Les contrats d’achats de vaccins anti-COVID-19 de Pfizer-BioNtech en Europe et dans le reste du monde

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France-Soir
Publié le 10 octobre 2023 - 17:41
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Olivier FROT
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Olivier Frot, docteur en droit public
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ENTRETIEN/ANALYSE - Sur mandat des États membres du 18 juin 2020, au titre de l’aide d’urgence prévue par le règlement 2016/369 modifié par le règlement 2020/521 du 14 avril 2020, la Commission européenne a attribué un contrat-cadre (Advance Purchase Agreement, APA), au groupement Pfizer-BioNtech, et à plusieurs autres fournisseurs. Ce contrat, passé de gré à gré pour une durée de 24 mois, était exécuté par les États membres au moyen de Vaccine Order Forms, dont le contenu était défini dans l’annexe I de l’APA, sur lequel étaient précisés les quantités commandées et les lieux de livraison, en particulier.

Analysé en août 2021, il prévoyait l’achat de 200 millions de doses et une option pour 100 millions supplémentaires en Europe. C’est ce premier contrat qui avait fait l’objet de l’étude comparative. J’avais conclu « un contrat aussi favorable à un industriel me paraît anormal. »

 

La Commission européenne a ensuite attribué deux nouveaux contrats au seul groupement d’entreprises Pfizer-BioNtech, alors que le mandat explicite des États membres n’en est pas connu, en février 2021 puis en mai 2021, pour 1,8 milliards de doses. La durée et les clauses de ces deux derniers contrats, qui auraient été directement négociés, en dehors de ses attributions, par la présidente de la Commission, ne sont pas connues.

Pfizer a vendu son produit dans de nombreux pays dans le monde (même si l’Inde avait initialement demandé à Pfizer de faire des études sur des cohortes spécifiques à l’Inde) et plusieurs contrats ont été rendus publics : celui du Brésil et plus récemment, sur décision judiciaire, celui de la République sud-africaine (RSA). 

Examiner ces contrats et comparer leur contenu à celui de l’APA de novembre 2020 apparaissait comme critiquement utile et dans l’intérêt citoyen.

 

Considérations générales

La première réaction de toute personne habituée aux contrats de la commande publique nationaux ou internationaux est que ces contrats sont rédigés de manière tout à fait dérogatoire aux règles et usages rencontrés partout dans le monde, en matière de commande publique.

Pour synthétiser simplement, il est possible de dire que :

  • Un an après le début de la pandémie Covid et six mois après le début des campagnes vaccinales, le fournisseur ne connaît pas encore les effets de son produit, il ne peut pas garantir son efficacité ni son innocuité. Il s’avère que le caractère expérimental et/ou non abouti du produit concerné est clairement et ouvertement rappelé dans les trois contrats, par le fabricant ;
  • Les caractéristiques et la composition du produit vendu ne sont pas indiquées, il n’y a pas de cahier des clause techniques ;
  • Les États signataires prennent à leur charge l’indemnisation des victimes d’éventuels effets indésirables, ainsi que la défense de l’industriel si celui-ci est attaqué judiciairement par des victimes de son produit ;
  • Les États signataires renoncent à la protection de leur système judiciaire souverain au profit d’un arbitrage de la Chambre de commerce internationale et, pour l’UE l’application du droit belge et la compétence des cours belges, pour les autres, l’application du droit de l’État de New York et la compétence des juridictions new-yorkaises.

Sur le plan matériel, les contrats du Brésil et de la RSA, signés au cours de la même période (mars 2021) sont très proches et sont articulés de façon quasi identique. Si le contrat européen de novembre 2020 semble différent sur la forme, ses stipulations sont similaires aux deux autres, sur le fond. Tout cela porte à considérer que les contrats ont été, contrairement aux bonnes pratiques générales, rédigés par le cocontractant et non par l’acheteur public.

 

Les clauses contractuelles

  • Des contrats à quantités fixes pour répondre à un besoin par nature, mal maitrisé

Ce type de marché de fournitures est habituellement attribué avec des quantités prévues (ou non) dans une fourchette entre un minimum et un maximum d’unités qui seront commandées pendant la durée du contrat, selon l’évolution du besoin. C’est le fournisseur qui supporte le risque de l’incertitude liée au volume des commandes effectives, le marché s’exécutant par bons de commande successifs en fonction des besoins (accords-cadres, blanquet ordering agreements).

En l’espèce, ces contrats sont tous à quantités fixes, engageant les États à commander obligatoirement un volume prédéterminé et, le cas échéant, un volume supplémentaire sur avenant au contrat.

