Lettre ouverte aux européistes (partie II)
TRIBUNE - Alors que les élections européennes approchent à grands pas, j’ai pensé qu’il pouvait être opportun de revenir sur un sujet que j’avais initialement évoqué dans un article intitulé « Confessions d’un Européiste repenti » pour la version en ligne de la revue Front populaire en 2021. J’y expliquais comment j’étais passé du statut d’europhile à celui d’euro-réfractaire. Ce sujet me parait aujourd’hui d’une actualité brulante, tant l’Union européenne est devenue non pas un espoir d’avenir radieux, mais un danger mortel pour l’Europe.
Suite de la première partie publiée le 05 juin
Le référendum de 2005
Vint donc ensuite le fameux referendum de 2005 sur le Traité constitutionnel Européen. Je suivis la campagne avec attention. J’avais peine à comprendre ceux qui doutaient du bien-fondé de l’unification européenne. Il y avait bien le fameux épouvantail du « plombier polonais » mis en avant par les « nonistes », ce travailleur qui allait ruiner les plombiers français. J’avais du mal à contrer cet argument. Mais je voulais croire que le problème ne serait que transitoire, qu’avec le temps, les économies européennes et les différents systèmes de protection sociale allaient converger.
Jean-Luc Mélenchon m’avait choqué quand il avait déclaré lors d’une interview pour justifier son opposition au Traité : « Tu connais un Lithuanien, toi ? ». Je ne connaissais pas de Lithuaniens, à l’époque. Mais je connaissais des Hongrois et des Tchèques qui étaient parmi mes collègues les plus proches.
Je percevais le positionnement en faveur du Non des Séguin, Pasqua ou de Villiers, comme des archaïsmes de vieux Gaulois, et je voyais celui de Laurent Fabius comme purement opportuniste, pour exister politiquement. En revanche, je croyais en la sincérité d’un François Hollande partisan du Oui. Son dernier discours, où il s’égosillait, sentant que le résultat était loin d’être acquis, m’avait même ému. On sentait pour une fois chez lui de la sincérité. C’était cela que j’appréciais aussi avec ces enjeux européens. Cela pouvait réunir la plupart des politiciens de gauche et de droite, formant presque le bloc de deux Français sur trois rêvé par Valéry Giscard d’Estaing. Cela convenait à ma nature profonde consistant à vouloir résoudre les principaux conflits entre les Hommes. Je me reconnaissais dans ce que Juppé allait appeler, je crois, le bloc de la raison.
Le résultat du vote fut une douche froide. J’étais très déçu. Alors, quand le président Sarkozy et d’autres entreprirent de faire passer l’essentiel du Traité par la voix parlementaire, via ce qui deviendrait le Traité de Lisbonne, je fus soulagé.
J’entendais malgré tout l’argument des opposants qui y voyaient un déni de démocratie, et ils n’avaient pas tort. Mais j’estimais que les enjeux en valaient la peine. Une majorité de gens urbains et diplômés ayant voté oui, cela me rassurait. Et je pensais ainsi être du bon côté, de ceux qui savaient mieux que les moins éduqués ce qui était bon pour le peuple. Le temps nous donnerait raison, pensais-je…
La Lente bascule
Le premier accroc à ce doux rêve, qui survint avant même le référendum sur le Traité constitutionnel fut le fameux projet de directive Bolkestein, lancé en 2004, qui autorisait les entreprises à embaucher n’importe où en Europe des employés des pays européens les plus pauvres en versant les cotisations sociales non pas dans le pays d’accueil, mais dans celui d’origine, d’où la polémique sur le fameux plombier polonais qui viendrait prendre le travail des Français. Il semble que la Directive, finalement adoptée en 2006, fût édulcorée. Le vif débat avait néanmoins laissé des traces. Que s’était-il donc passé dans l’esprit de Frits Bolkenstein pour qu’il puisse ainsi rédiger une directive qui semblait donner raison à ceux qui dénonçaient le risque de dumping social dans la nouvelle Europe ?
En 2016, la polémique sur le traité CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) fut pour moi le point de bascule. Pourquoi autant de secret devait-il entourer de telles négociations commerciales avec un pays au niveau de vie proche du nôtre, comme le Canada ? De quoi avait-on peur dans les cercles fermés qui négociaient ce Traité ?
