La Ve République en péril ?
TRIBUNE - "Le mode de scrutin fait le pouvoir, c'est-à-dire qu'il fait la démocratie ou qu'il la tue". A aucun moment depuis les débuts de la Ve République, cette affirmation de Michel Debré, inscrite dans La mort de l'Etat républicain en 1947, n'a paru plus vraie.
Il y a quelques jours, j'écrivais ici que le 11 décembre 2023, autrement dit le vote de la motion de rejet du projet de loi sur l'immigration, ferait date dans la longue histoire de la Ve République. En vérité, le 19 décembre a été autrement plus marquant. Le vote de la loi dans la nuit du 19 au 20 décembre, au terme d'une journée digne des heures les plus noires de la IVe République — avec la démission d'un ministre, l'opposition du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, le défaut d'une soixantaine de députés du parti au pouvoir, soit un député sur quatre — n'a été qu'une victoire à la Pyrrhus, au prix de lourdes pertes. Et d'abord dans l'opinion, qui a vécu en direct "les jeux, poisons et délices", retirés de l'affiche depuis 1958, et qui menèrent la IVe République au naufrage.
“Le fait majoritaire”, l’un des apports les plus importants de la Ve République
C'est parce que l'Assemblée nationale élue en juin 2022 a tout d'une Assemblée de type scrutin proportionnel, puisque dépourvue de la seule majorité qui vaille, la majorité absolue, que cette loi d'origine gouvernementale a connu un mode de délibération incongru entre une quinzaine de députés et sénateurs, et qu'elle n'a dû son salut — en attendant des censures du Conseil constitutionnel appelées par... le président de la République lui-même ! — qu'à une coalition entre des partis élus pour soutenir l'action du gouvernement et d'autres élus pour s'y opposer. L'existence d'une majorité et d'une opposition au Parlement, c'est pourtant la loi de la démocratie. Et l'opposition, qui a vocation à exercer un jour le pouvoir, est aussi utile que la majorité, bien sûr dans un autre rôle.
Mais ce que l'on a appelé "le fait majoritaire", l'un des apports les plus importants de la Ve République à notre vie publique, n'a dû son existence qu'au mode d'élection des députés, le scrutin majoritaire, qui a toujours donné une majorité absolue au gouvernement, avec pour seules exceptions les élections législatives de 1988 sous François Mitterrand, réélu par la grâce de la cohabitation, et de 2022 sous le second mandat d'Emmanuel Macron, réélu dans la foulée de la pandémie, où il distribua l'argent public sans compter, et de la guerre en Ukraine qui n'a certainement pas été sans incidence sur l'élection présidentielle française. En "minorité absolue" au Palais Bourbon, comme l'a excellemment souligné un observateur, le gouvernement a notamment dû son salut à un parti, Les Républicains — un comble pour la formation se réclamant de la filiation gaulliste ! — qui s'est trouvé dans la posture du parti charnière, imposant ses vues et emportant la décision.
On nous expliquera qu'il faut bien sauver les meubles. A quoi Georges Clemenceau répondait qu'il avait envie de les brûler. Et la France n'a jamais été sauvée par les amateurs de mobilier national...
Il y a bien longtemps que nos institutions ne fonctionnent plus comme elles le devraient
Pour toutes celles et pour tous ceux qui se font une certaine idée de la Ve République — hélas ! ils sont peu nombreux à monter au créneau et, trois fois hélas ! il y a bien longtemps que nos institutions ne fonctionnent plus comme elles le devraient, parce que les présidents qui se succèdent à l'Elysée ont trop peur du peuple pour en appeler à lui au moyen du référendum ou de la dissolution de l'Assemblée nationale — il est à craindre que, par un mouvement de bascule qui n'aurait rien d'une surprise, le peuple français en vienne à rejeter tout autant les institutions, qui ont pourtant donné à la République son meilleur socle depuis 1789, que le personnel politique auquel il ne croit plus, et qui donne une si piètre image sur la scène publique.
Ecrivant ces lignes, il me revient un bref échange avec Éric Zemmour, alors chroniqueur au Figaro Magazine. Le 28 octobre 2016, j'avais adressé le message suivant au journal : "Dans son article "Le livre de trop" du 28 octobre, Éric Zemmour écrit : "De Gaulle a perdu qui croyait que les institutions s'imposaient aux hommes". Pour ma part, je dirai plutôt que le général de Gaulle avait vu juste lorsqu'il écrivait, sans illusion, dans ses Mémoires d'espoir : "En aucun temps, et dans aucun domaine, ce que l'infirmité du chef a en soi d'irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l'institution". Ce qui va comme un gant à M. Hollande". (Dans un livre, deux journalistes avaient fait leur miel de conversations régulières avec lui à l'Elysée).
Éric Zemmour me répondit : "Cher Monsieur, je ne me souvenais pas de cette phrase et elle vous donne raison. Bien à vous". Belle honnêteté intellectuelle, la première des honnêtetés, au demeurant. Ce qui allait comme un gant à M. Hollande va aussi bien à son ancien collaborateur parvenu au sommet de l'Etat, qui pourrait d'ailleurs bien finir par nous faire regretter son prédécesseur !
Référendum ou dissolution
Il n'empêche. Ce n'est pas avec une Constitution de la Ve République privée en pratique de ses éléments assurant la souveraineté du peuple, et réduite à ses seules dispositions de parlementarisme rationalisé qui permettent, certes, au gouvernement de faire passer ses textes au Parlement, vaille que vaille, et finalement de tenir et de se maintenir en place, que l'on réconciliera les Françaises et les Français avec le monde politique. Sous peine des pires aventures et déconvenues, il faut remettre le peuple français au centre du jeu. Lui seul est le souverain. Il est impératif de revenir vers lui, par le référendum ou la dissolution, voire par un référendum suivi d'élections législatives, comme en 1962.
La décision appartient à M. Macron, puisque telles sont les dispositions constitutionnelles approuvées par le peuple français, par référendum, en 1958. Dans la crise politique majeure que connaît notre pays, le recours à l'arbitrage du peuple, c'est le scénario de l'idéal, celui de la Ve République. A l'opposé, la recherche de combinaisons politiciennes dans le style "rencontres de Saint-Denis" ou "grande initiative politique", c'est le scénario du pire, celui de la IVe République, où la souveraineté appartient au peuple, à condition qu'il l'exerce seulement dans les rendez-vous électoraux inévitables.
La France est à un tournant. Ou bien, l'appel au peuple. Ou bien, la Ve République en péril. Jamais, le dilemne n'a été aussi clair.
Alain Tranchant est ancien délégué départemental de mouvements gaullistes en Vendée et Loire-Atlantique et président-fondateur de l’Association pour un référendum sur la loi électorale.
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