Lettre ouverte aux européistes

Auteur(s)
Jean-Neige pour France-Soir
Publié le 05 juin 2024 - 11:00
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elections européennes
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AFP
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TRIBUNE - Alors que les élections européennes approchent à grands pas, j’ai pensé qu’il pouvait être opportun de revenir sur un sujet que j’avais initialement évoqué dans un article intitulé « Confessions d’un Européiste repenti » pour la version en ligne de la revue Front populaire en 2021. J’y expliquais comment j’étais passé du statut d’europhile à celui d’euro-réfractaire. Ce sujet me parait aujourd’hui d’une actualité brulante, tant l’Union européenne est devenue non pas un espoir d’avenir radieux, mais un danger mortel pour l’Europe.  

A l’origine, un idéal 

A l’époque des référendums sur l’approfondissement de l’Union européenne, en 1992 comme en 2005, j’étais un européiste militant convaincu de cœur et d’esprit. Mon engagement avait commencé dès 1988, en commençant à distribuer des tracts pour la campagne présidentielle de feu Raymond Barre. Bien que penchant plutôt à droite de par mon environnement familial, j’étais centriste dans l’âme. Je voulais la réconciliation entre les peuples, entre la droite et la gauche.  

En 1992, j’ai embrassé avec enthousiasme le Traité instituant la monnaie unique européenne. Ayant déménagé près de la demeure de Jean Monnet dans les Yvelines, je m’étais même précipité pour visiter ce musée consacré à l’un des « Pères fondateurs de l’Europe ».  Je ne saurais dire précisément d’où me venait cette conviction européiste, n’ayant à l’époque que peu eu l’occasion de voyager et de m’ouvrir au monde, mais il me semble que cela avait quelque chose à voir avec la fascination qu’exerçait sur moi alors la première puissance incontestée du monde, le pays de Hollywood et de la conquête de la Lune.  Il y avait dans le nouveau projet européen, tel que je le percevais, comme la volonté de s’inspirer des USA pour devenir leur égal, le deuxième pilier de la civilisation occidentale. 

Par ailleurs, il n’y avait dans mon esprit point d’opposition entre patriotisme français et patriotisme européen. L’Union européenne semblait alors pour moi la seule possibilité de voir la France en grand, ce qui n’était pas éloigné de la perspective du général de Gaulle sur le sujet. Après tout, les Français avaient mené ce processus, de Jean Monnet et Maurice Schuman à Jacques Delors, président de la Commission Européenne de 1985 à 1995, jusqu’à Valéry Giscard d’Estaing présidant un peu plus tard la Commission chargée de rédiger une Constitution pour l’Europe. J’adhérais tout à fait aux discours sur l’Europe-puissance en devenir, cette Europe dans laquelle, selon l’expression de de Gaulle, l’Allemagne serait le cheval et la France le jockey.  

En 1993, alors que j’avais sublimé ma fascination pour l’Amérique en allant étudier sur place, un étudiant américain en sciences politiques m’avait avoué qu’il craignait le projet européen : « You Europeans are going to kick our ass, as you have started with Airbus1 », m’avait-il lancé. Je prenais cela comme une victoire. Les Américains nous prenaient au sérieux. Nous allions devenir leurs égaux, dans un respect mutuel.  

J’étais encore plus enthousiaste en 2005 quand il fallut approuver cette Constitution pour l’Europe. J’avais suivi en détail l’avancement des travaux de la Commission dirigée par notre ex-président, pour qui j’avais le plus grand respect. Le mimétisme vis-à-vis de la démarche fondatrice des Etats-Unis d’Amérique semblait s’affirmer plus encore. Il nous fallait une Constitution, un hymne, un drapeau étoilé.  

Dans ma propre famille, on était contre ces Traités européens. Mon père, petit patron, ne voyait pas comment la monnaie unique pouvait se mettre en place avec des économies aussi disparates que celles de l’Europe d’alors. Mon frère, lui, travaillant dans le privé, craignait le dumping social des pays de l’Est, et ne se voyait pas d’intérêts communs évidents avec les autres pays.  

