Klaus Schwab ou comment réinitialiser le monde et le pouvoir global entre une piste de ski et un feu de cheminée
PORTRAIT CRACHE - Il tutoie les grands de ce monde, est décrit comme “le maître des maîtres” aux allures de gourou sectaire, et connaît personnellement plus de chefs d’État, de dirigeants et de milliardaires que quiconque. Klaus Schwab lui-même ne s’imaginait sans doute pas, lorsqu’il a créé le Forum économique mondial (WEF) en 1971, devenir une personnalité aussi influente, dictant, d’une manière ou d’une autre, depuis la station de ski de Davos, en Suisse, les trajectoires sociales et économiques du monde. Comment cet ingénieur et économiste allemand à l’arbre généalogique douteux a-t-il pu réussi à devenir ce qu’il est aujourd’hui : une personnalité controversée pour les uns, “visionnaire” pour les autres, qui ne se contente pas de faire part de son opinion à chaque actualité majeure, mais influence les décisions politiques via le WEF, les organisations filiales comme les Young Global Leaders (YGL), ou ses écrits ?
Né en Allemagne en 1938, Klaus Schwab a principalement grandi et vécu en Suisse. En 1966, il obtient un doctorat en sciences de l’ingénieur à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich et enchaîne avec un doctorat en sciences économiques de l’université de Fribourg. Il s’envole aux États-Unis pour y suivre un Master of Public Administration, à Harvard, et retourne, en 1972, en Suisse pour enseigner le management industriel à l’Université de Genève.
Bipolaire, bipolaire, vous avez dit bipolaire ?
Hormis la version “officielle” et ses propres témoignages, il existe peu d’informations sur les circonstances de la création du Forum économique mondial (WEF), qui s’appelait, à ses débuts, le Symposium européen du management. Klaus Schwab évoque deux principaux éléments, à commencer par la lecture du livre Le Défi américain de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Cet essai, publié en 1967, mettait en garde contre le risque que l'Europe devienne une colonie économique des États-Unis. Le journaliste et homme politique français y décrivait l'incapacité des entreprises européennes, particulièrement françaises, à rivaliser avec les organisations américaines. Un scénario devenu une réalité à en croire Klaus Schwab lui-même, qui décrit de nos jours un nouveau monde bipolaire, dominé par les États-Unis et la Chine et dans lequel l’Europe est reléguée à un “rôle de passerelle”.
L’autre circonstance de la création du Symposium est la guerre froide. Celle-ci battait encore son plein dans les années 1970 après un timide rapprochement entre les États-Unis et l’URSS à la fin des années 1960. Les crises de Berlin et des missiles à Cuba ont laissé place à la guerre du Vietnam, l’intervention soviétique en Afghanistan et le choc pétrolier. A cela s’ajoute la mondialisation et les mutations qu’elle apporte. Pour Klaus Schwab, il y avait besoin de dialogue entre les différents acteurs du monde : “J'ai fondé le WEF en 1971 dans le but de créer un forum dans lequel les dirigeants des entreprises, des gouvernements et des organisations internationales pourraient se rencontrer et discuter des défis auxquels le monde était confronté”.
Business first... Lie then !
Lors de la première édition, Schwab, à peu près inconnu, reçoit le soutien de Raymond Barre, alors commissaire européen aux Affaires économiques. Celui-ci fixe tout de même ses conditions : “Que cela ne devienne pas une affaire commerciale" et surtout, qu'à l’avenir cela se tienne dans un pays de la Communauté européenne. Klaus Schwab a la réponse qu’il faut : “Mais, monsieur le commissaire, la Suisse se joindra bientôt aux institutions européennes !” (ce qui ne se sera jamais le cas). “Au premier congrès de Davos, à l'été 1971, nous étions bien peu nombreux, entre cent et deux cents, des chefs d'entreprise et des professeurs de gestion”, témoigne un industriel français. Le WEF parle lui de 450 participants, issus de 31 pays.
La guerre froide touchant à sa fin, Klaus Schwab voit un nouveau paysage géopolitique se dessiner et saisit l’occasion pour, en 1987, rebaptiser son Symposium le Forum économique mondial.
La crème de la crème au bal des grands écarts
Le WEF entend désormais réunir l’élite autour des “nouveaux défis économiques, politiques et sociaux” imposés par les bouleversements de la fin du XXe siècle (chute de l’URSS, globalisation et essor des technologies numériques).
L’essor de Davos va dès lors être fulgurant. Le sommet réunit les dirigeants occidentaux, leurs homologues des pays émergents ou ceux des anciennes républiques communistes ou bananières. Au nom de la devise “Committed to improving the state of the world” (Engagé pour améliorer l'état du monde), Klaus Schwab entend appliquer ses principes de management des entreprises, les 3 B pour “Bounding, Binding, Building” (Créer un cadre, établir des liens, construire), à d’autres domaines comme la politique, la gouvernance et la diplomatie. A Davos, on voit, par exemple, le Premier ministre turc Turgut Özal serrer la main de son homologue grec Andréas Papandréou, le président sud-africain Frederik de Klerk aux côtés de l’icône de la lutte contre l’apartheid, Nelson Mandela, ou Shimon Peres converser avec Yasser Arafat...
Le triomphe de Davos est tel que son nom est repris pour qualifier toutes les rencontres du même genre à travers le monde. Klaus Schwab invite personnellement les dirigeants pour venir s’adresser aux patrons des entreprises mondiales les plus importantes, dans le cadre de rencontres informelles organisées en marge du sommet.
