"Réguler" le loup ? Pourquoi Macron se trompe

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Jean-Marc Neumann, édité par la rédaction
Publié le 25 février 2019 - 15:33
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La France compte un effectif estimé de 430 loups
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
Le président de la République a clairement défendu le point de vue des éleveurs contre le loup.
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Lors de l'ouverture du Salon de l'agriculture samedi 23, Emmanuel Macron a déclaré que le loup allait être "régulé de manière pragmatique sur le terrain", laissant entendre une solution en faveur des éleveurs partisans d'une régulation, autrement dit d'abattages de fauves. Jean-Marc Neumann, président de TELAS Conseil, consultant en stratégie, politique et règlementation de la protection animale, revient pour France-Soir sur les difficultés de la France à trouver une solution de cohabitation avec les loups ou les ours.

La gestion de grands prédateurs en France vue par le président de la République se résume en quelques mots prononcés samedi 23: "Le loup on va le réguler. On va le faire de manière pragmatique, sur le terrain. Les ministères ont trouvé un accord. On va le réguler avec les préfets", a ainsi déclaré le président. Puis d'ajouter:"Comment vous dites pudiquement, vous, du prélèvement, c'est ça? Vous effarouchez les ours et vous prélevez les loups" [1].

Le loup n’est cependant pas seul a avoir été montré du doigt par les éleveurs à l’occasion du Salon de l’agriculture. En effet, la question de la "gestion" des ours a également été posée par Philippe Lacube, éleveur et futur président de la chambre d'agriculture de l’Ariège. Les éleveurs ariégeois déplorent les prédations en hausse du grand prédateur; à vrai dire ils n’ont toujours pas digéré le lâcher des deux ourses slovènes à l’automne dernier.

Lire: Pyrénées- Lâcher d'ours: l'animal, les éleveurs, la politique et le droit

Le président a su trouver les mots justes pour rassurer les éleveurs ariègeois qui y voient "une porte ouverte"[2]: "Ce que j'ai demandé aux deux ministres, c'est, en lien avec les préfets, de regarder les choses vallée par vallée. Il y a des vallées où l'ours est présent et où il n'attaque pas. Il y en a d'autres où des prédateurs se mettent à déconner et attaquent à tout va. Là, il faut qu'on puisse aller prélever les ours qui ont ce comportement et, de l'autre côté, qu'on laisse se développer les choses là où il y a des équilibres". Ces phrases prononcées sur un ton enjoué par le chef de l’Etat durant son long passage au Salon de l’agriculture devant des éleveurs ne peuvent que susciter des commentaires.

Que nous disent ces petites phrases qui mettent à mal l’avenir de notre biodiversité et en particulier la présence des grands prédateurs sur notre territoire? Elles confirment en premier lieu que le Salon de l’agriculture est l’occasion idéale permettant au personnel politique de tous bords de formuler des promesses et faire des annonces pour s’attirer la sympathie et le soutien des agriculteurs… surtout à quelques semaines d’une échéance électorale. Il s’agit avant tout de soigner son image auprès des agriculteurs et peu importe dès lors que les engagements de l’état au travers des conventions internationales et directives européennes soient bafoués. Il faut rassurer et plaire.

En tout cas, ce genre de phrases montrent que la France est loin d’accepter l’idée d’une coexistence pacifique voire d’une copropriété écosystémique de ses espaces sauvages. Elles confirment un problème très profondément ancré dans notre pays: "nous" (il s’agit des éleveurs et chasseurs car le grand public y est largement favorable) avons du "mal" à vivre aux côtés de nos grands prédateurs. Ou plutôt certains ne veulent pas partager l’espace avec la faune sauvage.

La France n’a hélas qu’un seul mot à la bouche lorsqu’il s’agit de "gérer" les grands prédateurs: "réguler". Pourquoi ?

Principalement parce que la France est un pays où l’agriculture représente encore un secteur d’activité important (en comparaison avec nos pays voisins) et que la présence des grands prédateurs (ours, loup et lynx) constitue une concurrence directe aux activités humaines et notamment à l’éco-pastoralisme. La problématique n’est toutefois pas identique selon qu’il s’agisse de l’ours ou du loup.

