Évaluation des liens financiers entre les associations, fondations d'entreprises, fonds de dotation liés à la santé et l'industrie pharmaceutique en France
TRIBUNE - L'auteur déclare n'avoir aucun conflit d'intérêt avec une quelconque compagnie pharmaceutique citée ou non dans cette étude.
Introduction
Alors qu'elle a pour but principal de protéger la population, la loi sur les conflits d'intérêts a été particulièrement mal respectée ces dernières années. En effet, les médias omettent presque systématiquement de rappeler à leurs invités qu'ils doivent déclarer leurs éventuels conflits d'intérêts avant de s'exprimer sur tel ou tel sujet. Il semblerait également que ne pas respecter une loi n'émeuve pas plus nos dirigeants. Lors des émissions de vulgarisation, la population ne dispose donc pas des informations qui lui permettraient de vérifier les éventuels liens d'intérêt qui existent entre les acteurs de la santé et l'industrie pharmaceutique. Cette opacité est particulièrement choquante dans la mesure où la population est ainsi privée d'éléments de discernement sur un sujet qui impacte directement sa santé.
Théoriquement, une la loi, dite loi n° 2013-907 a été votée pour cela. Elle mentionne très clairement ce qui peut créer un conflit d'intérêts et elle précise également quels sont les organismes de contrôles. Le CSA y apparaît très clairement (la prévention des conflits d’intérêts).
Une publication du British Medical Journal, apparue dans un article du Courrier du Soir, a été un des points de départ de cette étude.
S'il est possible de connaître, au moins partiellement, les sommes perçues directement par les personnels soignants qui font référence à ce cadre, il est beaucoup plus compliqué de connaître les sommes perçues (rémunérations, cadeaux), toujours par ces mêmes personnels soignants, mais qui transitent par des associations, fondations d'entreprises ou des fonds de dotation. Certaines personnes, notamment des médecins, nous en parlent régulièrement sous couvert d'anonymat.
Dans la suite de cette étude, pour ne pas surcharger le texte, le terme “association(s)” désignera les associations, les fondations d'entreprises et les fonds de dotation. Plus généralement les organismes à but non lucratif qui apparaissent comme bénéficiaires sur le site TransparenceSanté.
Nous nous sommes intéressés aux sommes versées par les compagnies pharmaceutiques aux associations.
Pour coller avec les événements récents, nous nous sommes intéressés uniquement aux principales compagnies qui ont fourni les vaccins anti-Covid au cours des trois dernières années.
Résultats
Cette étude porte sur quatre compagnies pharmaceutiques : AstraZeneca, Johnson & Johnson, Moderna Inc. et Pfizer. Nous avons choisi uniquement les années 2017 à 2022. L'année 2023 a été volontairement écartée, puisque les seules données disponibles concernent le premier semestre de l’année.
Nous avons recensé environ 7000 associations ayant un lien direct avec la santé qui apparaissent comme bénéficiaires.
Le tableau ci-dessous résume les résultats obtenus :
Sous forme de graphique :
Analyse des résultats
- Le résultat qui saute aux yeux immédiatement est que Pfizer est bien en tête des sommes versées aux associations. Pfizer est aussi le grand vainqueur en nombre de doses vendues en France. Selon l'étude publiée par le British Medical Journal, beaucoup d'associations ont, parmi leurs membres, au moins un médecin influenceur. C'est probablement une manière efficace d'atteindre les autres médecins. On voit que la déclaration de conflits d'intérêts ne devrait surtout pas se limiter aux sommes directement perçues par les médecins, mais aussi à celles perçues au travers d'associations, plus ou moins ciblées par les médecins eux-mêmes, sous anonymat.
- Le deuxième résultat montre la part réservée aux associations. Si on exclut le "petit poucet" de ces chiffres, Moderna Inc., la part réservée aux associations est très constante, environ 10 % des sommes totales. Est-ce une coïncidence ou une méthode parfaitement évaluée ? Cela peut paraître peu, mais nous parlons ici de millions d'euros. En plus, ces compagnies pharmaceutiques dépensent beaucoup pour financer des campagnes publicitaires qui vont toucher en premier lieu les médecins grâce aux publications rédigées par les compagnies publicitaires.
- Le rapport des sommes perçues par les associations entre les périodes 2017-2019 et 2020-2022 est très significatif. Nous pouvons constater une brusque augmentation pour les “années vaccins". 2020 pouvant être interprétée comme une année de préparation à la vente des vaccins.
- Les relations financières entre les associations et l'industrie pharmaceutique en France sont nombreuses. Il faut dire que le bénéfice est double :
- Allègement d'impôts pour les entreprises pharmaceutiques.
- Accès très facile aux nombreux médecins membres des associations et par effet boule de neige à leurs collègues.
