Nuremberg : Les procès des grands industriels - IG Farben

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Catherine Avice pour France-Soir
Publié le 30 septembre 2024 - 16:20
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La salle d'audience du procès de Nuremberg, en novembre 1945
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TRIBUNE - Nuremberg et ses procès, suite de la partie 123 et 4

 

Le procès de l’IG Farben 

Dernier des procès des grands groupes industriels, le procès de l’IG Farben fut aussi le plus long (152 jours) et celui qui réunit le plus grand nombre d’accusés (24) et de témoins (189 dont 102 pour la défense). 3055 pages de minutes témoignent de l’importance de ce procès et de la difficulté de son instruction car les documents du groupe à Francfort furent détruits en 1945 sur ordre des services secrets allemands.  

A l’instar des accusés des groupes Flick et Krupp, ceux du groupe IG Farben furent poursuivis pour avoir participé activement à la préparation de la guerre d’agression et d’invasion, avoir pillé et volé les biens industriels des pays occupés par le Reich, avoir procédé au meurtre de masse et à la mise en esclavage de milliers de travailleurs civils étrangers, de prisonniers de guerre et d’internés des camps de concentration. 

Doté dans l’entre-deux guerres d’une structure complexe et redoutablement efficace qui en fit en 1925 le premier groupe industriel allemand, le groupe fit très tôt alliance avec Hitler, participant au plan quadriennal de mise en place d’une économie de guerre et au développement de la machine militaire allemande pour mener la guerre d’agression. Ainsi, le groupe accumula dès 1934 des stocks d’essence et de matières premières entre autres, en prévision de la guerre, s’approvisionnant auprès de grandes compagnies…américaines avec lesquelles la coopération de l’IG Farben fut intense : le groupe allemand tissa des liens particulièrement étroits avec la Standard Oil of New Jersey, Dupont de Nemours, Sterling, Agfa, Aluminium Co of America, Monsanto…Uniquement sur la période 1938-1939, ce ne sont pas moins d’une soixantaine de nouveaux accords qui furent passés entre les compagnies américaines et l’IG Farben, alors même qu’il ne pouvait plus y avoir aucun doute sur les intentions belliqueuses du IIIème Reich. Cette coopération entre les groupes industriels mais aussi les groupes bancaires américains dura jusque pendant les premières années de la guerre ! 

Ce procès mit en évidence de « lourdes complicités » (1) entre gouvernements américains et allemands : dès 1924, le plan Dawes réduisit de façon drastique le montant des réparations de guerre que l’Allemagne devait payer à la France (principalement) et à la Grande Bretagne pendant qu’un prêt de 800 millions de dollars permettait la création de trois cartels majeurs dans les secteurs de l’acier, de l’électricité (AEG) et de la chimie (IG Farben). Rebelote avec le plan Young de 1929, qui réduisit une nouvelle fois les réparations allemandes avant d’en sceller le sort avec la création de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) en 1930. Quant aux banques américaines, Schroder Bank de New-York en tête, avec l’appui de la BRI et du groupe Rockefeller, elles favorisèrent grandement le développement de l’économie nazie. 

Dès le début de la guerre, le groupe se trouvait donc en position privilégiée pour poursuivre un objectif clair : « intégrer les chimies tchèque, polonaise, autrichienne, norvégienne, française et russe au sein de son immense konzern. » (2), ce qu’il fit, avec le soutien sans réserve des banques allemandes (Commerz Bank, Dresdner Bank, Deutsche Bank, Berliner Handelsgesselschaft,…). 

De par l’activité du groupe dans le secteur de la chimie et de l’industrie pharmaceutique, plusieurs des accusés furent également convaincus de complicité dans les expériences abominables menées sur des êtres humains dans les camps de concentration : IG Farben fut, en effet, le fournisseur des vaccins, virus, gaz mortels (le ZyklonB des chambres à gaz), drogues, qui causèrent la mort de millions de personnes. 

Pour la défense de leurs clients, les avocats allemands surent rappeler les paroles du Premier Ministre britannique Lloyd George en 1936 à son retour de Munich : « Hitler est l’un des plus grands parmi les grands hommes que j’ai rencontrés au cours de ma vie. Hitler est le George Washington de l’Allemagne.» (3). Ils s’appuyèrent également sur les fortes accointances entre industriels américains et allemands et cette tactique fut payante : le verdict des juges américains fut encore plus clément qu’il ne l’avait été dans les cas des groupes Flick et Krupp ; malgré l’incontestable implication du groupe et de ses principaux dirigeants dans d’effroyables activités criminelles, la condamnation la plus lourde fut de 8 ans d’enfermement, peine largement réduite par la prise en compte des années de prison préalables au procès. Sur les 23 accusés effectivement jugés (l’un des procès fut reporté en raison de l’état de santé de l’accusé), 10 furent acquittés, 2 immédiatement libérés ; avec le soutien du chancelier Adenauer, les autres seront tous élargis par anticipation en 1950-1951. Tous sans exception, acquittés ou condamnés, reprendront dans l’industrie leurs carrières momentanément interrompues (dans le secteur chimique ou au sein d’entreprises comme Agfa, Bayer, BASF, Hoechst), et retrouveront, au sein de la RFA, des positions clés qui vaudront à certains les plus hautes distinctions honorifiques !  

