George Soros entre coups de bourse, coups de cœur et coups d'Etat
PORTRAIT CRACHE - George Soros : le super-héros des marchés qui jongle avec les chiffres et secoue le cocotier de Wall Street quand il “n’ouvre pas les sociétés” à la démocratie et aux droits humains. Son flair lors du "mercredi noir" de septembre 1992 a façonné sa réputation de financier “visionnaire” pour certains, de “spéculateur sans scrupules” pour d’autres. C’est son engagement philanthropique pour “les sociétés ouvertes” et les droits humains à travers l'Open Society Foundations (OSF) qui a fini par sculpter sa légende : celle d’un milliardaire adepte d’interférences dans les affaires politiques.
George Soros, de son vrai nom György Schwartz, quitte sa Hongrie natale en 1947 pour se rendre à un congrès mondial d’espéranto et s’établit, à 17 ans, au Royaume-Uni. A Londres, il poursuit des études à la London School of Economics, obtient un "bachelor" puis un master en philosophie avant de s’inscrire à un doctorat en 1954. George Soros est encore loin de penser à un avenir de financier milliardaire. Il envisage plutôt à cette époque de devenir philosophe et écrivain. En attendant, il enchaîne les petits boulots.
Mille milliards de... sterling !
En 1956, il s’envole aux États-Unis. Pas n’importe où, et pas n’importe comment. C’est à Wall Street que George Soros pose ses valises pour devenir entrepreneur, trader et financier. Il est d'abord analyste dans plusieurs sociétés financières puis gestionnaire de fonds d’investissements d’arbitrage sur les matières premières. Une décennie plus tard, il crée son propre fonds. Celui-ci, Quantum Fund of Funds, est offshore, domicilié aux Antilles néerlandaises.
Parmi ses principaux investisseurs figurent la Banque Rothschild et Heldring & Pierson. George Soros spécule d’abord sur le marché d’actions obligataires puis, à partir de 1973 et la fin du taux de change fixe, sur les devises. La Communauté européenne crée alors le système monétaire européen puis le mécanisme de taux de change européen (MCE) pour réduire la variabilité des taux de change entre les monnaies européennes et atteindre une stabilité monétaire plus favorable à l'introduction d'une future monnaie unique.
Un mécanisme dont fait partie le Royaume-Uni qui subit, au début des années 1990, la récession économique mondiale de plein fouet. Croissance économique en berne, inflation galopante et taux de chômage s'envolant, Londres décide de dévaluer sa monnaie et d’intégrer le système monétaire européen pour relancer son économie.
Pour rendre la livre sterling plus attrayante et stimuler les exportations et, surtout, les investissements, la Banque d'Angleterre réduit ses taux d'intérêt. Mais les performances économiques britanniques plombent ses efforts et la faible demande entraîne une chute de la valeur de la sterling à son niveau le plus bas possible par rapport à l'ECU, alors monnaie composite européenne.
La Banque d'Angleterre intervient sur le marché des changes pour soutenir la valeur de la livres sterling mais ces interventions sont insuffisantes. C’est le “mercredi noir” et le Royaume-Uni est contraint de retirer la livre sterling du système monétaire européen le 16 septembre 1992.
George Soros a anticipé ce scénario des mois auparavant. Il ouvre une position de vente à découvert en livres sterling. Le 16 septembre, jour de la crise, il vend ainsi plus de 10 milliards de dollars en livres sterling à découvert. Il engrange un profit d’un milliard de dollars. Ce coup fait de lui “l’homme qui a cassé la Banque d’Angleterre”. Son Quantum Fund voit sa valeur passer en un claquement de doigt de 15 à 19 milliards puis à 22 milliards de dollars les mois qui suivent.
Il était déjà riche, le voici désormais milliardaire. Mais George Soros, l’une des premières fortunes des États-Unis au début des années 2000, suscite la controverse. Il est considéré comme un génie de la finance par certains, un spéculateur sans scrupules par d’autres. A l’image de l’économiste Paul Krugman, qui utilise le terme “Soroi” (pluriel de Soros, NDLR), pour désigner les investisseurs qui non seulement anticipent une crise monétaire, mais qui spéculent et font de leur mieux pour déclencher cette crise. “De nos jours, il y a vraiment des investisseurs qui non seulement transfèrent de l'argent en prévision d'une crise monétaire, mais font de leur mieux pour déclencher cette crise pour le plaisir et le profit. Ces nouveaux acteurs sur la scène n'ont pas encore de nom standard ; mon terme proposé est Soroi”, écrit Krugman.
Une ingérence à peine voilée de philanthropie
Considéré désormais comme un “game changer” de la finance, un pionnier des hedge funds qui utilisent, comme Quantum, des techniques de gestion peu traditionnelles pour générer des profits, George Soros veut influencer le monde et promouvoir les sociétés démocratiques et ouvertes. Une page se tourne. Ou, du moins, un nouveau chapitre débute puisque le milliardaire n’abandonne pas ses activités financières.
Voilà donc George le philanthrope. Si l’année de création de l’Open Society Foundations (OSF) varie selon les sources, le site de la fondation nous apprend que le travail philanthropique de son fondateur remonte à la fin des années 1970. Au fil des décennies, le nombre d’associations fondées par Soros, à travers le monde mais particulièrement dans les ex-républiques soviétiques, grimpe en flèche. Quelle est la mission, affichée publiquement, de l’OSF ? Mener la lutte contre les discriminations, défendre les droits des minorités et le droit à l'éducation.