Dans les Pyrénées l’ours ne subsiste qu’en nombre très réduit, avec environ 50 individus sur l’ensemble du massif. L’ours, au contraire du loup, ne "disperse" pas et ne colonise pas notre territoire. Il traverse certes la chaine des Pyrénées pour aller en venir en Espagne mais il ne "s’exporte" pas au-delà. Le loup, quant à lui, du moins de souche italienne (car celui vivant en Espagne dans les monts cantabriques ne disperse a priori pas ou moins) est un conquérant qui part à la recherche de nouveaux territoires. Les scientifiques disent de lui qu’il "disperse".

Lire aussi: En Allemagne, la peur du loup tourne au débat politique

Dans sa thèse intitulée Mécanismes de dispersion du loup (canis lupus, linnaeus 1758) en France méthodes de suivi et anticipation de l'expansion soutenue le 20 mars 2018 à l’école vétérinaire de Lyon, Arnaud Chollier cite en page 37 Howard qui définit ainsi la dispersion chez le loup: "Un mouvement de l’animal de son lieu de naissance à celui où il se reproduit, ou se serait reproduit s’il avait survécu et trouvé un(e) partenaire".

Arnaud Chollier poursuite en précisant: "Dans la pratique, il s’agit d’une dissociation temporaire (quelques jours à quelques mois) ou permanente d’un loup par rapport à sa meute, durant laquelle il parcourt des distances variables ".

Le loup peut ainsi parcourir des centaines de kilomètres pour s’établir dans un nouveau territoire soit de façon temporaire soit de façon permanente . Evidemment cela ne peut que compliquer sa gestion et ne fait que favoriser fantasmes et craintes injustifiées.

Quasiment chaque jour ou presque, la presse se fait l’écho d’indices de présence du loup dans de nouveaux territoires (dernièrement en Bretagne [3]) et d’attaques de plus en plus spectaculaire Et même en ville du grand canidé [4] au point que, selon un article du Parisien du 23 février 2019, "les bergers et certains maires du Var tremblent".

Il suffit de surfer rapidement sur le net en indiquant dans sa recherche "attaque de loup" pour trouver quelque 11,4 millions d’occurrences!

> Une présence du loup en forte progression

Le loup est parti à la conquête de notre pays. Il sera d’ici quelques années présent de façon épisodique ou permanente dans l’ensemble de nos départements. A la sortie de l’hiver 2017/2018 l’on estimait le nombre de loups à 430 individus. A la sortie de l’hiver 2018/2019, leur nombre sera a priori de l’ordre de 500 individus soit autant que l’objectif qui avait été fixé dans le plan Loup 2018-2023. Les chiffres précis devraient être disponibles fin mai-juin 2019.

Pour en savoir davantage sur le loup, sa répartition géographique, la réglementation applicable et sa "gestion", l’ONCFS vient de mettre en place ce mois-ci un site dédié au loup en France [5]. En 2018, selon les chiffres officiels de l’ONCFS, environ 12.500 animaux ont été victimes de la prédation du grand canidé. On peut donc comprendre l’inquiétude voire la colère des éleveurs face à une situation qui de leur point de vue n’est pas maîtrisée en l’état. Une visite du site de la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes [6] permet d’avoir accès au détail des dommages relevés sur l’année 2018 dont les chiffres sont assez stables en comparaison de ceux de 2017.

Les éleveurs en appellent à l’état qui doit les protéger et "doit régler" le problème…c’est-à-dire d’éliminer le prédateur.

> La "régulation" du loup, un outil inefficace

Certes le loup est protégé par le droit international, le droit communautaire et le droit national (Convention de Berne de 1979, Directive Habitats de 1992 et article L411-1 du code de l’environnement) mais il peut être "régulé" pour autant que certaines conditions soient remplies:

- il y a un intérêt pour agir (intérêt économique en prévenant des dommages importants à l’élevage);

- il n’existe pas d’autres solution satisfaisante (dommages importants malgré la mise en place de mesures de protection);

- la régulation ne doit pas nuire au maintien de la population lupine dans un état de conservation favorable.

Le site loupfrance.fr détaille plus avant la règlementation applicable, notamment celle relative aux tirs de défense et de "destruction". Terme qui d’ailleurs en dit long sur la façon dont la France appréhende l’animal dont on sait -bien que le code de l’environnement ne le reconnaisse pas- qu’il est un être sensible et non une chose que l’on peut détruire.

Le plafond de tirs a été fixé à 43 pour l’année 2019. On sait d’ores et déjà que le plafond sera sensiblement relevé et que les tirs seront facilités.

Les propos tenus par le chef de l’Etat lors du salon de l’agriculture donne le ton. "On va le réguler" . Des propos d’autant plus regrettable que l’on sait que la régulation ou "destruction" du loup n’a que peu d’effet sur le comportement du prédateur. Au contraire même, selon certaines études il favoriserait l’éclatement des meutes et la dispersion du canidé.

