En Inde, le village d'un viol collectif dans l'œil du cyclone

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Par Alexandre MARCHAND - Rasana (Inde) (AFP)
Publié le 18 avril 2018 - 14:54
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Un Indien nomade du Cachemire, le 17 avril 2018, est assis près de la tombe de la fillette de 8 ans violée et assassinée à Kathua en Inde en janvier dernier
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© SAJJAD HUSSAIN / AFP
Un Indien nomade du Cachemire, le 17 avril 2018, est assis près de la tombe de la fillette de 8 ans violée et assassinée à Kathua en Inde en janvier dernier
© SAJJAD HUSSAIN / AFP

C'est un monticule de terre orangée, sans inscription, sur lequel les mauvaises herbes commencent tout juste à pousser entre les pierres. Rien ne laisse soupçonner que dans cette sépulture anonyme repose le corps d'une fillette dont le sort secoue l'Inde tout entière.

Le nom et le visage de cette enfant musulmane de huit ans, violée en réunion puis tuée dans la région à majorité hindoue de Jammu (nord), sont devenus des symboles de ralliement de manifestations à travers ce pays-continent d'Asie du Sud.

Survenu en janvier, ce fait divers était alors passé relativement inaperçu. Ce n'est que la semaine dernière, lorsque la police a rendu public son acte d'accusation contre huit hommes, qu'il s'est transformé en tempête politique et médiatique.

D'après les enquêteurs, la fille a été victime de villageois hindous locaux qui cherchaient à terrifier sa tribu nomade musulmane, les Bakarwals, pour les forcer à quitter leur commune. Le "viol de Kathua", du nom du district où se situe ce village de Rasana, est vu comme symptomatique de la crispation communautariste de l'Inde sous la direction des nationalistes hindous, au pouvoir à New Delhi depuis 2014.

Loin de l'agitation et des examens de conscience qui agitent l'Inde, Rasana est figé dans un calme trompeur. Perdu dans des collines aux flancs desquelles dorent des champs de blés mûrs pour la récolte, on y accède par une route étroite à peine assez large pour un véhicule.

- Visages fermés -

À l'évocation de l'affaire, les visages se ferment. Les résidents de la zone se tiennent sur leurs gardes. Leurs mots sont soigneusement pesés. Les rumeurs fusent, les informations données se contredisent d'un interlocuteur à l'autre. Beaucoup éludent les questions.

"Depuis que ça s'est passé, le village s'est totalement vidé, c'est un cauchemar", déplore Yash Paul Sharma, un riverain de 39 ans, en référence au départ en masse de familles.

Au bout d'un chemin, la jungle s'écarte pour dévoiler un bâtiment de plain-pied au revêtement rose fatigué. Seuls quelques fanions triangulaires accrochés à l'extérieur signalent son caractère religieux. Selon les policiers, ce modeste temple hindou a servi pendant cinq jours de lieu de séquestration et de sévices sur la fillette, droguée, avant qu'elle ne soit tuée.

Son corps avait été découvert en forêt une semaine après sa disparition.

Un 4x4 s'arrête devant le temple. Six hommes ventrus en descendent. Lors d'une veillée aux chandelles à la mémoire de la victime le soir précédent, ces membres d'une ONG musulmane du Pendjab voisin ont décidé de retrouver ses parents pour leur donner de l'argent. Partis aux aurores, ils roulent depuis six heures.

Ce crime reflète "la mentalité de tarés que (les nationalistes hindous) ont propagé ces quatre dernières années. Mais cet épisode change la façon dont l'Inde voit les choses et les gens se lèvent pour s'y opposer", estime Mubeen Farooqui, président de la fédération musulmane du Pendjab.

Les parents de la fillette ont cependant quitté Rasana depuis peu. Suivant la migration traditionnelle des Barkarwals l'été venu, ils se dirigent avec leur troupeau vers les montagnes du Cachemire. La fonte des neiges y a cédé la place à des pâturages. Le groupe de Pendjabis repart à leur recherche, vers le nord.

- Menaces de mort -

Située un kilomètre plus loin, au milieu de nulle part, la maison de la famille n'est pas désertée pour autant. À l'ombre de son préau, cinq policiers somnolent sur des couchettes, armés.

Face à l'atmosphère explosive autour du viol de Kathua, dont les accusés ont comparu lundi pour la première fois devant un tribunal, la Cour suprême indienne a ordonné que les parents de la victime et leur avocate – qui s'est dite cible de menaces de mort – soient placés sous protection policière.

Ce dossier a mis à nu des lignes de fractures religieuses. Les partisans des suspects ont tenu leurs propres manifestations, estimant l'enquête biaisée et réclamant une nouvelle investigation confiée à la police fédérale. Des avocats de l'association du barreau local ont tenté de physiquement bloquer les enquêteurs lorsque ceux-ci sont venus déposer leurs conclusions au tribunal.

Par craintes de troubles, l'internet mobile était coupé mardi dans la région de Jammu.

Des collines de Kathua, l'onde de choc qui se répand dans la plaine semble désormais bien loin. Pourtant, sous le cours apparemment immuable de la vie rurale, la poignée de Bakarwals qui n'a pas encore rejoint la transhumance estivale vers les hauteurs du Cachemire vit désormais aux aguets.

Mère de six enfants, Kaniza Begum ne laisse ainsi plus sa fille de dix ans sortir seule dans la campagne, comme elle en avait l'habitude. "Elle n'a plus le droit d'aller dehors. Si elle va à l'école, son frère l'escorte".

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