Le WEF est désormais bien plus qu’une rencontre annuelle réunissant dirigeants politiques et hommes d’affaires pour discuter business. Il devient la tribune pour des idées bien définies à travers lesquelles Klaus Schwab et son organisation contribuent à façonner l'agenda mondial. Nous sommes loin des thématiques des premières éditions. Le WEF évoque ouvertement la “construction de sociétés saines et équitables”, l’alimentation et la nature, la transformation industrielle ou encore la “quatrième révolution industrielle” (auquel Schwab a consacré un de ses livres, qui a fait polémique) et relaie les théories des milliardaires les plus controversés, comme Bill Gates ou George Soros.
Les YGL infiltrent et les Global Shapers se font laver le cerveau
Comment peut-on “façonner” le monde ? Les conférences thématiques lors des quelques jours du sommet annuel de Davos suffisent-elles à “secouer” des dirigeants politiques pour les convaincre d’autoriser des viandes artificielles ou des aliments à base d’insectes ? Oui, non, peut-être. En revanche, enrôler de jeunes leaders susceptibles d’être les dirigeants politiques ou économiques de demain, ça, oui. Telle est la mission des Global Leaders for Tomorrow, rebaptisés Young Global Leaders (YGL) en 2004.
Le WEF explique que le forum des YGL, réunissant “des leaders dynamiques et inspirants de moins de 40 ans” a été lancé afin de “répondre au consensus croissant selon lequel les défis interdépendants auxquels le monde est confronté exigent des solutions basées sur une vision globale et tournée vers l’avenir”. En 2021, Klaus Schwab expliquait le besoin de “prendre en considération la génération désenchantée” qui a vécu la crise financière de 2008 et la pandémie de Covid, à travers son réseau des 12 000 Gobal Shapers, une autre organisation visant à “influencer (...) les jeunes leaders pour qu'ils façonnent les processus de prise de décisions”. Une secte ?
Le fondateur du Forum économique le dit lui-même : ses Young Global Leaders infiltrent les gouvernements à travers le monde. Qui en a déjà fait partie et quelles en sont les figures actuelles ? Angela Merkel, Vladimir Poutine, Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Gabriel Attal, Jacinda Arden ou encore Justin Trudeau, une clique qui finance le WEF. Les gouvernements infiltrés par les YGL est “la plus grande fierté" de Schwab. D’autres noms du monde des affaires et des arts ont fait “leurs classes” à Davos comme Elon Musk, Jack Ma, Mark Zuckerberg, Leonardo DiCaprio ou encore Charlize Theron. Que penser, dès lors, de leurs discours et de leurs actes ?
Requiem pour la démocratie des fous, ou comment vendre nos libertés aux plus offrants
Face aux défis auxquels le monde est censé être confronté comme les pandémies et le réchauffement climatique, les recommandations du WEF, de son fondateur et de son panel d’intervenants “humanistes” qui souhaitent “réinitialiser” le monde et changer les comportements, ne sont jamais banales, et flirtent avec le totalitarisme, entre celles qui suggèrent de réduire le nombre de vols long-courriers qu’une personne aurait le droit d'emprunter dans sa vie ou d’autres qui prônent des villes où les habitants ne possèderaient rien mais seraient heureux... Nombreux sont ceux qui voient là des atteintes à la liberté individuelle et à la vie privée.
Ces recommandations viennent justement de Klaus Schwab et ses proches. Dans son livre The Great Reset (La grande réinitialisation), l’ingénieur allemand reprend le programme de son organisation Global Redesign Initiative, publié après la crise économique de 2008 et portant sur la transformation de la gouvernance mondiale.
Tout commence avec le concept de “capitalisme des parties prenantes”, proposé et martelé depuis des décennies par Schwab. "Dans sa forme actuelle, le capitalisme ne convient pas au monde qui nous entoure", dit-il, lui qui fut avec le WEF un relais des États-Unis et de l’ultralibéralisme. En quoi consiste son “capitalisme” ? “Il s’agit d’un modèle que j’ai proposé pour la première fois il y a un demi-siècle, positionnant les entreprises privées comme les dépositaires de la société et il constitue clairement la meilleure réponse aux défis sociaux et environnementaux d’aujourd’hui”, écrit-il. Au détriment des institutions démocratiques ? “La voix du gouvernement serait une voix parmi d’autres, sans toujours être l’arbitre final”, lit-on. Mais qui seraient les autres acteurs du modèle Schwab ?
Les tensions que subit l’économie mondiale, les conséquences du Covid, la révolution technologique doivent, estime-t-il dans son livre, mener à réorganiser nos sociétés, de l’éducation aux conditions de travail, en passant par l’alimentation et la santé.
Pas étonnant que The Great Reset suscite la controverse. Si certains voient dans cet ouvrage un “effort peu sérieux pour résoudre réellement les crises”, d’autres estiment qu’il est une plateforme programmatique constituant une menace pour la liberté des individus.
Si le Great Reset est considéré par certains comme un concept visionnaire, pour d‘autres le bon vieux Klaus, du haut de ses 85 printemps, n’est plus guère capable de mener à bien son projet. "Schwab est une sorte de génie. Il a une imagination débordante, mais il n'a pas forcément de suite dans les idées” : ainsi le décrit un ancien collaborateur. D’autres saluent l’esprit “visionnaire” et “brillantissime” de l’homme, “froid et cassant”, “terriblement antipathique” et “doté d’un ego surdimensionné”.
Au fond, Schwab est-il la figure de proue du vaisseau mondialiste qu'il organise à sa guise, ou, plus simplement, le porte-parole de fous qui veulent vassaliser le monde ?
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