Par conséquent, l’État contractant est incité à, soit rendre la vaccination obligatoire ou bien à mettre en place des dispositifs contraignants, afin de trouver un débouché à sa commande, ou a contrario, de limiter les quantités lors de la signature du contrat. Une commande a minima serait de nature à le mettre en difficulté si, en l’absence de dispositif contraignant, les populations exprimaient une forte demande ne pouvant être satisfaite.

Concernant l’UE, celle-ci a commandé au total environ 10 doses par habitant de l’UE : la pénurie n’est donc pas une option !

  • L’utilisation de l’urgence permanente

Si l’on conçoit que les APA signés en novembre et décembre 2020 pouvaient se justifier par l’urgence, ceux de mars 2021 ont déjà l’expérience d’un an de pandémie COVID. 
On relève que le contrat sud-africain prétend que les phases 2 et 3 d’études sont réalisées mais que  "malgré les efforts de Pfizer en recherche, développement et fabrication, le produit peut ne pas être réussi, pour des raisons de nature technique, clinique, réglementaire, de fabrication, transport, stockage ou autres défis ou échecs(1)." Donc un produit qui n’est plus expérimental, mais qui n’est pas abouti et dont son fabricant ne maîtrise pas les effets (donc un produit ni sûr, ni efficace).

Or il se trouve qu’à la date de signature de ces contrats, les produits Pfizer-BioNtech sont toujours en phase 3, la fin de celle-ci étant prévue bien plus tard : le 15 mars 2023 (adultes de plus de 12 ans, 15 mars 2023, enfants et jeunes adultes 24 mars 2024, booster, 12 avril 2024, femmes enceintes, 15 juillet 2022) alors que pour l’UE, l’EMA elle-même donne la date de décembre 2023.

Donc, un an après le début de la pandémie, il s’agit encore d’un produit expérimental dont on ne connaît toujours pas la composition détaillée et dont le fabricant lui-même reconnait explicitement que l’efficacité et l’innocuité, sont douteuses.

  • Des spécifications techniques inconnues

Le fabricant s’engage dans le contrat à respecter les spécifications, mais celles-ci sont inconnues : aucun des trois contrats ne les indique. Il n’y a pas de cahier des clauses techniques, qui est pourtant une pièce contractuelle de base et essentielle dans tout marché public.

L’annexe A "spécifications" du contrat de la RSA est vide.

Le contrat(2) fait référence au respect des bonnes pratiques de fabrication qui sont les cGMP (current Good Manufacturing Regulations de la FDA US). Toutefois, ce produit est nouveau et sans précédent dans son principe de « vaccin » fondé sur une thérapie génique, on peut donc s’interroger sur l’applicabilité de cette réglementation qui s’applique aux médicaments en général.

  • Les prix

On notera aussi l’éventail des prix : les deux États contractant seuls ont bénéficié d’un prix identique de 10 USD par dose. 
En revanche l’UE, au nom de « unis, nous sommes plus forts », les a payées sensiblement plus cher (de 13,5 à 17,5 € pour les commandes de 2020, prix de 2021 inconnus mais a priori, plus élevés, 20 € ?), malgré un nombre considérable d’unités commandées.

La centralisation de la commande au niveau de l’UE n’a pas apporté le moindre intérêt économique auquel on aurait pu s’attendre, compte tenu du volume des commandes : en général, dans les marchés publics - et privés - le prix unitaire est inversement proportionnel aux quantités commandées, il s’agit donc d’une anomalie qui doit alerter.

Tous les contrats prévoient le paiement d’une avance, elle est de 2 USD par dose pour le Brésil et la RSA, soit respectivement 200 millions USD et 40 millions USD et de 3,5 € par dose pour l’UE, soit 700 millions d’euros. Un brillant résultat de négociation pour les fonctionnaires européens !

Comme l’écrivent les professeurs de droit M. Lahouazi et M. Chambon(3), "l’on pouvait espérer que l’implication de l’Union européenne soit de nature à peser davantage face aux opérateurs privés". On peut facilement imaginer que chaque État membre, négociant individuellement, aurait pu obtenir des tarifs plus favorables, lorsque l’on voit ces deux exemples hors d’Europe.

Au demeurant, la même Commission avait été capable d’imposer en août 2020, dans un premier APA avec AstraZeneca, un prix coûtant sur présentation de justificatifs, aboutissant à un prix unitaire de 2,9 €. Curieusement, ce vaccin a été rapidement retiré de la circulation par l’EMA (en mars 2021) du fait de ses effets secondaires constatés, pourtant pas plus importants en nombre et en gravité que ceux de ses concurrents Pfizer et Moderna. Pfizer a ainsi obtenu une situation de quasi-monopole sur le territoire de l’UE.