C’est grâce à la courageuse Wallonie, en 2016, que les peuples européens avaient pu se rendre compte du problème. En instituant des tribunaux indépendants pouvant condamner un Etat si une multinationale estimait que ses intérêts commerciaux étaient menacés par des lois passées par ce même Etat, le Traité faisait passer les intérêts privés devant ceux des peuples, puisque ceux-ci sont théoriquement représentés par les gouvernements qu’ils élisent. Loin d’être anecdotique, ce point fondamental démontrait l’influence des lobbies sur la politique Européenne, et, pire encore, la passivité, voire la trahison des pouvoirs politiques de tous nos gouvernements réunis (Wallonie exceptés). On négocia finalement un timide compromis, donnant le droit aux Etats de nommer des juges dans ces tribunaux spéciaux. Mais la réalité du fonctionnement opaque et contraire à l’intérêt des peuples de l’UE venait d’être mise en lumière.
Les livres de Philippe de Villiers sur la Commission Européenne, ouverte à tous les lobbies, ont fini de clouer le cercueil de mes illusions sur le sujet. Même Jean Monnet aurait été un agent de la CIA, dont le projet était de constituer une entité in fine subordonnée aux intérêts américains.
Et puis, en 2017, il y eut ce tableau, présenté aux médias par Marine Le Pen, des courbes de l’emploi industriel en France, en Italie et en Allemagne depuis l’introduction de l’Euro. Une rupture avait bien eu lieu dès le début, faisant chuter l’emploi industriel en France et encore plus en Italie, quand il augmentait en Allemagne. Dans un marché ouvert sans possibilité de taxes ou de dévaluation compétitive via la monnaie, les plus forts mangent les plus faibles. C’est la loi du capitalisme.
Il y a encore le problème de ces multinationales, notamment les GAFAM, qui placent leur siège européen dans les pays qui imposent le moins les sociétés, comme en République d’Irlande, quand elles font l’essentiel de leurs bénéfices dans les autres pays où elles ne payent quasiment rien. Le groupe de rock irlandais U2, lui, plaçait ses sociétés aux Pays-Bas, car c’est le pays qui taxe le moins les droits d’auteur, seulement à 2%. Même Renault-Nissan et bientôt PSA-FIAT-Chrysler établissent leurs sièges aux Pays-Bas.
Comme c’est le vote à l’unanimité qui prévaut pour faire changer les règles en matière fiscale et que les rares pays qui en bénéficient n’ont aucun intérêt à tuer ce qui est pour eux une poule aux œufs d’or, les incantations de nos politiques pour l’harmonisation fiscale et sociale sont du théâtre. Le dumping fiscal est donc toujours une réalité, contre laquelle il semble qu’on ne puisse rien faire au sein de l’UE… sauf à s’en retirer.
Force est de constater que l’Union européenne semble avoir été bâtie non pas pour l’intérêt des peuples, mais d’abord pour celui des multinationales, pour la plupart américaines. Et ce sont les pays où le coût du travail est le plus élevé, comme la France, qui en pâtissent le plus. Nous avons donc été bernés par les promesses de nos dirigeants et nous sommes devant le fait accompli d’un système qui a trahi son idéal d’origine. Et l’expérience montre que l’UE défend avant tout les multinationales américaines.
Par ailleurs, l’UE s’est avérée non pas comme une puissance incapable de juguler l’immigration illégale, mais au contraire comme une machine visant à l’encourager à tous les niveaux. Il y a pléthores d’indices à ce sujet dans des documents officiels, ainsi que dans les déclarations de l’ancien chef démissionnaire de Frontex. Les rares pays qui ne souhaitent pas se voir imposer un quota de migrants sont menacés de sanctions financières considérables. La volonté des peuples autochtones est complètement ignorée sur ces sujets. Toute réticence est taxée de racisme et d’égoïsme intolérable. Les Européens ne sont plus souverains chez eux. Les élites considèrent les peuples indignes de décider pour eux-mêmes… comme moi autrefois. Rétrospectivement, je ne peux que désapprouver le Traité de Lisbonne.
Quant à l’Europe-puissance, le concept n’a jamais séduit qu’en France. Bien que je fusse fervent partisan autrefois du concept d’Europe de la Défense, j’ai dû reconnaitre que nos voisins, notamment allemands, préfèrent toujours la suzeraineté américaine via l’OTAN, et que les autres préfèrent acheter américain que français, quand la France décide d’abandonner le FAMAS pour le HK allemand. La défense européenne est un leurre. Elle n’existe pas. Nous ne sommes qu’un amas de colonies-esclaves de l’Etat profond américain.
Dernière partie à suivre demain.
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