Les Jeux Olympiques : cheval de Troie de la société de surveillance ?

Auteur(s)
Jean-Frédéric Poisson*
Publié le 08 avril 2023 - 15:00
Image
vidéosurveillance
Crédits
Image par Pexels de Pixabay
Que signifie le concept de vidéosurveillance « intelligente » ?
Image par Pexels de Pixabay

TRIBUNE/OPINION - L’Assemblée nationale a adopté, mardi 28 mars, le projet de loi sur les Jeux Olympiques, malgré des critiques sur son volet sécuritaire : ce projet prévoit notamment l'application de la vidéosurveillance « intelligente » le temps de l’événement qui se tiendra en 2024.

De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit de mettre en place des « traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs (1) ». Si le projet de loi se défend de vouloir mettre en place de la reconnaissance faciale, il reconnaît cependant vouloir procéder, via son système de camera-protection, à un « signalement d’attention, strictement limité à l’indication du ou des événements prédéterminés qu’ils ont été programmés pour détecter ».

Faut-il s’inquiéter ou se réjouir de l’implémentation de cet outil à notre besace sécuritaire ?  

De fait, depuis quelques années, chaque événement exceptionnel est prétexte à la mise en place de nouvelles mesures de contrôle qui conduisent à la construction progressive d’une société de surveillance.

Tout le monde se rappelle l’impact liberticide qu’a eu le 11 septembre 2001 sur la vie des Occidentaux. À l’époque déjà, nombreux étaient les membres de la société civile à s’inquiéter d’une dérive dont on ne voyait pas l’efficacité (les menaces terroristes n’ont pas cessé avec la mise en place de mesures de surveillance globale), et dont on ne souhaitait pas non plus la pérennité.

Ce climat a tenu pendant trente ans avec, en France, près de quarante lois contre le terrorisme. Puis il y a eu l’épisode du Covid-19 avec son cortège de passes, de QR codes, de gestion des foules par la peur et la délation, de confinements obligatoires…  

Plus récemment encore, c’est avec le conflit ukrainien que le monde de la surveillance généralisée a franchi un nouveau cap. En effet, le logiciel de reconnaissance biométrique faciale américain Clearview, a été offert gratuitement aux autorités ukrainiennes afin de pouvoir identifier les soldats russes décédés sur le front et en informer leur famille dans un but de guerre psychologique.

Il sert également à repérer de potentiels suspects ou ennemis aux checkpoints, notamment pour identifier les cibles civiles ou militaires intégrées au système de fichage « Mirovorets » (2). Cependant, Clearview n’a pas une vocation seulement militaire, mais aussi civile. Selon le Washington Post, son directeur a assumé vouloir « augmenter ses capacités de collecte de données à 100 milliards de photos, construire de nouveaux produits, développer son équipe de vente internationale et payer davantage pour faire pression sur les décideurs politiques du gouvernement afin de "développer une réglementation favorable" (3) ».

Dans ce contexte, le conflit ukrainien donne à cette entreprise le tremplin nécessaire à des expérimentations de masse peu encadrées par la loi. Clearview n’est que la face émergée de l’iceberg puisque de nombreux concurrents américains ou à l’international investissent des sommes considérables pour récupérer des parts de ce marché prometteur (4).  

Alors, faut-il craindre le développement de plus en plus prégnant de ce type de technologies en France par le biais d’événements comme le Covid ou les Jeux Olympiques ?

Certains argueront que ce marché se développera avec ou sans la France, et que nous n’avons pas d’autre choix que de nous y mettre nous aussi. Rien n’est moins sûr. Et l’on peut légitimement craindre les dérives qui ne manqueront pas d’advenir avec ces outils dès lors qu’on aura ouvert la boîte de Pandore : le modèle de contrôle social à la chinoise nous a prouvé que ce type de société de surveillance était possible et que nous pourrions très bien ne pas être épargnés dans un avenir proche.  

Pour notre part, lorsque nous constatons l’usage abusif qu’a pu faire Emmanuel Macron des outils qui étaient à sa disposition au cours des crises successives de son premier mandat, nous nous refusons à l’idée de rajouter des armes de surveillance entre ses mains.

L’identification des criminels au cœur des masses peut continuer à être gérée par le facteur humain si tant est que l’on donne suffisamment de moyens aux forces chargées de notre sécurité. Plus globalement nous nous refusons au développement de ce type de technologie liberticide. Une technologie qui nous plonge dans une société de soupçon permanent, où l’individu n’est plus présumé innocent, mais où toutes les masses sont présumées coupables et donc constamment surveillées. Une société qui confine avec la plus sombre des fictions.

Notre liberté y gagnera ce que notre sécurité y perdra. Comme l’écrivait le philosophe Nicolas Berdiaev : « peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins parfaite et plus libre (5). » 

*Jean-Frédéric Poisson est président du parti politique VIA |la voie du peuple. 

Notes :
 

(1) « Projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions », Assemblée nationale, le 01/02/2023.      

(2) « МИРОТВОРЕЦЬ ».          

(3) « Facial recognition firm Clearview AI tells investors it’s seeking massive expansion beyond law enforcement », The Washington Post, le 16/02/2022. 

(4) « Marché de la reconnaissance faciale - Croissance, tendances, impact du Covid-19 et prévisions (2023-2028) », Mordor Intelligence, le 10/04/2021. 

(5) Épigraphe de l'édition originale anglaise de Brave New World ("Le Meilleur des mondes") d'Aldous Huxley.

À LIRE AUSSI

Image
Le prix du paquet de cigarettes augmentera vendredi 1er novembre d'environ 50 centimes, du fait d'une hausse des taxes prévue par le gouvernement, qui vise un paquet à 10 euros fin 2020
Des caméras de vidéosurveillance et des mesures restrictives pour supprimer le tabagisme
Fléau mondial selon certains, échappatoire pour beaucoup d'autres, quoi qu'il en soit, fumer tue. Motivés par le coût associé à la prise en charge des maladies liées a...
28 décembre 2021 - 15:47
Politique
Image
Le ministre des Transports, Jean-Baptise Djebbari, après sa rencontre avec les chauffeurs de bus du réseau de transports en commun de Bayonne, le 7 juillet 2020
Transports en commun : multiplication des patrouilles et de la vidéosurveillance
Plusieurs mesures vont être prises pour lutter contre les actes de délinquance "en forte augmentation" dans les transports en commun, dont l'augmentation des patrouill...
05 août 2020 - 19:54
Image
Drone
Le Conseil constitutionnel autorise les forces de l'ordre à utiliser les drones pour la surveillance
Après deux années de protection légale contre la surveillance par drones, le Conseil constitutionnel a fini par valider un texte de loi qui autorise à recourir à ce ty...
26 janvier 2022 - 15:57
Politique

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
ARA
Décès de ARA, Alain Renaudin, dessinateur de France-Soir
Il était avant toute chose notre ami… avant même d’être ce joyeux gribouilleur comme je l’appelais, qui avec ce talent magnifique croquait à la demande l’actualité, ou...
07 novembre 2024 - 22:25
Portraits
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.