L’Observatoire du loup [7] vient de publier à cet égard un article très éclairant sur les projets du gouvernement quant à la gestion du prédateur (Feuille de route gestion post 500 loups).

> Vers une copropriété écosystémique

Le loup est incorrigible et impertinent. Il n’écoute ni nos politiques ni nos éleveurs. Il s’affranchit des frontières administratives, dévore des brebis par-ci, par-là, ose aller se promener jusqu’aux abords des villes, s’élance à la conquête de nos territoires en traversant routes et voies de chemin de fer, canaux et fleuves, montagnes et champs. Il occupe progressivement les espaces délaissés et désertés par l’Homme.

Il est un grand opportuniste. Il a su montrer à quel point il est intelligent et capable d’adaptation. Bref c’est incontestablement un rival qu’il faut éliminer pour ne pas avoir à partager ce que nous considérons, à tort, comme étant "notre" espace. L’histoire compliquée de l’homme et du loup est ancienne, "3.000 ans de conflit" selon Jean-Marc Moriceau [8] et n’est pas prête de s’apaiser.

Quand l’Etat prendra-t-il véritablement le sujet à bras le corps sans a priori, sans passion, sans pression des lobbies afin de trouver une solution équilibrée à la crise?

Aller plus loin: Des brebis à Paris pour dénoncer "la cohabitation impossible" avec le loup

Il n’est pas question de nier les dommages causés aux éleveurs ni le stress engendré par la présence du loup, de l’ours ou du lynx. Leurs craintes sont légitimes et il faut y apporter des réponses. Mais des réponses efficaces, adaptées aux circonstances et aux territoires concernés et, surtout, justes. Elles ne doivent pas être dictées par la pression du terrain, par des calculs politiciens et des vues à court terme.

Les prochains mois, lorsque nous connaitrons les chiffres exacts de la population lupine à la sortie de l’hiver 2018/2019 et les intentions du gouvernement, seront déterminants pour l’avenir du loup en France. Osons espérer en une réflexion moins paresseuse de l’Etat afin de pacifier la cohabitation entre l’homme et le loup (et les deux autres grands prédateurs que sont l’ours et le lynx).

Nous avons d’ores et déjà que nous ne parviendrons pas à ralentir la conquête du territoire par le loup. Le loup, d’une certaine façon, a déjà gagné la "guerre". Sauf à vouloir l’exterminer (ce qui n’est toutefois pas possible au regard des engagements juridiques de notre pays) ainsi que nous l’avons fait au 19e et début du 20e siècles. Il faut donc oser affronter la réalité en face et trouver des solutions originales respectueuses des intérêts de tous (hommes et loups). Le loup ne doit être ni une icône, ni un ennemi, ni le diable. Il est tout simplement une réalité indispensable aux grand équilibres avec laquelle il va falloir vivre qu’on le veuille ou non. Le loup, l’ours et le lynx sont des signes éminents et indispensables de la bonne santé de notre écosystème.

Pourquoi ne pas lancer des "Etats généraux du loup et autres grands prédateurs" pour aborder enfin, en présence de l’ensemble des parties concernées par le sujet, toutes les problématiques et toutes les solutions potentielles pour parvenir à un équilibre respectueux du pastoralisme et de la biodiversité? Une certitude: il nous faut enfin sortir de la politique injuste et inefficace de "destruction" du loup pour parvenir à ce que j’appellerai une "copropriété écosystémique" des espaces sauvages.

> Sources:

[1] https://www.europe1.fr/societe/macron-veut-reguler-les-populations-de-loups-3862982

[2] https://www.ladepeche.fr/2019/02/25/ours-avec-emacron-une-porte-sest-ouverte,8035759.php

[3] https://www.francebleu.fr/infos/climat-environnement/le-loup-est-il-arrive-en-vendee-1542306027

[4] http://www.leparisien.fr/societe/dans-le-var-les-loups-arrivent-en-ville-23-02-2019-8018964.php

[5] http://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/protocole-dommages-a3854.html

[6] http://www.loupfrance.fr/

[7] https://observatoireduloup.fr/2019/02/16/le-gouvernement-crie-haro-sur-le-loup-proposition-de-feuille-de-route-post-500-loups/

[8] https://www.tallandier.com/livre/vivre-avec-le-loup-3000-ans-de-conflit/

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