L'éco-prédation ne connaît pas la crise

Auteur(s)
Lionel Muller, pour FranceSoir
Publié le 25 mars 2022 - 20:08
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Energie
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L'écologie n'est qu'un nouveau marché, une source renouvelable de pigeons à plumer. Les prédateurs ne connaissent pas la crise, bien au contraire, ils s'en nourrissent.
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TRIBUNE - La ruine des uns fait la fortune des autres. Depuis le 14 février 2022, soit dix jours avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'entreprise américaine Energy Vault a fait son entrée à la bourse de New York et son titre a connu en un mois et demi une augmentation de 50 % alors qu'elle ne produit absolument rien.

Cette tribune a été écrite en réponse à l'article : Stockage des énergies renouvelables: Energy Vault étudie une solution fondée sur la gravité

La crise des matières premières provoquée par les tensions entre la Russie (2e producteur mondial d'hydrocarbures) et les pays de l'OTAN (1er consommateur mondial d'hydrocarbures) y est sans doute pour quelque chose ; Energy Vault promet de révolutionner le stockage des énergies renouvelables, rien de moins ! L'un des principaux écueils des énergies naturelles, comme la solaire ou l'éolienne, réside dans leur évanescence. Il est très difficile de les stocker ; il faut donc les consommer immédiatement. De plus, quand il n'y a pas ou peu de soleil, quand le vent se fait rare, les parcs photovoltaïques et autres champs d'éoliennes deviennent encombrants, polluants, coûteux, alors qu'ils ne produisent plus rien. L'idéal serait de pouvoir engranger le surplus d'énergie produit pour le restituer pendant les périodes maigres. Cet idéal, c'est précisément ce que l'entreprise Energy Vault essaie de vendre à la planète entière depuis sa création en 2017.

La technologie proposée par Energy Vault repose sur un principe très basique : exploiter l'énergie potentielle de gravitation pour stocker les énergies renouvelables. En pratique, il s'agit de consommer l'électricité produite pour élever dans les airs d'énormes blocs de béton. Ces derniers restituent leur énergie en les laissant retomber lentement vers le sol. À coups de magnifiques vidéos en images de synthèse, Energy Vault met en scène la danse des blocs de bétons, mus par d'immenses grues de 200 mètres de haut pilotées par intelligence artificielle. L'infographie est à peine diffusée que la version 2.0 est déjà prête à être lancée : un hangar titanesque rassemblant des centaines de blocs de bétons fournissant à la population une énergie verte, gratuite et inépuisable.

Cessons un moment de rêver et calculons le rendement et le coût d'un tel procédé. Dans sa version la plus récente, Energy Vault propose de stocker de l'énergie dans des blocs de 35 tonnes élevés à 80 mètres de hauteur, dans un hangar d'environ 300 mètres de côté. Un bloc pourrait ainsi, au grand maximum, emmagasiner 7,6 kWh sur un mètre carré. Le hangar accumulerait au total une énergie maximale de 684 MWh. Sachant qu'une personne en France consomme en moyenne 6 kWh par jour, la solution d'Energy Vault serait suffisante pour alimenter une ville de 16 000 habitants pendant... une semaine. Compte tenu des déperditions d'énergie par frottements et effet Joule, il faudrait en fait compter sur quatre ou cinq jours de réserve au grand maximum. Il n'y a vraiment pas de quoi passer l'hiver !