On ne peut que rester sidéré devant la clémence des tribunaux au regard de l’atrocité des crimes commis. Comment expliquer cette complaisance envers les nazis de l’« ami américain » pour reprendre la formulation du journaliste et historien Eric Branca ? Ces « lourdes complicités » entre gouvernements, cette collusion d’intérêts entre grands groupes industriels auraient-elles perduré jusqu’après-guerre ? Auraient-elles infiltré jusqu’aux rouages de la justice américaine ?  

Et par un raccourci qui ne surprendra pas ceux qui, depuis des années, assistent, sidérés et impuissants, au démantèlement industriel de notre pays au profit de l’Allemagne et/ou des Etats-Unis, je me demande dans quelle mesure la France ne fait pas, aujourd’hui encore, par Union Européenne interposée, les frais de cette complaisance passée envers les nazis, et d’une collusion d’intérêts dont la crise « covid » nous a amplement démontrée qu’elle est toujours à l’œuvre. 

L’impossible dénazification de l’Allemagne 

Philippe Valode conclut son ouvrage sur l’impossible dénazification de l’Allemagne, une première raison étant que la société allemande, dont l’auteur rappelle qu’elle était totalement nazifiée car infiltrée, surveillée, gangrenée jusqu’à la moelle par le NSDAP, rejeta radicalement ces procès considérés comme injustes car basés sur un droit rétroactif. Ce rejet d’une « justice des vainqueurs » fit une très large unanimité au sein de la population allemande ; il n’est pas inutile de rappeler qu’en 1952, 32% des allemands trouvaient plus de bien que de mal à dire sur Hitler (sondage de l’Institut d’Allensbach) chiffre qui traduit le déni d’une très large partie de la population face aux crimes du nazisme ! 

Il s’agit en fait pour la toute jeune RFA de « passer à autre chose », de laisser derrière elle ce passé quitte à ne pas sanctionner les criminels nazis : ainsi la fonction publique allemande réintègre très vite les fonctionnaires qu’elle avait écartés dans un premier temps et qui firent tourner la machine à broyer hitlérienne ; les juges et les magistrats qui avaient servilement officié dans l’Allemagne hitlérienne sont presque tous réintégrés (en Bavière par exemple, 81% des magistrats sont d’anciens sympathisants nazis, 83% dans le Land de Hambourg) avec des conséquences évidentes  sur les procès de dénazification que ces magistrats eurent eux-mêmes à conduire envers des fonctionnaires ou des militaires dont on comprend aisément pourquoi ils furent si légèrement sanctionnés (quand ils le furent !) ; le mythe d’une Wehrmacht « propre » se construit ; les industriels, on l’a vu, retrouvent leurs biens et leurs responsabilités au sein de leurs groupes ; et bien sûr, de très nombreux nazis bénéficient des filières d’exfiltration mises en place, essentiellement en Italie (citons l’évêque Aloïs Hudal, protégé par le Vatican), à destination de l’Amérique Latine et du Moyen-Orient (Mengele, Eichmann, Barbie en bénéficieront). La liste est longue, non seulement des nazis exfiltrés mais aussi de ceux qui réapparurent après-guerre dans le paysage politique de la RFA, le plus célèbre étant le chancelier Kurt Georg Kiesinger, qui vit sa carrière stoppée par la gifle que Beate Klarsfeld lui asséna lors du congrès annuel de la CDU à Berlin en 1968. 

Avec la légèreté des peines infligées, les réhabilitations massives, les acquittements, les libérations anticipées et « pléthoriques » sont un des éléments essentiels qui ressort de la lecture de l’ouvrage de Philippe Valode.  Tout cela ne put se faire qu’avec l’aval voire la bénédiction des Alliés, et en particulier des Américains, pour qui la priorité était désormais la lutte contre le communisme. La guerre froide, engagée avec l’URSS, justifia alors à leurs yeux que soient libérés et soutenus d’anciens nazis ! Si, comme le souligne Philippe Valode « La guerre froide a décidément bon dos ! »  (4), c’est bien que ce fût loin d’en être la seule raison. 

  1.  : « Les 12 procès oubliés de Nuremberg » Philippe Valode, éd. du Rocher, 2023, page 417 
  2.  : Ibidem, page 428 
  3.  : Ibidem, page 447 
  4.  : Ibidem, page 522 

 

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