J’avais pour ma part décidé de croire les sachants pro-Européens qui nous répétaient dans les médias que les différences de niveau de vie entre les pays s’atténueraient avec le temps et qu’une harmonisation fiscale et sociale se ferait naturellement, et ce par le haut, au fur et à mesure que les pays les plus pauvres s’enrichiraient grâce à l’UE. Il y avait une part de croyance naïve qui s’opposait au bon sens dans cette affirmation, mais je voulais croire en des lendemains qui allaient chanter.  L’idée était trop belle et trop de gens éduqués la soutenaient pour qu’elle puisse être ébranlée par les doutes de 55% du peuple français. 

Ayant, pour ma part, commencé à travailler, dès 1996, dans des organisations internationales largement dominées par les Occidentaux, surtout dans les Balkans, mon idéalisme pro-européen et même pro-américain n’avait fait que se renforcer. Même si je percevais des signes de cynisme chez certains de mes collègues américains, je restais persuadé que la majorité était animée des meilleures intentions pour répandre la paix et la démocratie et qu’ils en avaient tous les moyens, tout ce que conférait leur puissance inégalée, moyens militaires, financiers et humains, avec tout un savoir-faire et une confiance en eux-mêmes qui leur était propres. Etant un des très rares Français à travailler auprès d’eux, me retrouvant même promu, j’avais l’impression d’être un supplétif non-méprisé, ayant la chance d’œuvrer pour l’Empire du Bien sur Terre.  J’étais aussi entouré d’Européens bien éduqués, sortant des meilleures universités, qui constituaient une nouvelle élite à la fois cosmopolite et transnationale.  J’aimais appartenir à ce monde, à cette microsociété pionnière d’un état transnational en devenir.  

En 2000, j’étais tombé amoureux d’une collègue d’Europe centrale, ce qui n’avait fait qu’approfondir mon tropisme européen.  L’élargissement de l’UE aux anciens pays de l’Est était pour moi le sens de l’histoire, la réparation d’une injustice dont ces pays avaient été victimes par la mainmise du communisme. Comme l’Allemagne de l’Ouest avait soutenu la transition de l’Allemagne de l’Est, j’estimais qu’il était de notre devoir moral d’aider nos voisins de l’Est à assumer leur transition.  

Quand l’Euro est devenu une réalité sonnante et trébuchante, j’étais sans doute l’un des Européens les plus enthousiastes. Finis les voyages en voiture de Paris jusqu’en dans l’ex-Yougoslavie éclatée, où je devais faire provision de 7 à 8 devises différentes pour la route ! Je pouvais me débarrasser de plus la moitié d’entre elles. Cette nouvelle monnaie avait des conséquences positives pratiques très concrètes pour moi, en plus d’être un symbole très apprécié d’un continent qui s’unissait dans la paix.   

Pour les mêmes raisons pratiques, mais aussi pour le symbole, j’étais aussi un soutien fervent des Accords de Schengen, n’ayant plus à subir des contrôles aux frontières dans toute l’UE. Je me souviens qu’un jour de 1997, après un périple en bus entre Mostar, en Bosnie-Herzégovine et Vienne en Autriche, via la Croatie et la Slovénie, j’avais subi par deux fois, en Croatie et en Slovénie, des contrôles plus stricts que tous les autres passagers. Quand nous arrivâmes à la frontière autrichienne, ce fut l’inverse. J’étais le seul à pouvoir prendre la file marquée d’un drapeau Européen. « Home ! », pensais-je alors ! « Je suis arrivé chez moi, dans cette Union européenne dont je suis un citoyen chanceux, au contraire de tous ces pauvres bougres bosniens qui m’accompagnaient. » 

Dans mon travail dans les Balkans, nombre d'interlocuteurs locaux pensaient que les guerres intestines de l’ex-Yougoslavie étaient inévitables et que tout recommencerait dans 20 ans. J’aimais alors utiliser l’argument de l’Union Européenne et du rapprochement franco-allemand en guise de contre-exemple.  Cependant, un collègue bosnien me repondait que l’UE s’écroulerait aussi d'ici la même période. Pas un instant je ne pouvais croire que ces ex-Yougoslaves désabusés puissent avoir raison.

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