, répartis sur 69 sites à travers 18 pays. Un statut international qui n’empêche pas l’entreprise de conserver de nombreux emplois en France et en Europe, même si ce chiffre a tendance à baisser. Des 28.000 salariés clermontois de 1982, il en reste aujourd’hui environ 12.000, dont une majorité de cadres.
Leader mondial du secteur du pneu (14,6% de part de marché en 2011), l’entreprise en produit plus de 150 millions par an et vend dans le même temps près de 10 millions de guides et cartes. Le tout représentait en 2014 un chiffre d’affaires (en hausse de 3,6%) de 19,5 milliards d’euros.
L’entreprise doit pourtant aujourd’hui jongler avec les conséquences de la crise et donc avec des résultats très variables selon les pays. Une tâche qui échoit au nouveau patron depuis 2012, Jean-Dominique Senard. Il est le premier directeur de l’entreprise qui ne soit pas issu de la famille Michelin en 125 ans.
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