Cette situation ne serait-elle pas de nature à cacher un pacte de corruption au niveau de la Commission européenne, dans la mesure où le troisième et plus important contrat, celui de mai 2021, aurait peut-être été négocié directement par la présidente de la Commission, par SMS avec le président de Pfizer ?

  • Cas particulier de la TVA

Le contrat RSA précise qu’aucune TVA ne saurait être appliquée. Il n’en est pas fait mention dans l’APA européen. La TVA est nationale, chaque État a ses propres taux. En France, dans un marché public, l’administration paye toujours TTC. Si son fournisseur est établi à l’étranger, la facture est établie HT et payée HT au titulaire, l’administration liquide et paye la TVA correspondante, directement à la DGFIP. Or, la Commission a pris une première décision, à portée limité jusqu’au 31 août 2020, exonérant de TVA tous les achats liés à la pandémie Covid, puis une directive (UE) 2020/2020 du Conseil du 7 décembre 2020, « modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne des mesures temporaires relatives à la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux vaccins contre la COVID-19 et aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro de cette maladie en réaction à la pandémie de COVID-19 ». Dans cette directive, il est précisé ceci :

"Dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la Commission a pris des mesures exceptionnelles pour aider les victimes de la pandémie. Le 3 avril 2020, la Commission a adopté́ la décision (UE) 2020/491 (3) qui permet aux États membres d’exempter temporairement de la TVA et des droits à l’importation les marchandises essentielles nécessaires pour lutter contre les effets de la propagation de la COVID-19, y compris les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro de cette maladie."

L’utilité de ces dispositions interroge : la TVA est neutre pour l’entreprise qui la facture, car celle-ci la déduit de ses achats et reverse la différence entre TVA collectée et TVA décaissée, au trésor public. Elle est neutre aussi pour l’État, car la TVA ne fait que sortir d’un budget spécifique en dépense pour revenir en recette au budget général. Dans le cas d’un marché public, la TVA est sans incidence pour l’entreprise étrangère qui ne la facture pas. Pourquoi l’avoir prévu dans un contrat et pourquoi en UE avoir pris si rapidement une directive sur ce point précis, dans la mesure où les particuliers ne peuvent pas acheter ce produit qui est hors commerce, exclusivement distribué et administré par l’État ? On a du mal à percevoir l’utilité de cette mesure, prise dans un temps record.

  • L’indemnisation

Dans les trois contrats, les effets secondaires occasionnées par le produit (dont l’existence est reconnue par le fabricant dans les contrats) sont à la charge exclusive de l’État signataire. Bien plus, en cas de contentieux judiciaire déposé par des victimes des injections à l’encontre de Pfizer ou de ses ayant-cause, leur défense et l’indemnisation des victimes doivent être intégralement prises en charge par l’État signataire. Les juristes cités plus haut ont souligné que  "la clause d’indemnisation des laboratoires en cas d’engagement de leur responsabilité extracontractuelle n’est pas commune en matière administrative et pourrait être analysée comme une libéralité puisque, si l’on traverse le voile contractuel, l’Administration serait conduite à payer une somme sans cause(4) ".

 

Conclusion

Il serait utile de connaître le contenu des deux contrats européens de février et mai 2021, afin que le juge soit en mesure d’exercer le contrôle qui devrait être le sien en matière des clauses limitatives de responsabilité des fournisseurs de l’Administration. La Commission s’y refuse obstinément(5), au nom de la protection de la vie privée et des intérêts commerciaux, déniant un intérêt public supérieur à en connaître. Il est plus que probable que ce contenu soit identique à ces deux contrats contemporains, mais avec un prix unitaire sensiblement plus élevé malgré l’importance de la commande.

Pour conclure, il est possible d’affirmer que ces contrats sont léonins au profit du contractant Pfizer-BioNtech et font ressortir le principe de privatisation des profits au profit d’entreprises privées pour une socialisation des risques et des coûts au détriment des États.Il s’avère qu’aujourd’hui des entreprises privées, pourtant multi condamnées dans le cas de Pfizer, sont plus puissante que des États et des organisations internationales à qui elles peuvent se permettre de dicter leurs conditions.

Annexe à la fiche du 05 octobre 2023 : comparatif des trois contrats Pfizer-BioNtech 

 

Olivier Frot est docteur en droit public 

(1) contrat Pfizer-BioNtech vs RSA, §2.1 Agreement of supply, ©

(2) Contrat Pfizer-BioNtech et RSA, §4

(3) La semaine juridique n°36 11 septembre 2023, LexisNexis, n°2278 Covid-19, contrat public international et clause attributive de juridiction

(4) La semaine juridique n°36 11 septembre 2023, op. cit.

(5) Réponse du 03/10/2023 à la demande d’accès n° EASE 2023/5268

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