Elections en Allemagne : Berlin face à la tentation bilatérale au détriment du projet européen

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MB
Publié le 22 septembre 2017 - 10:39
Mis à jour le 23 septembre 2017 - 18:53
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La chancelière allemande Angela Merkel, le 18 août 2017 à Berlin
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© Odd ANDERSEN / AFP
Malgré son opposition à Moscou sur le plan géopolitique, Angela Merkel est ouverte à une coopération énergétique.
© Odd ANDERSEN / AFP
Les élections de dimanche en Allemagne, principale puissance économique européenne, devraient permettre, selon les sondages, à Angela Merkel d'enchaîner son quatrième mandat. Elle pourrait alors initier le projet de coopération énergétique bilatérale avec l'Allemagne au détriment de l'Europe. Si le dénouement ne fait guère de doutes, l'énergie est un des enjeux du scrutin malgré sa faible mise en avant.

Dimanche 24 septembre, l’Europe aura les yeux rivés sur le scrutin allemand et sur la nouvelle majorité qui sortira des urnes. Angela Merkel va-t-elle réaliser la passe de quatre après presque douze ans au pouvoir comme tous les sondages semblent le prévoir? Où ses adversaires sociaux-démocrates, qui n’arrivent pas à dépasser la position d’outsider dans les sondages, vont-ils mettre fin à son règne? Et surtout, quelle place va réussir à se faire l'AFD, le parti d'extrême droite révisionniste qui devrait faire son entrée au parlement? La tension monte en tout cas autour du scrutin, avec les dirigeants internationaux qui font savoir leurs préférences, parfois subtilement, ou parfois -comme l’a fait le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan- plus "bruyamment". 

Mais c’est du côté de Bruxelles que le scrutin est le plus attendu. L’Union européenne se demande en effet quel avenir l’Allemagne entrevoit pour sa participation dans les grands projets européens communs, au premier rang desquels la politique énergétique commune. Ce qui constitue encore un voeu pieux reste aujourd’hui pendu au bon vouloir de l’Allemagne qui préfère jouer la carte de la relation bilatérale plutôt que du projet à 28.

Et la situation s’annonce plutôt pessimiste pour les partisans d’un projet énergétique commun. Si plusieurs dirigeants de l’opposition n’ont jamais fait mystère de leur volonté de développer un partenariat bilatéral, notamment avec la Russie, au détriment d’un projet européen, Angela Merkel semble vouloir prendre le même chemin. L’actuelle Chancelière n’hésite en effet pas à se positionner lors des sommets comme un voix forte face aux volonté de Moscou… sauf sur la question énergétique. Angela Merkel qui est celle qui a largement réduit la voilure de l’Ostpolitik, et qui a poussé les dirigeants européens à sanctionner la Russie pour son action militaire en Crimée est aussi une partisane du projet Nord Stream 2, ce gazoduc qui doit relier directement par la mer Baltique l’Allemagne et la Russie (et qui suit quasiment le même tracé que le Nord Stream, premier du nom). Un tel projet, en court-circuitant le transit par les pays de l’Est, serait préjudiciable pour l’Ukraine, mais aussi pour la Pologne, membre de l’Union européenne et pays frontalier de l’Allemagne, et qui a déjà largement fait connaitre son mécontentement, ainsi que les pays baltes dont la position crispée face à la Russie est une constante depuis leur indépendance. Une colère de pays membre de l’UE qui n’émeut pas le moins du monde Berlin. 

Et si l’Allemagne trouve sans doute son compte, à l’échelle nationale, la Russie, elle, est particulièrement gagnante dans le "deal". Après les critiques de la Pologne face au consortium qui se mettait en place pour le montage du projet, les géants énergétiques européens se sont retirés de l’actionnariat… tout en continuant à financer le projet. Conséquence: Gazprom en sera le seul actionnaire, tandis que ses partenaires -le Français Engie, les Allemands Uniper (ex-EON) et Wintershall (BASF), l'Autrichien OMV et l'Anglo-Néerlandais Shell- en financeront la moitié à parts égales.Et l’actionnaire majoritaire de Gazprom n’est autre que… l’Etat russe lui-même à hauteur de 50,23%.

FranceSoir révélait d’ailleurs l’existence d’un rapport interne de l’EPSC, le thing-tank de la Commission européenne, listant les risques d’une telle stratégie allemande. Pour l’administration de Jean-Claude Juncker, le choix de construire un Nord Stream 2, un gazoduc reliant directement la Russie à l’Allemagne sans passer par le sol européen, saperait la construction européenne dans le domaine de l’énergie… et serait surtout préjudiciable au niveau financier pour les partenaires de l’UE.

Et l’Est ne sera pas la seule zone lésée. George Zachmann, expert en questions énergétiques au centre Bruegel (un think tank basé à Bruxelles) explique que le Nord Stream 2 permettrait à Gazprom "d’améliorer sa position sur le marché dans le nord-ouest de l’Europe en offrant de meilleurs prix et pouvant même être compétitif contre le gaz naturel liquéfié issu des pays d’Europe de l’Ouest. Et cela tout en augmentant dans le même temps ses prix à l’Est". Une mauvaise nouvelle pour le français Engie qui s’est justement beaucoup investi dans le gaz naturel liquéfié en créant "Gas4sea" un service de soutage de gaz naturel liquéfié par les mers, via une flotte dédiée, et dont les navires pourraient donc passer juste en-dessus des nouvelles installations du Nord Stream. 

Si l’Allemagne choisit cette option, elle remettra enfin en cause le "Paquet sur le climat et l’énergie" qui doit, à l’horizon 2020, d’améliorer l’efficacité énergétique de l’Union européenne en réduisant les gaspillages. Adopté en 2008 et traduit dans les législations nationales en 2009, il risque une remise en cause pure et simple si l’Allemagne se détourne finalement du projet commun. Son échec enverrait surtout un message clair à la communauté internationale et aux grandes puissances comme la Chine, le Etats-Unis ou la Russie: l’Union européenne n’est pas capable de porter un projet de grande ampleur de manière collective, notamment sur des questions stratégiques comme l’énergie. Et la faille ne viendrait pas d’un "petit" pays mais d’un Etat fondateur de la construction européenne qui préfère la relation bilatérale au projet commun. Un coup dur qui pourrait, au moins symboliquement, saper profondément la raison d’être du projet européen, qui manque parfois cruellement d’un leader pouvant impulser une solidarité européenne au-delà des intérêts nationaux. Après une période 2016-2017 éprouvante pour l’Union européenne (Brexit et "eurosceptiscisme" à son sommet), un nouvel affaiblissement pourrait être la faille de trop.

 

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