Méthodologie
Comme précisé dans la publication du British Medical Journal, et à l'instar des USA avec le Sunshine Act, la France a créé la base de données publiques Transparence-Santé.
Cette base devrait préciser la valeur des cadeaux, des accords contractuels et des rémunérations que l'industrie pharmaceutique accorde aux professionnels de santé en France. Cette base de données est une suite de déclarations générées par l'industrie pharmaceutique.
L'utilisation de cette base de données va nécessiter plusieurs étapes.
- La première étape, consiste à créer un programme informatique permettant d'utiliser efficacement ces données. La base Transparence-Santé est une suite de déclarations individuelles, relatives à un événement. Le nombre de déclarations est supérieur à 10 millions dans un seul fichier. Cela dépasse les capacités de lecture des tableurs du marché. Nous avons donc créé un programme spécifique permettant de manipuler ces données avec facilité.
- L'étape suivante est la correction des données. Les données sont de très mauvaise qualité et comportent un très grand nombre d'erreurs facilement identifiables. Plusieurs algorithmes ont été spécialement développés pour aider à corriger certaines de ces erreurs automatiquement. Par exemple, le logiciel corrige plus de 54 000 caractères invalides juste pour les noms des bénéficiaires.
- Beaucoup d'entreprises bailleuses de fonds apparaissent être des filiales des compagnies pharmaceutiques. Nous avons utilisé un fichier disponible sur le site EuroForDoc pour effectuer la liaison entre les filiales et les maisons-mères.
- Reste à déterminer quelles sont les associations concernées. Pratiquement aucune information n'indique qu'un bénéficiaire est une association.
Le champ "identificateur", qui devrait être le numéro RNA (répertoire national des associations) ou numéro Waldec, est presque toujours vide. Il nous reste donc à rechercher les bénéficiaires grâce au nom et/ou au sigle des associations. Pour cela, nous avons utilisé deux autres sites : le registre national des associations, (rna) et le journal officiel des associations et fondations d'entreprises, 978 fichiers pour couvrir 2004 à 2023 (joafe). Si l'association a été déclarée antérieurement, elle sera recherchée via le journal-officiel.gouv.fr.
Un autre programme a été développé pour créer une base homogène des associations à partir des fichiers des paragraphes a et b. Il s’agit juste d’un outil permettant de fournir un indice de correspondance entre une suite de mots et le titre d'une association.
Cette étape a été la plus laborieuse car les associations peuvent apparaître uniquement sous un sigle, un nom partiel, parfois avec des fautes d'orthographe. Les fautes d'orthographe type "assocation", "assoiciation", "ass", "asso", "assos" ont été prises en compte de manière presque automatique. Beaucoup d'autres cas ont nécessité un traitement manuel. Dans le cas des sigles, nous avons pris soin d'écarter ceux correspondant à des compagnies citées sur le site Sociétés.
Limites de cette étude
La principale limite de cette étude est due à la qualité des données disponibles sur le site Transparence-Santé. Rappelons que les déclarations sont générées par les compagnies pharmaceutiques, ce qui pourrait être de nature à impacter leur engagement à fournir des données fiables.
Le fichier téléchargeable contient un très grand nombre d'erreurs, ce qui rend très difficile le calcul des cumuls.
Nous pouvons estimer que nos résultats sont largement sous-estimés. D'abord parce que rien ne garantit que toutes les sommes soient déclarées, et ensuite parce que nous avons eu de grandes difficultés à déduire le nom d'une association à partir du nom du bénéficiaire. Très peu d'associations bénéficiaires apparaissent sous leur vrai nom déclaré, mais sous leur sigle, qui peut être différent du sigle déclaré (par exemple, caractères séparés par des points dans le registre des associations et sans les points sur Transparence-Santé). En fait, tout semble construit pour ne pas pouvoir effectuer des cumuls et, si l’on y arrive, ne pas pouvoir affecter ces cumuls aux bénéficiaires connus.
Nous remarquons également le laxisme de nos gouvernants à imposer des corrections. Nous pourrions nous poser la question : qui a des actions de compagnies pharmaceutiques pour qu'un fichier de presque 6 Go reste en l'état ?
Compléments qui pourraient être envisagés
Cette étude porte sur les quatre principales compagnies qui ont fourni les doses de vaccins de 2021 à mi 2023. D'autres compagnies sont sur les rangs actuellement. Une prochaine étude devrait prendre en compte ces nouvelles compagnies. Il faut remarquer que les quatre compagnies ne sont pas celles qui sont les plus généreuses pour les associations françaises. D'autres compagnies, notablement françaises, potentiellement en lice pour des vaccins font beaucoup mieux, même actuellement.
Patrice Taravel est scientifique (ancien ingénieur au CNRS) et informaticien.
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