Mais au sens large, le projet de Soros est de soutenir le concept de "société ouverte" chère au philosophe Karl Popper. Il s'agit d'octroyer un soutien financier pour le développement dans le monde de la liberté individuelle, de l'État de droit et de la démocratie, du pluralisme et du libéralisme. Les premières initiatives de Soros philanthropiques consistaient tout simplement à financer des bourses d’études à des étudiants des pays du Sud, améliorer l’accès aux soins et “élargir l’accès à l’information”, fonder une université et des centres d’art. Puis, peu à peu, des organisations politiques, y compris dans les pays en guerre ou en conflit, ont été soutenues. Un historique fièrement détaillé sur le site de la fondation, qui rappelle la distribution, en 1984, de photocopieurs à “des groupes indépendants” en Hongrie pour “briser l’emprise du Parti communiste sur l’information”, ou encore le “financement de groupes oeuvrant pour la promotion de la démocratie” pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine.
Une philanthropie à la sauce Soros que beaucoup de dirigeants, de médias et des personnalités qualifient tout simplement d’ingérence politique. Et financer ou collaborer avec un belligérant dans un pays en guerre s’apparente bien à une prise de position pas du tout philanthropique. Un reproche que lui font les gouvernements de plusieurs pays d’Europe centrale. Dans sa Hongrie natale, l’OSF n’est plus la bienvenue depuis 2018, année à laquelle la succursale de Budapest s'est délocalisée à Berlin sous la pression du Premier ministre magyar Viktor Orbàn. Ce dernier a maintes fois critiqué son "premier opposant", le considérant comme une "très influente figure de l'ombre" qui cherche à compromettre, à travers ses soutiens aux migrants, la politique du parti de droite Fidesz.
George Soros a lui-même révélé que sa fondation a joué un "rôle important" entre 2013 et 2014 dans les événements de l'Euromaïdan, ces manifestations pro-européennes en Ukraine, hostiles à l’ex-président Viktor Ianoukovytch.
Le Papa Noël du Parti démocrate
A côté de ses missions de promotion de la démocratie, l’Open Society Foundations mène aussi des activités dans les pays encore considérés démocratiques. Aux États-Unis, la droite accuse Soros de financer une politique libérale en matière de mœurs et d’avoir même financé les émeutes de grande ampleur qui ont lieu après le meurtre de George Floyd en 2020. Une information que le site de l’OSF confirme, en précisant que 220 millions de dollars ont été investis pour “renforcer le pouvoir dans les communautés noires”. En 2015, la fondation a annoncé avoir aidé des ONG à remporter un procès visant à légaliser l’égalité du mariage dans les 50 États américains devant la Cour suprême.
George Soros est aussi le premier donateur du Parti démocrate. Après l’élection de Donald Trump, l’Open Society Policy Center a dépensé près de 100 millions de dollars, dont 24 millions de dollars rien que durant le quatrième trimestre de 2019.
En France, où George Soros a été condamné pour délit d’initié dans l’affaire de la Société générale à la fin des années 1980, l’OSF, qui dit aussi lutter contre la discrimination contre les musulmans, a financé une étude sur le contrôle au faciès, une autre sur les discriminations dont seraient victimes les musulmans de Marseille et fait un don de 35 000 euros au Collectif contre l’islamophobie.
Au Royaume-Uni, Soros a apporté son soutien à la campagne anti-Brexit, en distribuant 400 000 livres pour convaincre les parlementaires britanniques de ne pas ratifier l'accord du Brexit.
Au cours des trois dernières décennies, OSF a dépensé plus de 19 milliards de dollars.
S’il semble peu à peu perdre son flair de trader, ayant perdu près d’un milliard de dollars en spéculant sur une chute des marchés suite à l’élection de Donald Trump, George Soros ne s’emmêle pas les pinceaux quand il s’agit d'optimisation fiscale. En 2017, il a transféré une partie importante de sa fortune, soit 18 milliards de dollars, à sa fondation. Des médias ont alors relevé qu'un tel don allège surtout les impôts sur les capitaux engrangés par son fonds offshore.
Jusqu’à 2021, OSF emploie près de 800 personnes à travers plus 20 pays. En juin 2023, George Soros, par ailleurs contributeur régulier du Forum Économique mondial (World Economic Forum, WEF), a cédé le contrôle de sa fondation (dont la dotation est estimée à 25 milliards de dollars) à son fils, Alexander. Âgé de 37 ans, celui-ci a été élu en décembre 2022 à la tête du conseil d'administration, réduit à un cercle étroit dominé par les membres de la famille Soros.
En août 2023, l’OSF a renoncé à la majeure partie de ses activités d’Europe pour "se concentrer sur d’autres parties du monde" dans le cadre d’une "nouvelle orientation stratégique". Cette décision s'est accompagnée du licenciement de 40 % des effectifs de la fondation Soros.
Celle-ci reste toutefois la deuxième organisation philanthropique la plus puissante du monde, derrière celle de Bill et Melinda Gates.
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