Tabula rasa dans l'Education nationale
TRIBUNE
Comment l’Éducation nationale fait-elle table rase de notre tradition de l’enseignement, laquelle était envisagée comme un art en mouvement ?
En faisant en sorte que les réformes qu’elle n’a de cesse de mettre en oeuvre soient engagées au nom d’un renouveau perpétuel qui n’est jamais que la consolidation de l’idéologie qu’elle nous cache derrière ses attributs scientifiques (on ne parle que de sciences de l’éducation). Cette idéologie n’est rien d’autre que le Progrès tel que Vigny l’avait synthétisé dans « La Maison du Berger » : « Tous se sont dit : “Allons !“ » — on notera que c’est une idéologie assez vague....
Une semblable entreprise fit les grandes purges dans les pays communistes. La révolution n’avait pas pu donner ses fruits à cause qu’on n’avait pas été assez loin dans les théories de Marx, d’Engels, de Lénine ou de Mao.
Une telle manière d’envisager les choses est particulièrement perceptible dans les propos des inspecteurs et des formateurs de l’INSPE, qu’il faudrait appeler plutôt des ré-formateurs. C’est, disent-ils, parce que les stagiaires sont encore pris dans les savoirs universitaires qu’ils ne parviennent pas à adopter la posture de professeur au secondaire.
Il en procède ce qui est devenu maintenant un adage à l’Éducation nationale, à savoir que les difficultés d’un enseignant face à une classe ont toujours leur source dans un problème d’ordre pédagogique ou didactique. D’ailleurs, qu’attend d’un stagiaire le conseiller pédagogique, le chargé de mission ou l’inspecteur qui le vient visiter ? Qu’il reconnaisse ses fautes, qu’il fasse son autocritique, et qu’il montre son souci de progresser (en prenant des notes, par exemple…). Hélas ! et c’est encore la même chose qui est attendue d’un professeur titulaire. Quant à ceux que l’on juge pris dans des problèmes de gestion de classe insolubles, ceux qui ne parviennent pas à augmenter leurs moyennes, ou encore ceux qui semblent suspects d’incroyance en la science du ministère (les sciences de l’éducation), ils se verront proposer un CIAP (Contrat Individuel d’Accompagnement Personnalisé) qu’on les pressera de signer dans l’intérêt des apprenants qu’ils ont en charge et dans leur propre intérêt (on agite alors l’épouvantail d’hypothétiques plaintes de familles au recteur). C’est un exemple des dispositifs qui sont gracieusement mis à la disposition des professeurs afin de les soutenir. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le CIAP n’est rien d’autre qu’une tutelle qui doit rééduquer le mauvais professeur pour le transmuter un bon enseignant, ou plutôt en enseignant conforme. On rétribue non seulement l’un des collègues de son établissement pour lui venir en aide, mais encore délègue-t-on un formateur de l’INSPE pour l’épauler, c’est-à-dire pour contrôler le contenu des séances qu’il s’est engagé à lui transmettre, et le bon déroulement de leur application en classe. C’est un contrat diabolique que les enseignants non syndiqués n’ont généralement pas la force de refuser. Quant à l’inspecteur qui a eu la munificence de proposer ce dispositif d’accompagnement, il y veille de loin à la manière d’une figure paternelle tutélaire.
Voilà donc ce que le ministère est prêt à investir pour faire table rase des mauvaises habitudes (entendez de ce qu’il tient pour l’héritage de la tradition) dans son personnel éducatif.
Cette entreprise trouve son écho dans les modules ou les colloques des scientifiques de l’éducation au sein de l’INSPE. Les nouveaux travaux (nouvelles découvertes !) y sont souvent présentés sous cette forme : on a longtemps cru que…, on a alors mis en place ceci ou cela pour y remédier… mais c’était négliger que…, et donc il faut encore aller plus loin dans l’usage de ceci ou de cela… On voit ici que toute critique des dogmes en place ne peut être formulée que dans une perspective progressiste. Ainsi, à bien y songer, cette critique ne fait-elle que confirmer les dogmes en les absolutisant. Mais l’objectif reste le même (s’opposer à la tradition éducative au nom du progrès), seuls les moyens d’y atteindre peuvent varier.
Ainsi, nous en sommes, en France, au moment où le processus réformant de l’Éducation nationale est si bien parachevé que le parti des pédagogues réformateurs qui s’y épanouissent est devenu paradoxalement le parti le plus conservateur qui soit.
Prendre conscience de ce réformatisme conservateur, c’est la condition préalable et nécessaire à la lutte qu’il faut mener contre lui.
Jean de Lazare est enseignant en lettres.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.