« Une discrimination d’État portée contre les travailleurs handicapés » Nicolas Sévin temoigne
M. Philippe Paul, sénateur Les Républicains du Finistère, a interpelé le ministère de l'Agriculture au sujet d'un licenciement arbitraire et injustifié qu'a subi M. Nicolas Sévin. Lancer une mission de contrôle sénatoriale semblait être "la seule solution restante pour lutter contre une discrimination d’État portée contre les travailleurs handicapés".
Sa question écrite n° 23488, publiée dans le JO Sénat du 24/06/2021 est restée sans réponse de la part du ministre de l'agriculture Julien Denormandie. Elle concerne les modalités de titularisation des techniciens stagiaires et fait suite au cas de M. Sévin, qui témoigne pour nous :
En tant que travailleur handicapé, vous avez été victime d'une discrimination d’État ; pouvez-vous nous raconter ce qu'il s'est passé ?
Le ministre de l'Agriculture m'a embauché en 2011 par la voie de recrutement des personnels handicapés. À l'issue de la période de formation de deux ans effectuée à l'école des techniciens du ministère, j'ai obtenu avec succès toutes mes certifications professionnelles. J'aurais dû être titularisé comme tous mes collègues de promotion, mais le ministre a violé cette règle. Il a contré les résultats probants de mes certifications et m'a licencié arbitrairement en m'étiquetant, en plus, d'une fausse lacune comportementale. Ce procédé est extrêmement violent et d'une rare lâcheté, surtout venant de la part d'un ministre démocrate, qui défend soi-disant l’État de droit et l'égalité des chances.
Quelle a été votre première réaction ? Qu'avez-vous fait ? Vers qui vous êtes-vous tourné ?
J'ai parfaitement compris que le ministre n'a pas voulu aménager mon poste pour des raisons budgétaires car mon handicap, qu'il juge gênant, réclame des équipements de compensation. Cette fausse lacune comportementale lui a donc permis d'appliquer sa politique discriminatoire en toute impunité. N'ayant pas eu accès à mon dossier pour m'en défendre, j'ai alerté ma hiérarchie, les syndicats, le Défenseur des droits et des associations spécialisées... Ces organismes ont été démissionnaires. Le ministre connaissait parfaitement la nature de mon handicap avant de m'embaucher. Il avait donc prévu de toute façon de me licencier indépendamment de mes résultats. J'imagine que ce subterfuge lui permet de répondre à l'obligation de quotas des travailleurs handicapés dans son ministère, sans à avoir à aménager financièrement les postes au handicap...
Avez-vous, au cours de vos actions, rencontré des difficultés pour vous faire entendre ou pour recevoir de l'aide ?
J'attendais beaucoup de la Justice. Mais les procédures que j'ai intentées devant les instances administratives ne m'ont pas permis de me faire entendre ni d'avoir gain de cause, malgré mon licenciement sans motif valable. Le Conseil d’État, qui s'est prononcé récemment sur mon affaire, m'a rejeté sans explication. J'ai perdu dix ans de ma vie et des milliers d'euros de frais de procédure pour rien, alors que j'ai obtenu toutes mes certifications ! J'ai saisi aussi le Procureur de Quimper et le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon pour faire condamner cette discrimination. Rien n'y fait. Le ministre est intouchable. La nouvelle jurisprudence du Conseil d’État donne un pouvoir absolu à l'administration. Désormais, tout travailleur handicapé stagiaire peut être licencié de la fonction publique sans aucune justification.
Selon vous, est-ce un tabou de notre société ? Quel message voudriez-vous faire passer ?
Seul mon sénateur Philippe Paul a accepté officiellement d'intervenir. Son soutien est appréciable. Cependant, il s'avère que le ministre n'a même pas pris la peine de lui répondre. Ce manque de respect envers l'institution est inqualifiable. C'est pourquoi j'en appelle à l'autorité du président du Sénat Gérard Larcher dans la mise en œuvre urgente d'une mission de contrôle sénatoriale. C'est le seul moyen restant à l'échelle nationale pour enquêter sur cette discrimination systémique. Le Sénat est souvent remis en cause sur son utilité dans le mécanisme institutionnel. Cette affaire pourrait démontrer qu'il est le seul contre-pouvoir indépendant sur lequel on puisse compter actuellement.
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