Le rapport de la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie
CHRONIQUE - La Rand Corporation est un laboratoire d’idée crée en 1948 pour conseiller l’armée américaine. Elle est aujourd’hui principalement financée par le gouvernement américain. Le rapport ici commenté fut publié en 2019 et « sponsorisé par l’armée américaine », selon le site lui-même.
En introduction de son rapport intitulé « Overextending and Unbalancing Russia », la Rand Corporation explique l’objectif recherché :
« Cette note résume un rapport qui examine de manière approfondie les options non violentes et coûteuses que les États-Unis et leurs alliés pourraient poursuivre dans les domaines économiques, politiques et militaires pour mettre à rude épreuve – étendre (overextend) et déséquilibrer – l'économie, les forces armées de la Russie et la position politique du régime dans son pays et à l'étranger. »
Déjà, on peut se demander pourquoi ce think tank explorerait des idées aussi subversives si l'on ne le lui avait pas demandé. Et, la question que l'on devine et qui a probablement initié le rapport est la suivante : « comment opérer un changement de régime en Russie, sans envahir le pays ? »
Une note de l’éditeur datée d’avril 2022 précède le rapport et avertit que des « médias d’État russes et des individus favorables à la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine ont déformé ce travail de recherche ». La Rand Corporation semble quelque peu embarrassée que les preuves qui montrent que les États-Unis ont cherché à déstabiliser la Russie ont été rendues accessibles à un plus large public.
Dans le contenu, on peut voir que l’éventail des mesures envisagées est très large. Pour chaque mesure, un tableau fait apparaitre un rapport cout-bénéfice en fonction de l’objectif recherché – déstabiliser la Russie — et de ce que cela risquerait de coûter aux États-Unis.
Économie
En économie, les mesures sont « étendre la production énergétique des États-Unis », pour faire chuter les cours et diminuer les revenus de l’État russe, « imposer de nouvelles sanctions commerciales et financières », en insistant sur la nécessité que d’autres pays participent, « augmenter la capacité de l’Europe à importer du gaz venant d’autres pays que la Russie », (ils ont omis de préciser que les États-Unis seraient certainement bénéficiaires de ce genre de transition), « encourager l’émigration des gens éduqués de Russie vers l’étranger ». Si ce ne sont pas des mesures hostiles, qu’est-ce que c'est ?
Géopolitique
Dans la sphère géopolitique, la première mesure étudiée a été la « fourniture d’armements létaux à l’Ukraine », que le président Trump a décidée avec les fameux missiles anti-char Javelin. Mais, le rapport prévient que l’aide dans ce domaine devra être progressive pour ne pas provoquer un conflit plus large. Du reste, l’administration Biden a aussi étendu ses livraisons d’armes à l’Ukraine de manière progressive.
L'idée d'« augmenter le soutien aux rebelles syriens » est venue par la suite, mais la mesure a été considérée comme trop risquée. Comme les seuls rebelles dont on parle ici étaient des islamistes, on voit que les idées les plus dangereuses ont été mises sur la table.
« Promouvoir la libéralisation de la Biélorussie » a été considéré comme une mesure qui échouerait probablement. Cela ne les a pas empêchés d’essayer de le faire lorsque l’occasion s’est présentée.
« Réduire l’influence russe en Asie centrale » et « expulser les forces russes de Transnistrie » ont également été étudiées. Ces options ont cependant été considérées comme peu utiles et difficilement applicables.
Sphère informationnelle et idéologique.
« Diminuer la confiance dans le processus électoral russe », « créer la perception que le régime ne poursuit pas l’intérêt général », « encourager les manifestations et la résistance non-violente », « dégrader l'image du pays à l’étranger ». On a là tous les leviers des révolutions de couleur. Les personnes qui liront ces lignes pourront mieux comprendre pourquoi « nos journaux de grand chemin" adoptent systématiquement les mêmes thèmes et les mêmes approches critiques quand il s’agit de parler de la Russie. On a là quasiment la preuve qu’ils sont sous contrôle. La Rand Corporation expose l’envers du décor.
Le rapport conclut ce paragraphe sur ces mots : « Bien qu'aucune de ces mesures n'ait une forte probabilité de succès, l'une ou l'autre d'entre elles renforcerait les inquiétudes les plus profondes du régime russe et pourrait être utilisée comme une menace dissuasive pour diminuer les campagnes actives de désinformation et de subversion de la Russie à l'étranger. »
Dimension aérienne et spatiale
« Déplacer les bombardiers à portée de frappe » des cibles stratégiques russes les plus essentielles, de même que les chasseurs et les missiles nucléaires sont jugés comme étant très efficace pour « renforcer l’anxiété des Russes ». Quand on se donne pour but de renforcer l’anxiété de l’adversaire, on ne travaille pas pour la paix, mais bien pour la domination et la guerre. On provoque.
Une nouvelle course aux armements est aussi envisagée, mais jugée potentiellement très coûteuse pour les États-Unis qui ont du retard dans certains domaines.
Dimension maritime
« Renforcer la présence et la posture des forces navales américaines », notamment en mer Noire, n’est pas jugé comme très efficace. Cependant, l'exercice de l’OTAN Sea Breeze qui s'est déroulé pendant l’été 2021 au large d’Odessa a contribué à faire monter la pression.
Dimension terrestre et multi-domaines
« Augmentation des forces américaines en Europe, augmentation des capacités terrestres des membres européens de l'OTAN et déploiement d'un grand nombre de forces de l'OTAN à la frontière russe » étaient les mesures envisagées. Le dernier point a été largement couvert, notamment depuis le démarrage de l’opération spéciale russe et encore tout récemment.
« Augmenter la taille et la fréquence des exercices de l'OTAN en Europe » n’était pas jugé efficace, cela a pourtant été fait.
En conclusion, le rapport estime que la plus grande vulnérabilité russe est son économie, et sa plus grande force, son armée. Or, il semble que les événements récents ont montré que l’économie russe résistait plutôt bien aux sanctions, notamment grâce au fait que seul l’Occident les applique, mais également que l'armée russe n’était pas aussi efficace que ce qui avait pu être affirmé. Le rapport estime par ailleurs que les élites russes s’inquiètent grandement pour la stabilité du régime.
La version longue du rapport est consultable ici.
Ce rapport est donc la preuve que les États-Unis, a minima des éléments de son administration (ceux qui ont commandé le rapport), cherchaient à déstabiliser la Russie, et que toutes les options étaient sur la table. Un certain nombre des propositions étudiées ont été mises en œuvre, à des degrés divers. À la lumière de cette étude, il n’est pas absurde de penser que le but cynique ultime de renforcer l’anxiété de la Russie était de la pousser à la faute en Ukraine, de l’attirer dans un bourbier savamment alimenté, type Afghanistan, ce qui pouvait permettre à terme d’encourager le changement de régime voulu à Moscou. Les autres objectifs recherchés — et atteints — étaient probablement l’accélération de la vassalisation et de l’affaiblissement comme jamais de l’Europe, en la coupant durablement et profondément de la Russie.
On peut douter que le président Trump ait commandé cette étude. Rien ne l’indique. Si l’armée américaine a commandé ce travail sans qu’on le lui ait demandé, ce serait bien la preuve que l’État profond, ou le « permanent Washington », comme dirait Tucker Carlson, a sa logique propre et s’auto-anime, quel que soit le président, s'autorisant même à faire pression ou du moins influencer ce dernier. Quand l’administration élue devient plus favorable aux actions agressives, les plans sont prêts.
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