Les États-Unis veulent-ils réintégrer l’UNESCO pour contrer la Chine et son influence dans la normalisation de l’intelligence artificielle ?

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France-Soir
Publié le 14 juin 2023 - 10:00
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ALAIN JOCARD / AFP
Audrey Azoulay, directrice générale de l'UNESCO, prononce un discours pour annoncer la demande des États-Unis de réintégrer l'institution (siège de l'UNESCO, Paris, le 12 juin 2023).
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GÉOPOLITIQUE - Cinq ans après avoir claqué la porte de l’UNESCO pour dénoncer sous l’administration Trump des "partis pris anti-israéliens persistants", les États-Unis ont officiellement demandé leur réintégration. Washington "doit" à nouveau siéger à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture pour ne pas laisser "le champ libre" à la Chine, premier contributeur depuis le départ des USA en 2018. "Ils travaillent sur des règles, des normes et des standards pour l'intelligence artificielle. Nous voulons être présents", a expliqué le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, en mars dernier.  

Fin 2017, les États-Unis ont annoncé leur retrait dès 2018 de l’UNESCO en signe de protestation contre la déclaration de la vieille ville d’Hébron en Cisjordanie occupée de "zone protégée" du patrimoine mondial. Un "affront à l'histoire" selon l’administration Trump, dont la décision, "courageuse et morale", avait été saluée par Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, qui a annoncé dans la foulée le retrait de son État.  

Après avoir réadmis les États-Unis dans l’accord de Paris sur le Climat, l’administration Biden s’apprête à réintégrer cette agence onusienne. "Je souhaite vous informer, au nom du département d'État, que les États-Unis ont l'honneur de proposer un plan pour leur retour dans l'Unesco", a écrit Richard Verma, un adjoint au secrétaire d'État, dans une lettre adressée à Audrey Azoulay.

Celle-ci a vite salué la demande américaine. "Je me réjouis de cet acte fort", qui est "le résultat de cinq années de travail" de l’Unesco pour "apaiser les tensions, notamment sur le Moyen-Orient", lit-on dans un communiqué. "Si l'Unesco va bien, elle ira mieux encore avec le retour des États-Unis", a-t-elle ajouté. "C'est un grand jour pour l'Unesco, pour le multilatéralisme". 

La politique de la chaise vide profite à Pékin 

Mais la décision de Washington de demander sa réintégration est surtout motivée par sa rivalité avec Pékin. Depuis le retrait des États-Unis en 2018, la Chine est devenue le premier contributeur de l’UNESCO avec une bagatelle annuelle de 50 millions de dollars.

L'empire du Milieu a multiplié les efforts et les initiatives au sein de l’agence onusienne, pour le transfert du Bureau international d’éducation de l’UNESCO à Shanghai ou la signature d’un accord de coopération dans le cadre de la "Belt and Road initiative", vaste projet chinois qui prévoit d’importants investissements dans des infrastructures routières, ferroviaires et maritimes pour relier la Chine à l'Europe et à l'Afrique.  

Pékin est également présente au Comité du patrimoine mondial, le groupe chargé, entre autres, de désigner les sites culturels à protéger. Un rôle aussi culturel que politique, puisque Washington avait justement claqué la porte pour contester la décision de ce comité de reconnaître la vieille ville d'Hébron comme site au patrimoine mondial. Mais il ne s’agit pas là de la principale raison pour laquelle les États-Unis ont officiellement demandé leur réintégration.  

"Au moment où les Américains avaient quitté l’organisation, ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle demeure aussi vivante", a ajouté Audrey Azoulay. "Ils voient qu’ils perdent quelque chose en ne participant pas (...) Quand votre chaise est vide, vous n’avez pas voix au chapitre".

Un avis partagé par Anthony Blinken, chef de la diplomatie américaine. "Lorsque nous ne sommes pas à la table pour influencer le cours de la conversation et contribuer à la définition de normes et de pratiques, quelqu’un d’autre s’y trouve. Et ce quelqu’un d’autre est probablement la Chine", avait-il déclaré en avril.

Mais les États-Unis s’inquiètent surtout pour l’influence chinoise dans les autres missions de l’UNESCO, comme l’élaboration de programmes éducatifs, les échanges scientifiques et surtout, la normalisation de l’intelligence artificielle. D’ailleurs, en novembre 2021, un code d’éthique sur cette technologie a été adopté par les États membres. 

De quoi "convaincre" le chef de la diplomatie US de "revenir" au sein de l’agence onusienne, "non pas pour lui faire un cadeau, mais parce que les choses qui s'y passent sont vraiment importantes (...) Ils travaillent sur des règles, des normes et des standards pour l'intelligence artificielle. Nous voulons être présents", a-t-il expliqué.  

L’UNESCO, zone d’influence sur l’IA 

Les deux puissances numériques, qui sont déjà en pleine "guerre de microprocesseurs", tentent de réguler et contrôler l’intelligence artificielle, chacune à sa manière. Washington souhaite conforter sa place de leader et s’allie à l’Union européenne pour mettre en œuvre un "code de conduite" commun, afin d’éviter que des standards chinois ne soient adoptés à travers le monde. À Pékin, l’accent est mis sur le contrôle, pour devenir leader mondial d’ici 2030.  

Bien que les recommandations de l'Unesco n'aient qu'une valeur consultative, "ils n'en sont pas moins d'une grande importance sur le plan idéologique", explique à France 24 le professeur de recherche sur la paix et les conflits à l'université d'Uppsala, en Suède, Ashok Swain.

"La Chine a une vision très différente de celle des États-Unis de la démocratie et des droits humains. Les intérêts de Washington sur le plan idéologique pourraient donc être remis en question si la Chine parvenait à maîtriser la formulation des règles et réglementations de l'intelligence artificielle". 

Pékin a vite réagi à la demande de réintégration des États-Unis à l’Unesco, qui "a besoin que tous les Etats-membres se donnent la main pour remplir ses missions". "La Chine est prête à travailler avec tous les États membres, y compris les États-Unis", a affirmé Yang Jin, ambassadeur chinois auprès de l’agence onusienne. 

Conformément au règlement de l’UNESCO, Washington doit obtenir une majorité des votes prévus en juillet pour faire officiellement son retour. L’administration Biden doit également régler ses arriérés de cotisations, suspendues en 2011, auprès de l’agence onusienne, estimée à 619 millions de dollars, bien plus que le budget annuel de l’UNESCO, de 534 millions de dollars. 

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