Complotisme : injure, diffamation, ou dénigrement ?

Auteur(s)
Arnaud Dimeglio, pour FranceSoir
Publié le 30 juillet 2021 - 19:22
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Code pénal
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© Fred TANNEAU / AFP/Archives
Le complot constitue une infraction pénale.
© Fred TANNEAU / AFP/Archives
Le terme de complotisme s’est propagé sur la toile et dans les médias à la même vitesse que l’épidémie de COVID-19. Tous ceux qui ne partagent pas le « consensus » sanitaire et médical sont traités de complotistes, de conspirationnistes, de covido-sceptiques, voire de dangereux malades extrémistes. Dans quelle mesure peut-on utiliser de telles qualifications ?
 
Définitions
 
Avant d’entrer dans la qualification juridique, il apparaît opportun de faire un point sur la terminologie.
 
Selon le dictionnaire Larousse, il existe plusieurs définitions du terme complot :
- Atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
- Résolution concertée de commettre un attentat et matérialisée par un ou plusieurs actes.
- Par extension, projet plus ou moins répréhensible d’une action menée en commun et secrètement.
Le complotiste est quant à lui définit comme « quelqu’un qui récuse la version communément admise d’un événement et cherche à démontrer qu’il résulte d’un complot fomenté par une minorité active ».
 
D’après ces définitions, le complotiste n’est pas l’auteur d’un complot : il dénonce un complot. Celui qui est l’auteur d’un complot est quant à lui qualifié de comploteur. Le complotiste dénoncerait ainsi l’existence de comploteurs. Il ne faut donc pas confondre les deux. Néanmoins, les deux termes étant très proches, en pratique, un amalgame se crée. Le complotiste est souvent considéré comme un comploteur, autrement dit comme une personne auteur d’un comportement illicite.  
 
Concernant les termes de « conspiration », « conspirationniste », et « conspirationnisme », ils sont souvent employés comme synonyme de « complot », « complotiste », et « complotisme ».
 
Infraction pénale
 
Sur le plan juridique, le complot constitue une infraction pénale. Il est défini par l’article 412-2 du Code pénal de la façon suivante :
 
« Constitue un complot la résolution arrêtée entre plusieurs personnes de commettre un attentat lorsque cette résolution est concrétisée par un ou plusieurs actes matériels.
 
Le complot est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Les peines sont portées à vingt ans de détention criminelle et à 300 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique. » Le complot est également prévu comme une infraction spécifique dans les codes de la justice militaire (article L. 322-3 : complot militaire), et dans le code des transports (article 5531-7). La conspiration n’apparaît pas quant à elle comme étant juridiquement une infraction. Mais comme nous l’avons vu précédemment, les deux termes sont souvent employés de manière synonyme.
 
Les explications d'Arnaud Dimeglio, avocat à la Cour, docteur en droit :
 
Liberté
 
Ce n’est pas parce qu’un terme constitue une infraction, qu’il ne peut être utilisé dans le langage courant pour qualifier une personne, un comportement, un contenu etc… Le principe est en effet celui de la liberté d’expression. Cependant cette liberté n’est pas absolue : il existe des limites prévues par le paragraphe 2 de l’article 10 de la CEDH. Parmi ces limites se trouve notamment la protection de la réputation des personnes. Pour savoir si la limite a été franchie, le juge effectue une balance des intérêts entre la liberté d’expression et la protection de cette réputation.  
 
Suivant les cas, le qualificatif de complotiste peut être considéré comme une forme d’expression admise, ou comme abusive. La personne qui utilise ces termes peut engager sa responsabilité si elle porte atteinte à la protection de la réputation d’une personne, de ses biens ou de ses services. Plusieurs qualifications sont susceptibles de s’appliquer : injure, diffamation, dénigrement, dénonciation calomnieuse etc….
 
Diffamation 
 
Parmi ces infractions, les recours les plus fréquents sont ceux en diffamation. La diffamation est définie par l’article 29 alinéa 1 de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse comme « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation».
 