À première vue, la solution d'Energy Vault apparaît comme une arnaque à n'importe quel citoyen ayant des rudiments de physique. Voyons maintenant combien coûterait un seul hangar de stockage. Un mètre-cube de béton pèse 2,5 tonnes ; il faudrait donc 14 m3 de béton par bloc, soit 1 260 000 m3 de béton. Cela représente la moitié de la grande pyramide de Khéops ! Et encore, la grande pyramide n'est pas perchée à 80 mètres au bout de câbles tendus par des grues pilotées par IA, ce qui serait une prouesse technologique invraisemblable. Des architectes se sont amusés à évaluer le coût nécessaire pour rebâtir la pyramide de Khéops avec des moyens modernes : un milliard d'euros et cinq ans de labeur pour quelques milliers d'ouvriers. Il ne faut pas négliger non plus les frais d'entretien d'un tel hangar ; le béton est une matière sensible à l'érosion et les frottements incessants des éléments mobiles mettraient l'ensemble de la structure à rude épreuve. De dix à vingt pourcents des unités de stockage devraient être désactivés pour permettre l'entretien quotidien, le remplacement des éléments défectueux et la maintenance structurelle lourde. La gestion de l'assainissement de l'eau endette déjà lourdement les petites collectivités, alors que ça n'est pas la mer à boire. Avancer plus d'un milliard d'euros, même sur cinq ou dix ans, est totalement inaccessible pour une petite ville de 16 000 habitants.

Si la France entière voulait stocker ne serait-ce que quatre jours d'électricité pour toute sa population, ce qui serait famélique, elle devrait provisionner au minimum 4 250 milliards d'euros tous les dix ans, près de deux fois le PIB du pays, plus de cinquante fois le chiffre d'affaires d'EDF, et ce uniquement pour stocker quatre jours de réserve. Il resterait encore à la produire, cette énergie...

Imaginez la quantité de matière à mobiliser pour l'édification de l'équivalent de quelques milliers de pyramides de Khéops sur tout le territoire. La production annuelle du pays n'y suffirait pas, sans compter l'effroyable pollution que cela provoquerait, car le béton ou tout autre matière composite de même acabit, quelle que soit sa qualité, pollue horriblement. Le béton est responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2. Si le but des énergies vertes est de réduire l'empreinte carbone des activités humaines, avec Energy Vault, c'est raté !

Lire aussi : À propos des "nuls en maths" qui font des carrières scientifiques

Energy Vault est donc une belle escroquerie qui a déjà accaparé des centaines de millions de dollars d'investissements bidons. Pourtant, le stockage d'énergie par potentiel gravitationnel n'est vraiment pas nouveau. La technique du pompage-turbinage en est un bel exemple. On creuse un grand trou en hauteur, voire on en choisit un déjà disponible, puis on le remplit d'eau, ce qui crée une réserve immédiatement mobilisable via des tuyaux et reconstituable par des pompes électriques. Les dénivelées naturelles permettent des différentiels non pas de 80 mètres, mais de plusieurs centaines mètres. Contrairement aux blocs de l'arnaque pharaonique d'Energy Vault, l'eau de réserve est gratuite, inusable, réutilisable indéfiniment et peut même être complétée par l'eau de pluie, apportant sa propre énergie, qui est déjà considérable ; c'est d'elle dont provient celle des centrales hydrauliques. Cette technique assure déjà 10 % du stockage d'énergie du Japon, pays qui cumule à lui seul 25 % des réserves hydroélectriques mondiales. Plus près de chez nous, les plus curieux pourront jeter un œil au barrage de Grand'Maison en Isère : 132 millions de m3 utiles à une hauteur de 160 mètres, soit l'équivalent de 120 hangars Energy Vault pour un coût modique équivalent à seulement une fraction du prix d'un seul hangar. Le procédé est économe, il fonctionne très bien et il a fait ses preuves, contrairement au montage invraisemblable d'Energy Vault.

Elon Musk nous avait déjà proposé l'arnaque de l'Hyperloop, ce train à grande vitesse circulant sous vide, une idée de science-fiction battue en brèche par une armée d'ingénieurs honnêtes et compétents, contestant à juste titre la réalisabilité de la chose. Près de dix ans plus tard et quelques centaines de millions de dollars engloutis, la montagne n'a même pas accouché d'un poil de souris. La fortune d'Elon Musk, en revanche, a été multipliée par cinq. L'écologie n'est qu'un nouveau marché, une source renouvelable de pigeons à plumer. Les prédateurs ne connaissent pas la crise, bien au contraire, ils s'en nourrissent.

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