Ecoutes et "cabinet noir" : que peuvent espérer les fillonistes en faisant appel à la justice ?

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La rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 31 mars 2017 - 14:35
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François Hollande et François Fillon.
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© Christophe Petit Tesson/Pool/AFP
Plusieurs parlementaires LR accusent l'Elysée d'avoir espionné l’opposition.
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En plein "PenelopeGate", plusieurs élus Les Républicains ont écrit au procureur de Paris et au Parquet national financier pour dénoncer le rôle d'un "cabinet noir" de l'Elysée visant à espionner ses opposants. Une offensive sur le plan juridique qui a bien sûr des implications politiques. Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, décrypte en partenariat avec "FranceSoir" les implications de cette démarche.

Invoquer les dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale pour se plaindre des agissements d’un prétendu "cabinet noir", est-ce une bonne idée?

Six élus Les Républicains viennent en effet, par courrier adressé lundi 27 mars 2017 au procureur de la République et au Procureur national financier (PNF), de dénoncer des faits révélés, plus ou moins précisément, dans un ouvrage intitulé Bienvenue Place Beauvau à paraître le 31 mars, mais dont les bonnes feuilles circulent déjà et agitent particulièrement la sphère politico-médiatique.

La lecture de ce brûlot, sous la plume de journalistes du Point et du Canard enchaîné, ressuscite l’existence fantasmatique d’une véritable organisation occulte, un "cabinet noir" qui orchestrerait savamment écoutes illégales et fuites ciblées, en instrumentalisant la Justice pour le compte de l’Elysée et ses satellites.

C’est que les qualifications pénales évoquées par les députés, sénateurs et présidente du Conseil régional d’Ile-de-France signataires, et récapitulées dans un tableau de synthèse des infractions, nous laissent en effet interloqués: entre autres, le livre dévoilerait des faits de corruption, trafic d’influence, atteinte au secret de l’instruction et au secret des correspondances, violation du secret professionnel, fraude fiscale et même association de malfaiteurs! N’en jetez plus.

Mais attention, il ne s’agit pas d’une plainte: les parlementaires LR utilisent la procédure très particulière de l’article 40 qui prévoit dans son deuxième alinéa que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".

Quelles sont donc les chances d’aboutir de cette intrigante démarche, aussi médiatisée que le livre lui-même?

Constatons d’abord que cette dénonciation adressée directement à François Molins et Eliane Houlette ne vise personne nommément, même si l’ombre tutélaire de François Hollande plane sur cette nouvelle affaire, ainsi que celles de son Premier ministre et du ministre de l’Intérieur.

La saisine du PNF, conjointement au classique procureur de Paris, n’est bien entendue pas fortuite car c’est ce parquet financier qui a instruit le "PenelopeGate" et les récentes affaires intéressant François Fillon. Ce retour de boomerang a nécessairement des visées politiques.

Pour autant, cette dénonciation de faits aussi graves soient-ils sur le papier va-t-elle tenir la route judiciaire, si tant est par ailleurs que la constitution des infractions stigmatisées par les élus serait bien corroborée après l’ouverture d’une enquête préliminaire?

Se pose en effet tout d’abord la question de la légitimité de l’utilisation de l’article 40 par les personnalités signataires qui ne sont pas ou plus fonctionnaires, mais simples élus ou représentant leur parti politique ou groupe parlementaire, et pas vraiment autorités constituées.

Ensuite, paraît tout aussi discutable la compétence du PNF pour juger de cette affaire, alors que sa compétence exclusive est strictement circonscrite à certains délits financiers non visés par le livre, mais est en concurrence avec le parquet traditionnel pour trafic d’influence ou corruption par exemple.

Surtout, obstacle majeur de l’exercice, le principal visé qu’est le président de la République bénéficie d’une immunité fonctionnelle qui le protège et qui est prévue par l’article 67 de la Constitution, ainsi que d’une inviolabilité jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de ses fonctions.

Pour, enfin, les membres du gouvernement qui s’avéreraient impliqués, c’est la Cour de Justice de la République qui aurait seule vocation à connaître des infractions qu’ils auraient pu commettre par une saisine de la Commission des requêtes.

On voit donc un coup médiatique savamment entretenu à des fins résolument politiques, mais avec en toile de fond la probable réalité de ces cellules de renseignements séculaires chargées de basses besognes dont tout gouvernant use, et parfois abuse.

Finalement, c’est sans doute l’anecdote très précise concernant le fils de Valérie Pécresse et le fuitage organisé de ses démêlés judiciaires avec une victime clairement identifiée qui devrait prochainement alimenter le plus sûrement la chronique pénale.

Retrouvez d'autres analyses de l'actualité juridique sur le blog de Thierry Vallat.

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