– En droit interne, un média a déjà été condamné sur le fondement de la diffamation pour avoir affirmé que les réalisateurs d’un film propageaient des théories du complot en lien avec les attentats du 11 septembre.
 
La Cour d’Appel de Versailles a considéré que la chaîne n’était pas de bonne foi, et l’a donc condamné pour diffamation. (CA Versailles, 5 janvier 2012, n°10/04688).
 
– Plus récemment, l’Institut Pasteur a obtenu la condamnation pour diffamation d’un individu soutenant une thèse complotiste à son encontre : il affirmait dans une vidéo publiée sur Facebook que le Covid-19 avait été créé et breveté par l’Institut Pasteur.
 
En novembre 2020, l’homme a été condamné pour diffamation par le Tribunal Correctionnel de Senlis à une amende de 5 000 euros avec sursis, 1 euro symbolique de dommages et intérêts, et à publier son jugement sur sa page Facebook, ainsi que dans trois journaux. (TC Senlis 2 novembre 2020).
 
L’Institut Pasteur a également déposé plainte en diffamation contre le réalisateur du documentaire intitulé Hold Up, et le Pr Fourtillan lesquels ont relayé cette thèse.   
 
Dans une autre affaire, il a été jugé en revanche que les faits allégués relatifs à l’imputation du terme de complotiste n’étaient pas assez précis pour qualifier les propos de diffamation.
 
Tout dépend par conséquent de chaque cas.
 
Injure et dénigrement
 
Outre la qualification de diffamation, le terme de complotiste pourrait être qualifié d’injure. Celle-ci est définie par l’article 29 alinéa 2 de la loi de 1881 comme « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Or le terme de complotiste apparaît comme l’injure à la mode. 
 
L’utilisation des termes « complotistes » pourraient aussi faire l’objet de poursuites sur le fondement du dénigrement pour concurrence déloyale (article  1240 du code civil). En effet, lorsque ces propos ont pour objet de jeter le discrédit sur les produits ou les services d’un concurrent, l’action en dénigrement paraît légitime.
 
Certains journalistes par exemple utilisent le terme de complotisme pour discréditer des médias alternatifs, et donc à des fins de concurrence déloyale. En 2019, le bloggeur Olivier Berruyer a agi à l’encontre des Décodeurs du journal Le Monde pour dénigrement (concurrence déloyale). Il reproche à l’outil « Décodex » d’avoir classé son blog « Les Crises » dans la catégorie rouge, comme un site non fiable, avant de l’avoir rangé dans la catégorie orange,  site à consulter avec prudence.
 
Figuraient notamment dans l’analyse de son site faite par Les Décodeurs les termes suivants : « aux frontières du conspirationnisme », laissant envisager que son blog diffuse un contenu à caractère « complotiste » ou « conspirationniste », mettant ainsi en doute sa crédibilité. Ayant perdu en première instance en avril 2019, il a fait appel de la décision.
 
Complotisme et fausses informations
 
Il est souvent reproché aux sites complotistes de diffuser de fausses informations ou « fake news ». Il existe à ce sujet de nombreuses infractions de fausses informations comme celle crée en 2018 par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
 
L’infraction de fausse information est difficile à prouver. Parmi les conditions à remplir, il faut en effet que l’information soit manifestement erronée ou trompeuse, et dénuée de tout lien avec la réalité. Imputer une telle qualification est par conséquent dangereux. Si de telles accusations ne sont pas étayées par des bases factuelles sérieuses, il va de soi qu’elles encourent condamnation.
 
En conclusion, l’utilisation du terme complot, et ses dérivés, est risquée puisque potentiellement condamnable sur divers fondements. Avant d’utiliser ce terme, il convient par conséquent de bien vérifier ses sources, voire de consulter un avocat.
 

Arnaud Dimeglio est avocat à la Cour, docteur en droit, titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l'informatique et de la communication.

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