Avec "La Fracture", gilets jaunes et soignants s'invitent sur la Croisette
Des soignants d'hôpital débordés et démunis, des "gilets jaunes" tabassés par la police, des classes sociales qui se toisent : avec "La Fracture", Catherine Corsini expose à Cannes les déchirures de la société française.
Vingt ans après avoir été en compétition avec "La répétition" (2001), la réalisatrice et scénariste française a présenté vendredi soir son dernier film, qui a été chaleureusement accueilli par le public mais a divisé la critique.
"Un film virtuose" pour le quotidien suisse Le temps, un film "qui part d'une bonne intention" salue le britannique The Guardian mais qui se demande "à quoi peut-il bien servir". Quant à Libération, le quotidien estime que "Catherine Corsini s’embourbe dans les vieux travers de la fiction de gauche".
Le film raconte l'histoire de Rafaela (Valeria Bruni Tedeschi), une dessinatrice en couple avec Julie (Marina Foïs), une éditrice qui veut la quitter. Lorsque les deux femmes atterrissent aux urgence après une chute de Rafaela, elles rencontrent Yann (Pio Marmaï) un camionneur "gilet jaune" blessé par une grenade tirée par les forces de l'ordre.
Tournée avant la crise du Covid-19, "La Fracture" fait écho à la situation actuelle des hôpitaux français et des soignants qui dénonçaient déjà avant l'épidémie un manque structurel de moyens. "Avec ce film, j'ai voulu rendre hommage aux soignants qui prennent soin de nous tous", explique la réalisatrice à l'AFP.
- "Cinéma engagé" -
En juxtaposant des récits individuels -- la fracture du bras de Rafaela, la fracture d'un couple, mais aussi la fracture d'une partie de la population vis-à-vis de l'autre -- la réalisatrice tisse un récit politique puissant, pas seulement sur la résurgence des tensions sociales sous la présidence d'Emmanuel Macron, mais sur un moment précis, au plus fort de la crise sociale des "gilets jaunes" où la France aurait pu basculer dans l'inconnu.
"Pour moi, c'était hyper important de parler de la France d'aujourd'hui", affirme Catherine Corsini. "Je voulais inscrire mon cinéma dans l'urgence car la société est de plus en plus violente, qu'une misère sociale s'est installée. A un moment, je me suis dit qu'il fallait que mon cinéma devienne plus engagé, plus politique", explique-t-elle à l'AFP.
Violences à l'égard des soignants, violence sociale et policière à l'égard des manifestants : le film montre une société profondément divisée et meurtrie, faisant écho au film "Les Misérables" de Ladj Ly, Prix du jury à Cannes en 2019.
Jusqu'ici, le cinéma s'était peu emparé du sujet des "gilets jaunes", à l'exception d'"Effacer l'historique" (2020), de Gustave Kervern et Benoit Delépine, et de deux documentaire: "J'veux du soleil" (2019) du député insoumis François Ruffin et "Un pays qui se tient sage" (2020) de David Dufresne - ce dernier plus spécifiquement sur les violences policières contre les manifestants.
- "Un peu autobiographique" -
"Un peu autobiographique", le film est né après un passage de la réalisatrice aux urgences. "Ce jour-là, c'était le premier jour des +gilets jaunes+, raconte-t-elle à l'AFP. J'ai ensuite empilé beaucoup de choses, j'ai imaginé des blessés... Malgré tout, c'était important pour moi de coller au réel".
Grâce à un casting en partie non professionnel, dont Aissatou Diallo Sagna, qui incarne Kim une infirmière dévouée mais dépassée - la grande révélation du film - et un travail de documentation sur les manifestations, le film prend, par moment, des allures de documentaire.
Porté par des personnages qui finissent par dépasser leurs clichés -- le couple "bobo parisien" formé par Rafaela-Julie, Yann le "prolo" de province à la colère brouillonne -- le film, souvent touchant, est aussi plein d'humour.
"Ça m'a paru important que le film puisse faire rire parce que, souvent, quand on parle de film politique on a l'impression qu'on va vous faire la leçon (...) Or c'est par l'humour que les gens se retrouvent", souligne-t-elle. "C'est précisément ce que raconte le film, à savoir comment on pourrait avoir une société où les gens se regardent, s'écoutent et puissent parler entre eux".
Présente en filigrane tout au long de sa filmographie - "Les amoureux" (1994), "La répétition" (2001), "La belle saison" (2015) - l'homosexualité féminine, est aussi au coeur de ce long métrage: "A l'époque j'assumais pas ... Mais depuis une quinzaine d’années, les choses ont changé, les gens de ma génération ont réussi à dire ce qu'ils étaient".
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